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Des crèches sommées de se conformer aux usages

Banderole pour des crèches de qualité portée lors du 1er Mai
© Thierry Porchet

Le 9 juin, les Genevois avaient refusé à près de 57% que les crèches privées puissent déroger aux usages salariaux dans la branche (ici, une banderole lors du 1er Mai).

A Genève, des structures d’accueil privées non subventionnées de la petite enfance, qui se refusaient à appliquer les usages de la profession, pourraient être fermées si elles n’obtempèrent pas.

Dans la saga des crèches privées genevoises qui refusaient obstinément de se conformer aux usages de la profession, le Courrier a appris que l'Etat avait décidé de taper du poing sur la table. A la suite du vote du 9 juin, le Service d’autorisation et de surveillance de l’accueil de jour (SASAJ) a donc rencontré les crèches récalcitrantes durant l’été pour leur intimer l’ordre, poliment mais fermement, de se conformer aux salaires en vigueur dans la petite enfance.

Parmi les institutions figure la crèche suédoise à Meyrin. Le Sasaj a fixé un délai au 31 décembre pour respecter la législation sous peine de lui retirer son agrément. Ce qui signifierait de facto une fin d’activité.  «Ma cliente souhaite se conformer aux demandes des autorités», commente Me Giorgini, avocat de cet établissement. En bref, elle accepte de revaloriser les salaires des employé·es. «Cela fait déjà quelques années que la crèche a amélioré sa politique salariale pour se rapprocher des usages», souligne l’avocat.

Pourtant, «la crèche suédoise conteste toujours la validité des usages que l’on veut lui imposer, explique Me Nicolas Giorgini. Car ces usages sont en contradiction avec la loi fédérale».

Dans le même temps, «la crèche suédoise entend continuer à faire valoir ses droits», poursuit-il. «Les usages actuels ont été adoptés sur la base de directives du Conseil de surveillance du marché de l’emploi (CSME). Ces directives ont autorisé l’Office cantonal de l’inspection et des relations de travail, par le biais des usages, d’étendre le champ d’application de la convention collective de travail (CCT) de la Ville de Genève applicable à ses crèches subventionnées à l’ensemble du secteur économique.»

Or, selon l’homme de loi «une telle extension cantonale viole la compétence exclusive du Conseil d’Etat en la matière et contrevient aux conditions posées par la loi fédérale sur l’extension des conventions collectives.

Pour être étendue, une CCT doit comprendre la majorité des employeurs qui, eux-mêmes, doivent occuper la majorité de tous les travailleurs.» Pour lui, cette condition n’est pas remplie. «Les usages actuels ont donc été établis de manière illégale et ma mandante envisage d’introduire une action judiciaire dans l’hypothèse où le Conseil d’Etat refuserait d’intervenir pour corriger cette situation.»

Pour le reste, à la demande de la crèche nordique, une nouvelle réunion est d’ores et déjà agendée à fin août avec le Sasaj et l’Ocirt. A l’ordre du jour: comment appliquer la grille salariale comme l’exige les services de l’Etat, sans prétériter les finances de la crèche.

Selon Me Giorgini, l’établissement d’accueil préscolaire table sur un budget à l’équilibre pour 2024. Il pourrait en être autrement à l’avenir. Du coup, la crèche suédoise pourrait bel et bien fermer ses portes si ses charges s’avéraient trop lourdes, précise encore l’avocat. Selon lui, les autorités de tutelles ont du reste toujours souligné «l’excellence des prestations et de l’encadrement offerts par la crèche».

Totup jusqu’au-boutiste

Quant aux deux crèches de la société Totup, dont la directrice Kristina Babina s’était érigée en fer de lance de la contestation, vont-elles fermer comme annoncé avec perte et fracas avant la votation du 9 juin dernier? La responsable avait en effet menacé de mettre fin à ses activités si elle perdait ce référendum déposé par les syndicats. Au grand dam de Kristina Babina, la population genevoise a nettement rejeté l’idée de pouvoir réduire les exigences en matière de salaires et de conditions de travail pour les crèches privées.

Aujourd’hui, la patronne n’est guère prolixe sur la suite des événements. Sait-on seulement que cette fermeture n’est plus à l’ordre du jour. Ses deux crèches de Lancy et Thônex poursuivent donc leurs activités. La directrice se refuse toujours à appliquer les usages. «C’est hors de question!» souligne-t-elle. Et ce malgré l’injonction du Service d’autorisation et de surveillance de l’accueil de jour, qu’elle a également rencontré cet été. Kristina Babina attend le résultat de ses actions devant les tribunaux avant de prendre une décision définitive, explique-t-elle.

On se souvient que les crèches Totup avait pourtant déjà perdu une bataille devant la justice cantonale, avant de porter l’affaire au Tribunal fédéral. La directrice avait argué d’une violation de la liberté économique si on l’obligeait à appliquer les mêmes conditions que les crèches subventionnées.

Une distorsion de la concurrence, en somme. Peine perdue. Les juges de Mon-Repos avaient estimé qu’il est d’«intérêt public évident» d’imposer des salaires et prestations sociales conformes aux usages. Car cela «permet d’éviter la sous-enchère salariale et d’assurer la qualité de la prise en charge des enfants», avait conclut le TF.

Récemment, la cheffe d’entreprise a même approché la commune de Lancy pour solliciter un subventionnement pour sa structure établie sur le territoire lancéen. Refus ferme de Salima Moyard, conseillère administrative de la Ville de Lancy en charge de la petite enfance, qui n’entend pas financer une institution préscolaire qui s’est volontairement mis en dehors du cadre légal.

La magistrate socialiste est d’ailleurs passablement remontée face aux atermoiements des autorités cantonales. «J’attends de l’Etat qu’il fasse respecter la loi, et des entreprises privées de la petite enfance qu’elles s’y conforment», tonne-t-elle.

Habad épinglée

Du côté de la crèche communautaire Habad, qui se refusait également a respecter les dispositions imposées par les pouvoirs publics, c’est le silence radio. Epinglée à plusieurs reprises par le Sasaj pour des problèmes de non-conformité, la direction de la crèche a également été poursuivie devant les Prud’hommes pour un litige sur des arriérés de salaire. Comme les autres, la crèche Habad a décidé d’engager un bras de fer judiciaire avec l’Etat.


Article paru dans «Le Courrier»

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