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Du Contrat social sous les baguettes

La percussionniste béatrice Graf invite à des Déjeuners sur l'herbe musicaux

Le 1er mai dernier, Béatrice Graf, son «washboard»* autour du cou, défilait à Genève avec sa petite fanfare rousseauiste. Quelques semaines plus tard, la percussionniste et militante, habituée des manifestations, nous reçoit chez elle, histoire de revenir sur son projet autour de Rousseau en cette année du tricentenaire du philosophe, écrivain et musicien.
Chez elle, c'est à l'îlot 13, haut lieu de la vie associative genevoise, aujourd'hui menacé par le projet d'agrandissement de la gare Cornavin. Mais les habitants du quartier des Grottes sont organisés et n'entendent pas se laisser faire... «Ici, nous avons des réunions tous les lundis. Notre démarche est participative. C'est un village dans la ville. Un idéal qui ressemble à l'utopie de Rousseau», explique Béatrice Graf, membre de la coopérative depuis 1986. Cette année, elle s'est plongée dans la vie de Jean-Jacques, ce «fils d'ouvrier, orphelin de mère, autodidacte, révolutionnaire», entre autres qualificatifs égrenés par la musicienne, qui propose, jusqu'au 17 juin, plusieurs concerts acoustiques dans le quartier. Des «Déjeuners sur l'herbe» comme autant d'espaces-temps conviviaux et interactifs, Rousseau en toile de fond.

Eclectisme musical
«On connaît plutôt Rousseau l'écrivain que le musicien. Or, il a écrit 7 opéras, dont 4 qu'il a terminés, et des centaines de morceaux. C'est une musique d'époque, qui a beaucoup plu à Louis XV notamment. Elle est simple et laisse de la place à la liberté d'interprétation. Dans la Fanfare Rousseau 13, nous jouons ses morceaux en improvisant. Cela donne un drôle de mélange entre liturgies protestantes et le «township-jazz sud-africain»».
Une musique éclectique, à l'image de la démarche créative de Béatrice Graf. «Rousseau n'aimait pas les étiquettes. Moi non plus», lance celle qui a joué en 30 ans de carrière avec quelque 150 groupes, du jazz au rock, de la musique du monde aux opérettes... Elle se qualifie volontiers de «généraliste de la musique», ce qui n'exclut nullement le talent. «Tout ce que j'ai appris de mes rencontres ici et ailleurs fait ce que je suis. En ce moment, j'apprends beaucoup des oiseaux...» Leurs chants accompagnent les répétitions de celle qui préfère désormais jouer dans la lumière naturelle des parcs plutôt que dans l'obscurité de sa cave.
Depuis une dizaine d'années, elle privilégie donc des créations personnelles adaptées au plein air. Un changement d'horizon qui l'a obligée à alléger son instrument. Elle a ainsi bricolé une batterie-valise, et aime détourner des outils (des lames de scie circulaire, des bidons...) en instrument. «N'importe quel objet crée du son. J'aime l'idée de récupération dans cette société qui jette tout, où les gens sont pris dans un engrenage de surconsommation. Pour moi, c'est une forme de militantisme...» Tout comme le fait d'aller à la rencontre des spectateurs, changer le rapport à la culture, la rendre accessible hors des salles et des mondanités, bref «sortir l'art des espaces consacrés». Cette démarche ne serait d'ailleurs pas si éloignée de la pensée de Rousseau, puisque Béatrice Graf rappelle qu'«il est considéré comme un pionnier du théâtre participatif».

Transhumances
Ces deux dernières années, la musicienne a sillonné la Suisse, improvisant sur les places et dans les parcs publics. Son périple musical, dénommé «Transhumance», est un retour aux sources pour cette fille de paysan, qui dès son jeune âge était contrainte de faire les foins, alors que ses amies se retrouvaient à la piscine. «J'étais très fâchée à l'adolescence d'être une main-d'œuvre si bon marché. Et je le suis encore, même si je me rends compte que cela m'a appris à bosser.» C'est peut-être aussi cette rage qui l'a amenée à devenir «batteure». Un nom qu'elle préfère à celui de batteuse, car justement trop agricole à son goût. «J'avais besoin d'un exutoire, après plusieurs années d'accordéon et le travail aux champs.» Elle suivra des cours de batterie au Conservatoire, et de nombreux ateliers à l'AMR (Association pour l'encouragement de la musique improvisée). Une carrière artistique qui ne l'empêchera pas d'obtenir une licence en sciences économiques et sociales, d'effectuer de nombreux remplacements dans l'enseignement et de travailler plusieurs fois à l'usine. «C'est là que j'ai compris pourquoi c'était difficile pour un ouvrier d'aller au cinéma et au théâtre. Après une journée de travail à l'usine, on est lessivé.»
Aujourd'hui reconnue, Béatrice Graf privilégie des créations personnelles et des collaborations avec d'autres artistes. Cette année, elle a, entre autres projets, accompagné de sa batterie une conteuse en Russie. L'histoire est celle d'une petite fille prénommée Bulle qui vit dans un monde carré... Un personnage pas étranger à la musicienne, avide d'air pur et d'alternatives dans une société bien trop rigide pour elle.


Aline Andrey