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Salaire minimum : une nécessité

L'initiative pour un salaire minimum est aussi un rempart contre la sous-enchère salariale. Plus de 80000 personnes l'ont signée

L'initiative pour un salaire minimum portée par l'Union syndicale suisse n'est pas seulement une nécessité évidente pour les dizaines de milliers de travailleuses et de travailleurs dont les salaires ne leur permettent pas de vivre décemment. Elle est également un rempart contre la sous-enchère salariale et les abus commis sous couvert de la libre circulation.

En Suisse, plus de 400000 personnes, dont trois quarts sont des femmes, touchent des salaires qui ne leur permettent pas de nouer les deux bouts, malgré un travail à plein temps. Des dizaines de milliers de travailleuses et de travailleurs doivent recourir à l'aide sociale pour s'en sortir, en particulier celles et ceux dont les rémunérations mensuelles sont en dessous de 3500 francs. Le mois dernier, dans une émission électorale de la TV romande, le conseiller national radical bernois, Christian Wasserfallen, interrogé sur le problème de ces «working poor», répondait que la solution appartenait à... l'aide sociale. L'aveu révélateur d'une droite qui fait payer ses manquements à la collectivité tout en conservant la primauté de ses profits, s'octroyant en cela une forme de subventionnement des emplois sous-payés alors qu'elle ne cesse d'en appeler à «moins d'Etat».

Antidumping
Lancée par l'Union syndicale suisse (USS) au début de cette année, l'initiative pour un salaire minimum légal de 22 francs l'heure (4000 francs par mois), revêt aujourd'hui déjà plus de 80000 signatures sur les 100000 requises. Elle sera déposée à la Chancellerie fédérale sans doute au début de l'année prochaine. «Je n'ai jamais vu un tel succès pour une initiative. Lorsque je participe aux campagnes de signatures en ville et dans la campagne, je remarque que nous n'avons même pas besoin de commencer à argumenter que les gens l'ont déjà signée», indique Peter Lauener, porte-parole de l'USS. Ce constat fait écho au sondage qui, il y a quelques mois, avait montré que 85% de la population en Suisse était favorable à un salaire minimum légal.
Cette initiative, si elle passe le cap des urnes, permettra non seulement de mettre hors la loi les salaires indécents, tout en corrigeant en partie la discrimination salariale entre hommes et femmes, puisque ces dernières sont de loin les plus concernées. L'introduction d'un salaire minimum débouchera également sur un net renforcement de la protection contre la sous-enchère salariale. En effet, les cas de dumping ne cessent de se multiplier alors que les mesures d'accompagnement à l'accord de libre circulation des personnes stipulent que le travail fourni en Suisse, qu'il le soit par un travailleur immigré, frontalier ou autochtone, doit être rémunéré de manière identique, selon les usages prévalant dans la branche et la région où s'exerce le travail. Cette règle destinée à protéger les salaires en Suisse est trop souvent contournée. Et ceux qui la contournent savent profiter de la marge de manœuvre que leur laissent les textes des mesures d'accompagnement. Ces derniers ne prévoient des sanctions qu'en cas de sous-enchère abusive et répétée. Qu'entend-on par sous-enchère abusive? Quel est le salaire de référence qui permet de le préciser, si celui-ci ne figure pas dans une convention? La référence au salaire minimum légal permettra de répondre beaucoup plus facilement et précisément à cette question. Elle permettra aussi de freiner quelque peu la dangereuse tendance à payer le personnel frontalier en euros pour lui faire supporter le risque du taux de change.

Pouvoir d'achat
Le troisième avantage du salaire minimum, c'est celui de favoriser le pouvoir d'achat et donc de soutenir la consommation et les emplois. Et cela revêt une importance considérable à l'échelle macroéconomique. Comme le soulignent de nombreux économistes, donc Jacques Attali, la stagnation des salaires est la cause originelle de la crise que nous vivons. C'est cette faiblesse des salaires au profit de la rémunération du capital qui a fait le lit du recours au crédit massif des ménages, dont les tristement fameux subprimes, ces crédits hypothécaires américains accordés à des personnes n'ayant pas les moyens de les rembourser. Et le reste s'est enchaîné: surenchère spéculative des crédits jusqu'à l'effondrement du château de cartes, endettement des Etats imputable en particulier au renflouement des banques et aux cadeaux fiscaux accordés aux plus riches, répercussion néfaste sur l'économie, sur l'emploi et, au final, l'affront à peine croyable d'exiger aujourd'hui du petit peuple qu'il se serre la ceinture pour payer la facture du désastre dont il est la première victime.

Pierre Noverraz