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Deux sans-papiers surexploités

Un employé n'a pas reçu de salaire pendant un trimestre, un autre aurait été payé 1500 francs par mois pour 50 heures de travail

Deux situations montrent la surexploitation de travailleurs sans papiers. Deux Brésiliens, l'un travaillant dans une entreprise de nettoyage et l'autre dans une pharmacie, ont saisi le Tribunal des prud'hommes, malgré les risques liés à la fragilité de leur statut.

Un sans-papier brésilien attend toujours le versement de trois mois de salaire impayé. Et ce, six mois après avoir quitté l'entreprise de nettoyage Carcau. A maintes reprises, par téléphone et par courrier, Unia a interpellé l'entreprise qui reconnaît son retard. Or, si cette dernière ne respecte pas les conditions de travail, elle enfreint aussi la loi sur le travail au noir, et n'est même pas inscrite au Registre du commerce. Mais les infractions ne s'arrêtent pas là. Son employé n'a jamais eu droit à des vacances payées. Lorsqu'il était absent, c'était en outre à lui de rétribuer son remplaçant.
Le travailleur a donc finalement saisi le Tribunal des prud'hommes pour réclamer une somme comprenant trois mois de salaire et les vacances auxquelles il aurait eu droit, soit un peu plus de 12000 francs. Unia a aussi organisé une distribution de tracts le 5 avril devant l'un des restaurants de la chaîne de sandwiches Edward's qui mandatait l'entreprise de nettoyage.

Sous-traitance excessive
«On a demandé au patron de ce restaurant de faire une cession de créance afin de payer directement l'employé ou de faire pression sur l'entreprise, mais il refuse de collaborer», explique Filipa Chinarro, responsable du bâtiment à Unia Genève. Le restaurateur aurait d'ailleurs, depuis, résilié son contrat avec l'entreprise de nettoyage récriminée.
En outre, la notion de responsabilité solidaire est remise en question par Bernard Favre, secrétaire général adjoint du Département de la solidarité et de l'emploi (DSE): «Il n'est pas certain qu'on puisse parler de sous-traitance, car le restaurateur n'achète pas des sandwiches, mais des prestations de nettoyage, et est en droit d'attendre la conformité des conditions de travail.» Une analyse que nuance Joël Varone, secrétaire syndical à Unia Genève: «Demander des prestations de tiers pour du nettoyage dans les restaurants est un phénomène nouveau. Car généralement c'est le personnel qui effectue le nettoyage. On peut donc parler de sous-traitance.» Et le syndicaliste de déplorer le recours de plus en plus fréquent aux sous-traitants de nettoyage dans l'hôtellerie. «Cela permet à l'hôtelier de faire des économies en se soustrayant à la CCT de l'hôtellerie dont les salaires sont plus élevés que dans la CCT du nettoyage.»

1500 francs par mois
Un autre cas d'exploitation de travailleur brésilien sans papiers a également été dénoncé hier par Unia. Cet employé d'une pharmacie genevoise aurait travaillé durant une année, à raison de 50 heures par semaine, pour un revenu de 1500 francs par mois. La pharmacie interpellée par le syndicat a répondu n'avoir jamais employé cette personne. «Nous avons pourtant des témoins qui l'ont vu y travailler et une photo de lui, de dos, a été publiée dans un article de presse qui portait sur le quartier», explique Filipa Chinarro. D'autres témoignages seraient cependant les bienvenus pour étayer les dires de l'employé qui n'a jamais reçu de fiche de salaire. Une séance de conciliation est prévue le 23 avril.
«Le plus simple serait de pouvoir aller vérifier les comptes de la pharmacie. Mais cette démarche n'est pas autorisée par le cadre légal actuel», explique Joël Varone. Selon le syndicaliste, l'initiative genevoise «Pour un renforcement du contrôle des entreprises contre la sous-enchère salariale» qui a été déposée récemment, faciliterait ce genre d'action. «Cela permettrait au nouvel inspectorat (ndlr: désigné par les syndicats et nommé par le Conseil d'Etat), parallèlement aux inspecteurs de l'Etat débordés et qui traitent partialement et partiellement les dénonciations des syndicats, de faire ce type de contrôle.» Pour rappel, l'initiative prévoit également un quota minimal d'inspecteurs (quota qui n'existe pas actuellement), soit 1 pour 10000 salariés selon les recommandations de l'Organisation internationale du travail (OIT).

Dénonciations courageuses
Si les abus liés à la précarité des travailleurs sans papiers sont nombreux, rares sont ceux qui osent dénoncer leurs employeurs. Les deux syndicalistes d'Unia relèvent ainsi le courage de ces personnes sans statut légal qui s'exposent à une dénonciation - non pas du tribunal, mais éventuellement de leurs anciens patrons - et risquent une procédure d'expulsion. Quant à l'employeur? «Il risque de devoir payer les assurances sociales. C'est tout. Concrètement, les amendes sont rares, et les caisses de compensation ne déposent jamais de plaintes pénales», déplore Joël Varone. Filipa Chinarro renchérit: «Il faut croire qu'il n'y a pas de volonté politique dans ce sens et qu'il est plus facile de renvoyer les sans-papiers.»
Bernard Favre rappelle toutefois: «Pour des infractions graves, la loi sur le travail au noir permet d'exclure les entreprises des marchés publics - avec des retombées souvent très fortes en termes d'image sur les marchés privés - entre 12 et 18 mois, avec la publication du nom de l'entreprise sur le site du Seco, et des amendes de plusieurs dizaines de milliers de francs, émoluments compris.» Et d'ajouter: «La plupart des cas graves de sous-enchère salariale sont liés à du travail au noir.» La source du problème se trouve ainsi dans la situation de précarité du personnel clandestin privé de tous droits. Une situation dont abusent certains employeurs et qui ne peut donc se régler en fermant les frontières. «Cela signifierait une augmentation de la précarisation des sans-papiers et donc une augmentation des cas de dumping salarial» estime Joël Varone. Face à ce constat, Unia soutient la régularisation des sans-papiers...

Aline Andrey