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Les mendiants roms de Lausanne déboussolés

Face à l'interdiction de la mendicité dans le canton de Vaud l'association Opre Rrom est au front. Visite ...

La Cour constitutionnelle du canton de Vaud ayant refusé le recours contre la Loi sur la mendicité, celle-ci va s'appliquer sous peu, malgré un possible recours au Tribunal fédéral. L'association de soutien Opre Rrom se mobilise pour informer au mieux la communauté rom.

En ce vendredi matin pluvieux, dans les locaux de l'Armée du Salut au cœur de Lausanne, Opre Rrom tient sa permanence hebdomadaire. Ils sont une trentaine - des adolescents, des femmes et des hommes - à venir boire un café, téléphoner et discuter. Un petit groupe de femmes discutent entre elles. Devant la porte, plusieurs hommes, pince-sans-rire, demandent si c'est nous qui allons leur donner de l'argent pour retourner au pays. Plusieurs jouent la carte de l'humour, l'inquiétude dans les yeux. La présidente de l'association, Véra Tchérémissinof, relève la détresse des Roms face à l'interdiction de mendier: «Ils sont déboussolés!» Un peu plus tard dans la matinée, traduite par Ilie, le médiateur culturel, elle leur répétera l'importance de ne pas écouter les rumeurs, et de venir s'informer ici, notamment quant à l'entrée en vigueur de la loi contre la mendicité qui ne saurait tarder. L'employé civil de la police, Gilbert Glassey, membre d'Opre Rrom, estime que ce sera après les vacances d'été. En aparté, il relève: «L'interdiction ne va pas résoudre la situation. Ceux qui vont rester vont changer de stratégie, être plus mobiles.»

A la recherche d'un travail
«La mendicité reste bien sûr l'ultime recours», explique Véra Tchérémissinof. Beaucoup cherchent du travail, à l'instar de Basile, 30 ans, qui raconte dans un très bon français être allé se présenter dans un restaurant. «Le patron avait l'air prêt à m'engager, mais quand il a vu mon passeport roumain, il a refusé. Je parle plusieurs langues et je veux travailler. J'avais commencé de travailler chez un paysan, mais comme j'avais pas de permis de conduire, il ne m'a pas gardé.» L'avenir? «C'est Dieu qui a la solution! Chez nous, en Transylvanie, il y a rien, rien et beaucoup de corruption. On a un toit, mais on peut pas manger les murs... On aime beaucoup la Suisse. Les gens sont sympas, gentils, pas agressifs. Tu meurs pas de faim en Suisse. Mais c'est dur. Quand on dort dans la rue, sur un banc dans les bois, on est réveillé par la police. On a des amendes. C'est stressant, et fatigant. On est souvent arrêté, fouillé, pour rien... On se fait des cheveux blancs ici.» Dans la rue, son épouse mendie, et lui gonfle des ballons pour les enfants. «L'autorisation me coûte 17 francs (taxe pour les artistes de rue qui ne sont pas touchés par la Loi contre la mendicité, ndlr), plus les ballons à acheter. Et je ne suis pas sûr de réussir à gagner ce montant. L'autre jour, j'ai lavé la vitrine d'un magasin et on m'a donné 10 francs. On veut pas mendier. Ça fait pas partie de notre culture. Je veux travailler», lâche-t-il. Son fils de deux ans est resté chez ses grands-parents en Roumanie. Il a perdu une fille à l'âge de 9 ans, «de maladie».

La scolarisation oui, mais...
Un autre homme, au sourire chaleureux, dit aussi chercher du travail depuis un an. Il a réussi à scolariser son enfant, grâce à l'hébergement à La Marmotte. «Sans logement, c'est pas possible d'aller à l'école», raconte Nicolae, 19 ans bientôt. «Je me rappelle avoir dormi même sous la neige avec mes parents. En 2012-2013, il y avait beaucoup d'enfants dans la rue, maintenant les parents les laissent au pays. C'est mieux.» Son père est actuellement en France, sa mère et lui sont hébergés chez Véra Tchérémissinof, avec la famille de son oncle. Une stabilité qui lui a permis d'être scolarisé. «J'étais d'abord dans une classe pour analphabète, et après au Collège de Béthusy de 2014 à 2016. Aujourd'hui, j'ai un rendez-vous pour une place d'apprentissage d'employé de commerce. J'espère que ça va marcher...»
Médiateur, Ilie, depuis 6 ans en Suisse, accompagne les Roms dans leurs recherches d'emploi, chez le médecin, à l'école... Il fait aussi les demandes de paiements échelonnés pour les amendes. «Six ou sept personnes travaillent avec des permis. Chacun rêve bien sûr d'avoir un travail, un logement et ses enfants à l'école», explique celui qui s'est formé comme médiateur au Conseil de l'Europe et travaille aujourd'hui pour Opre Rrom grâce au soutien financier du Bureau lausannois pour les immigrés et du Bureau cantonal pour l'intégration des étrangers et la prévention du racisme.

