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Un regard à changer

Des procédures d’asile liquidées en 24 heures pour les ressortissants du Maghreb: voilà le projet-pilote porté par la conseillère fédérale socialiste Elisabeth Baume-Schneider, comme l’ont récemment annoncé plusieurs médias. Il concerne des requérants dont seuls un tout petit pourcentage serait autorisé à demeurer dans nos frontières – 2% l’an dernier pour les personnes en provenance du Maroc, de Tunisie et d’Algérie et 10% pour celles de la Lybie. Des chiffres supposés légitimer le processus face aussi à un engorgement des centres d’hébergement. La démarche sera menée jusqu’en février avant sa réévaluation. Une disposition controversée des deux côtés de l’échiquier politique. L’UDC, qui n’a eu de cesse de critiquer l’action de la ministre de Justice et Police, accusée d’être responsable du «chaos de l’asile», dénonce une «mesure alibi». Le parti agrairien, rappelons-le, a largement raflé la mise lors des dernières élections fédérales, priorisant la thématique de l’immigration dans sa campagne. Et se montre bien décidé à continuer à surfer sur cette vague, décriant tout semblant de solution susceptible d’affaiblir son fonds de commerce. Cette disposition expéditive a aussi suscité des commentaires négatifs dans le propre camp de l’élue, au demeurant également interpellée sur les scandaleuse expulsions de migrants en Croatie. Un pays où leurs droits et leur sécurité ne sont pas garantis.

Mais revenons à ces procédures express qui misent clairement sur un effet dissuasif. Avec peu de chance d’atteindre leur but. Tout au plus, caresseront-elles dans le sens du poil une partie de l’opinion publique sensible aux discours négatifs à répétition sur de prétendus abus. Car l’expérience l’a démontré: ni les murs, ni les obstacles administratifs, ni la dangerosité des voyages ne peuvent concurrencer des besoins de protection ou l’espoir d’un avenir meilleur. La rapidité de traitement des demandes d’asile n’empêchera pas davantage les difficultés que pose le renvoi en raison de l’absence fréquente de papiers d’identité des demandeurs déboutés et d’autres complications. Elle pourrait en revanche, a alarmé l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés, générer des décisions erronées faute de temps pour établir les faits. Pas de quoi émouvoir. Le projet-pilote s’inscrit dans la lignée des durcissements opérés en matière de politique d’asile. Pas moins d’une dizaine de révisions de la loi depuis son introduction en 1981 réclamant quasi toutes une sévérité accrue.

Même les approches un peu plus humaines dont fait parfois preuve la Suisse interrogent, se cantonnant à certaines catégories d’exilés. A l’image de la protection accordée aux ressortissants d’Ukraine auxquels n’accèdent pas d’autres réfugiés de guerre. Les personnes ayant fui l’agression russe ont par ailleurs obtenu le mois dernier, et bien sûr à raison, une prolongation de leur statut jusqu’en mars 2025. Par cette décision, les autorités ont emboîté le pas aux Etats de l’UE. Elles ont aussi revu leur copie vis-à-vis des requérantes d’asile afghanes. Depuis fin septembre, celles-ci pourront prétendre au statut de réfugiée. Un changement de pratique pour le moins tardif mais essentiel. Le Secrétariat d’Etat aux migrations s’est néanmoins empressé de souligner qu’il a suivi nombre d’Etats européens, que «la Suisse ne devrait pas être le point de mire des Afghanes». Encore une réflexion qui trahit une solidarité ne cessant de s’étioler. Il est temps de changer de regard sur les exilés. Si ce n’est en raison du cœur, par pragmatisme dans une Europe vieillissante et manquant de main-d’œuvre. Il est temps de se souvenir que les personnes arrachées à leur terre par les violences ou les nécessités économiques, pour peu qu’on leur fasse une place, et en misant sur une volonté réciproque d’intégration et de partage, peuvent contribuer à la richesse de la mixité culturelle et à la prospérité.