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Plus présent au monde grâce à la culture

Directeur du théâtre du Crochetan, comédien et metteur en scène, Lorenzo Malaguerra aime les spectacles qui remuent

Les rôles de jeunes premiers, de gentils ne lui correspondent pas. Lorenzo Malaguerra aime jouer les salauds. Parce qu'il ne l'est pas dans la vie et qu'il trouve «jubilatoire» de se glisser dans la peau de personnages totalement étrangers à son fonctionnement. Mais aujourd'hui ce comédien formé à l'Ecole supérieure d'art dramatique de Genève n'a plus guère le temps de monter sur les planches. Ni de se consacrer souvent à la mise en scène de pièces, une autre de ses casquettes qu'il apprécie pourtant beaucoup. «La mise en scène est une extension du jeu. A la fois ludique, cérébrale et réflexive. Il s'agit de mettre des mots en images. De bien connaître les acteurs. De tirer la substance d'un spectacle. Une démarche très complète», commente Lorenzo Malaguerra qui, nommé directeur en 2009 du théâtre du Crochetan à Monthey, en Valais, mobilise aujourd'hui essentiellement ses forces à l'exercice de cette fonction. L'envie de se renouveler, d'élargir sa palette professionnelle, de relever un nouveau défi explique ce choix mais aussi la situation particulière du Crochetan.

Une espèce de miracle
«Un grand théâtre de 650 places, décentralisé, créé il y a 21 ans dans une cité industrielle... Une initiative irrationnelle, qui relève d'une espèce de miracle. Ce projet a été lancé par un noyau dur de personnes désireuses de déplacer la culture en province. C'est politiquement très fort», relève Lorenzo Malaguerra. De quoi en tout cas stimuler ce quadragénaire de fraîche date, à l'allure juvénile, de faire vivre à son tour ce pôle culturel. Un lieu qui accueille une quarantaine de spectacles multidisciplinaires par an. «Je les choisis selon mes goûts, éclectiques, en faisant confiance à mon flair. Cirques, danse, théâtres de marionnettes... L'idée est de traverser des styles différents. Je me déplace beaucoup et vois, en moyenne, 150 spectacles par an. Je cherche à contenter différents publics en privilégiant toujours la qualité sur la rentabilité.» Un travail que le directeur qualifie d'aussi «passionnant qu'épuisant». Il faut dire que l'équipe qui l'épaule ne compte que quatre personnes à temps partiel. «Il y a beaucoup de tâches de gestion, d'administration - négociation des contrats avec les artistes, organisation de leur accueil, etc. - et aussi de représentation» détaille Lorenzo Malaguerra remplissant aussi la fonction de chef du Service culturel de la ville.

Exorciser ses angoisses
Mais puisqu'il est question de culture, que met derrière ce terme Lorenzo Malaguerra? «La culture, c'est ce qui nous permet de nous sauver de l'ignorance. De mieux connaître le monde pour pouvoir y agir. D'y être plus présent. Il ne s'agit pas d'évasion ou de divertir, dans le sens de dévier de la ligne» répond, après un instant de réflexion, Lorenzo Malaguerra, attaché aussi à l'argument démocratique du théâtre. «C'est un des derniers lieux où une communauté peut se former, se rassembler autour de certaines valeurs.» Rien d'étonnant dès lors que le directeur apprécie en particulier les pièces «avec de la substance». Pas de théâtre engagé dans le sens militant mais des créations qui remuent, titillent l'émotionnel et l'intellect. Un art qui, en tant que comédien, permettait à Lorenzo Malaguerra, d'exorciser ses peurs ou de les sublimer. Pessimiste, féru d'actualité, le directeur confie en effet être un angoissé. Par son travail. Par l'idée de la mort. Il entretient avec le monde un rapport de colère et s'indigne du «mépris des puissants pour les plus faibles». «Jouer m'a procuré beaucoup de bonheur. J'aime en particulier les tragédies», précise le directeur qui trouve aussi une forme de quiétude, d'équilibre en allant au spectacle. De quoi atténuer la pression générée par son besoin d'en faire toujours davantage, son souci d'être constamment à la hauteur... Comme ses séjours réguliers à Paris - ville d'origine de son épouse et destination favorite - qui contribuent à le ressourcer. «Une capitale où l'histoire transpire à chaque coin de rue», s'enthousiasme Lorenzo Malaguerra qui, avant d'orienter sa carrière dans la culture, a effectué un master de géographie à l'Université de Genève.

Changement de cap
«La raison? Si j'ai eu beaucoup de plaisir à faire du théâtre, la dernière année de collège à Bienne, il n'était alors pas question que je poursuive dans ce domaine. La passion de la géo, une sensibilité à l'environnement, un intérêt pour les marches en montagne, d'un point de vue méditatif, contemplatif - ma religion à moi, spirituelle et animiste - m'ont conduit dans cette première voie», explique l'universitaire auteur d'un mémoire sur la notion des frontières. «Une philosophie de la géo notamment exploitée par le national-socialisme et les questions d'espace vital... J'ai soudain eu envie de prendre une nouvelle direction professionnelle », explique l'universitaire qui entre alors au Conservatoire de Genève, se souvenant du plaisir qu'il avait eu à faire du théâtre alors qu'il fréquentait le collège à Bienne. Une joie d'ado diluée » : la formation jugée es jugée «castratrice», très technique. Pas de quoi toutefois briser le rêve de Lorenzo Malaguerra d'interpréter un jour... le sanguinaire roi Richard III.


Sonya Mermoud