Des difficultés en Roumanie
Gilbert Glassey estime que les échecs sont nombreux dans l'insertion au travail. «Leur mode de fonctionnement est différent. On n'a jamais fini de les comprendre», explique celui qui connaît pourtant bien la communauté et la Roumanie où il se rend chaque année. «Dans le village de Gherla, on a pu mettre en place un transport scolaire, des collations et un soutien aux devoirs pour les enfants roms. Mais la situation n'est pas aussi bonne partout. Certains enseignants refusent de les intégrer dans leur classe, car ils sont difficiles à cadrer. C'est ce que montre très bien le film «Notre Ecole» de Miruna Coca-Cozma. Je suis allé dans un village avec un ami roumain en proposant une aide. Le maire m'a répondu que les Roms étaient en France et en Suisse pour voler! Mais que le village avait besoin d'une obole pour le musée ethnographique qui se trouve dans la maison de sa belle-mère...» La corruption est également dénoncée par Ilie: «C'est un pays sans futur! Sept à huit millions de personnes en sont sorties. Ma famille est partout en Europe. Moi-même j'ai vécu en Espagne, en France, en Allemagne. En Roumanie, même si tu as du travail tu t'en sors pas. C'est la politique qui doit changer.»

Aline Andrey



Dix ans après l'arrivée des premiers Roms

La mendicité sera proscrite dans le canton de Vaud sous peu. Le 10 mai dernier, la Cour constitutionnelle a rejeté le recours déposé par un groupe constitué de représentants d'associations protestantes, catholiques et musulmanes, ainsi que de mendiants suisses et roms. Ce collectif inédit avait fait recours contre la loi adoptée de justesse par le Grand Conseil le 27 septembre 2016. Une décision qui avait déclenché à Genève une initiative de députés de gauche pour abroger la Loi contre la mendicité appliquée dans le canton depuis 2008, et dont le bilan est des plus mitigé: le nombre de mendiants serait resté stable en près de 10 ans, et le coût de l'application de la loi élevé. Alors qu'un recours au Tribunal fédéral va certainement être déposé contre l'interdiction vaudoise, Véra Tchérémissinof, présidente de l'association Opre Rrom (Homme debout), revient sur dix années de mendicité rom à Lausanne.

questions/réponses
Vous vous êtes mobilisée dès l'arrivée des premiers Roms à Lausanne...
Oui, c'était en hiver 2007. Leur misère et leur mauvaise santé m'ont frappé. Ainsi que les commentaires racistes et erronés qui accompagnaient leur présence. Comme j'aime parler de ce que je connais, je me suis approchée d'eux, et en ai accompagné certains dans leur pays, en Slovaquie et en Roumanie où ils restent des citoyens de deuxième zone et où le racisme est palpable. Leur espérance de vie est en moyenne de 50 ans, ce qui en dit long... Et s'ils ont des droits, ils ne les connaissent souvent pas.

Pourquoi interdire la mendicité dans le canton de Vaud, alors que la situation à Genève semble montrer que cela n'a aucun sens?
Les associations membres du comité contre cette interdiction n'ont pas été entendues par les députés avant le vote au Grand Conseil. Alors qu'on sait que l'interdiction ne marche pas, preuve en est à Genève. Les mendiants se retrouvent avec plusieurs milliers de francs d'amende sans pouvoir les payer. Les risques de trouver de l'argent par d'autres biais sont grands, notamment par la prostitution... Quant à la peur de provoquer un appel d'air, elle n'a pas lieu d'être. Les personnes qui mendient se régulent, car elles n'ont aucun avantage économique à être trop nombreuses. La population rom est stable depuis 10 ans, une centaine dans la région lausannoise en moyenne. Or tout est fait pour les décourager, au point que leur situation a empiré en 10 ans.

Votre association soutient les Roms, notamment dans la recherche d'un emploi. Pourquoi est-ce si difficile?
C'est seulement depuis le 1er juin 2016 que les Roumains et les Bulgares ont le droit de travailler en Suisse comme les autres membres de l'Union européenne. Et la clause de sauvegarde vient déjà d'être activée... L'illettrisme et les préjugés sont de sérieux freins également. Lors de l'audience sur le recours contre la Loi sur la mendicité, un juge a relevé que les Roms, de par leur illettrisme, n'avaient pas «vocation» à s'intégrer, et donc à trouver du travail. C'est scandaleux!
Si l'employeur dépasse ses réticences et s'il fait preuve de patience pour les former, cela peut très bien se dérouler. C'est le cas d'un vigneron et d'un paysan qui emploient chacun un couple. Nous collaborons notamment avec TerrEmploi pour trouver des postes dans l'agriculture.

Quelles pistes voyez-vous pour aider ces familles?
L'aide devrait être apportée ici et là-bas. La majorité des Roms disent, malgré le racisme et les discriminations qu'ils subissent dans leur pays, vouloir vivre chez eux. Comme la plupart des migrants d'ailleurs... Or souvent leurs logements sur place se délabrent, ils n'ont pas d'issue économique, ni d'assurance maladie, ni de réel accès à l'école. Il s'agit de réhabiliter les lieux de vie là-bas, prendre pour base les capacités et les volontés des personnes et les accompagner, avec les autorités locales et avec des ONG de confiance - car l'argent européen est souvent mal ou pas utilisé, ou encore capté par des pseudo-ONG. Les Roms de Lausanne viennent principalement de Transylvanie où les projets sont rares. Ici, ceux qui le souhaitent pourraient être formés pour travailler de manière saisonnière, notamment dans l'agriculture. Car, rappelons-le, la mendicité n'est pas un mode de vie inhérent aux Roms. S'il faut tenir compte des spécificités de leur culture - comme celle de l'importance de la famille et du groupe par exemple -, il existe aussi une culture de la misère, qui rassemble toutes les personnes dans la précarité. Même si, bien sûr, chaque Rom, comme chaque être humain, est singulier. Mon rêve est que l'association Opre Rrom n'ait, un jour, plus de raison d'exister, parce qu'ils seront devenus des citoyens à part entière.

Propos recueillis par Aline Andrey