Aller au contenu principal
Menu

Thèmes

Rubriques

abonnement

L'esprit des plantes capturés

En été, la distillerie de Bassins, spécialisée dans la production d'huiles essentielles, tourne à plein régime. Que du concentré

Des semailles à la moisson de plantes aromatiques et médicinales puis à leur distillation: agriculteur à Bassins (Vaud), Jean-Marc Genevay s'est spécialisé dans la production d'huiles essentielles. Un kilo de ce précieux liquide nécessite souvent pas moins d'une tonne de matières premières. Selon sa nature, il entrera dans la composition de parfums, cosmétiques, fragrances alimentaires ou sera utilisé en aromathérapie. Reportage au cœur de l'été et d'essences capturées.

Une odeur entêtante emplit la distillerie de Bassins. Exhalaison puissante qui soulève presque le cœur. Difficilement identifiable en raison de sa densité, cette singulière fragrance provient de dizaines de kilos de persil fraîchement coupé. Une herbe aromatique et médicinale que viennent de récolter Jean-Marc Genevay et son associé, Frédéric Guenin. L'un aux commandes d'une ensileuse, fauchant, hachant et chargeant les plantes; l'autre au volant d'un tracteur et remorque les réceptionnant. A la distillerie, le persil est directement acheminé du camion dans une cuve - trois au total - via un tapis roulant doseur. Deux jeunes étudiants employés pour la saison veillent à ce qu'il se déverse de manière régulière et assure son égale répartition. Le conteneur rempli d'une tonne de plantes, les ouvriers verrouillent son couvercle. Le processus de distillation à proprement parler peut commencer.

Un kilo par tonne
De l'eau de source, transformée en vapeur par une chaudière, est alors injectée par le bas des cuves et traverse le persil. La température oscille entre 110 et 120 degrés. «A cette étape, il est surtout important de vérifier le flux de la vapeur qui doit être de 400 litres par heure» explique Jean-Marc Genevay. La vapeur entraîne l'huile essentielle avant d'être condensée dans des réfrigérants. Revenue ainsi à l'état liquide l'eau, chargée d'huile, tombe dans des essenciers où s'opère la décantation. La séparation du distillat s'effectue par la différence de poids spécifiques de l'huile et de l'eau. «Une tonne de persil donne un kilo d'huile. Avec certaines plantes, on en obtient 2 kilos, voir 2,5 kilos mais parfois aussi seulement 500 grammes, comme avec la camomille romaine», précise l'agriculteur tout en montrant un verre test rempli d'eau et où, à la surface, une bulle d'huile s'est formée. Esprit de la plante capturé...
Chargée des propriétés de la fleur mais de manière beaucoup plus diluée, l'eau florale ou hydrolat est parfois récupéré pour l'aromathérapie ou la fabrication de cosmétiques. C'est notamment le cas lorsque l'on distille de la lavande, de la camomille romaine, du thym ou encore la sauge. Inutilisable, l'hydrolat du persil finira pour sa part dans les égouts.
Huiles et eaux florales sont ensuite transférées dans des cuves en inox, entreposées dans le «local des essences», dans l'attente de leur parfaite maturation. «En un an, nous fabriquons environ une tonne d'huile. Sa durée de vie? 5 à 6 ans.»

Retour à la terre
Les plantes distillées, les étudiants ouvrent la cuve. Une haute colonne de vapeur s'en échappe. Les deux jeunes hommes se chargent ensuite de l'extraction du persil vidé de son essence. Large rondin vert arraché à son conteneur au moyen d'une poulie et qui, jeté dans une remorque, sera recyclé comme matière organique répandue directement dans les champs. Quelques coups de balai... et la cuve est prête à accueillir une nouvelle cargaison.
Si les plantations s'effectuent à toutes les saisons - sauf en hiver - en fonction des cycles propres à chacune des cultures, récolte et distillation se concentrent sur l'été. Chaque année, durant cette saison, la distillerie de Bassins qui tourne d'habitude seulement avec Jean-Marc Genevay et son associé recourt à du renfort. Le printemps et l'automne, les deux hommes les consacrent à la fabrication d'huile de conifères, en particulier de sapins, sapins blancs et épicéas.

Nouveaux types de nuisibles
Le domaine de Jean-Marc Genevay et de son associé s'étend sur 30 hectares. Camomille romaine, estragon, persil, livèche puis origan composent ses principales cultures. Si la camomille figurait il y a quelques années encore au rang des produits phares de la distillerie, fondée il y a 35 ans, sa production est aujourd'hui rendue ardue par les attaques de nouveaux insectes. «On ne comprend pas la raison de leur présence.» Le changement de climat perturbe aussi la croissance de cette plante sensible au manque d'eau. «Le réchauffement climatique est une réalité pour nous. On l'observe clairement dans notre travail. La flore évolue. De nouveaux insectes apparaissent. Les dates des récoltes changent, la plupart étant avancée d'une semaine...» précise l'agriculteur qui doit de surcroît affronter une concurrence croissante dans le domaine, en particulier asiatique, la crise, une baisse du prix des matières premières, le poids de l'euro...

Marché tendu
«C'est de plus en plus dur», relève Jean-Marc Genevay qui facture son huile entre 300 et 400 francs le kilo en moyenne. Paradoxalement, les huiles essentielles sont de plus en plus prisées du public, sensible à leur caractère naturel et à leurs vertus. «On en parle beaucoup, mais on ne sait que peu de choses sur les matières premières» tempère l'agriculteur.
La distillerie de Bassins vend surtout sa production à l'industrie des cosmétiques et parfums - souvent aussi actifs dans la création d'arômes alimentaires - et aux laboratoires médicaux & de bien-être (aromathérapie). Des «nez» jugent la qualité des huiles sur la base d'échantillons anonymes. «Ils ne savent pas qui les a envoyés pour garantir un choix neutre.» Bien qu'aujourd'hui tendu, le marché ne décourage pas Jean-Marc Genevay, qui apprécie l'indépendance de son activité comme le contact avec la terre. Et n'omettra pas de relever ses sauces à salade avec quelques gouttes de la précieuse huile de persil distillée ce jour...



Attention! Vertus parfois dangereuses
Deux à trois gouttes d'huile de lavande sur un buvard pour calmer la nervosité, d'autres de sapin, dans un diffuseur pour dégager les voies respiratoires... Outre leur utilisation dans la composition de parfums, cosmétiques, arômes alimentaires et en aromathérapie, les huiles essentielles, aux nombreuses propriétés, sont aussi souvent employées en automédication. En raison de leur très forte concentration, elles risquent toutefois de se révéler dangereuses. Et doivent être utilisées avec réserve. «Il faut se renseigner en droguerie ou pharmacie. Si on ne les connaît pas bien, il vaut mieux les diluer», conseille Jean-Marc Genevay mettant en garde, par exemple, contre les brûlures et irritations de la peau qu'elles peuvent provoquer. En raison de leur caractère potentiellement toxique, leur ingestion ne doit pas être effectuée hors contrôle d'un professionnel de la santé.
Lorsqu'elle est destinée au massage, l'huile essentielle est toujours diluée. Contrairement à ce que laisserait entendre son nom, elle ne comporte pas de corps gras.

Sonya Mermoud


 

En été, il est possible de visiter la distillerie de Bassins. Davantage d'informations sur Internet: www.distilleriedebassins.ch