Pour plus d’informations, aller sur: farafina.ch
Mue par l’amour, Mireille Keïta-Gilgien a su créer un pont entre la Suisse et le Mali
Chaque acte de sa vie reflète ses deux appartenances, malienne et suisse. A commencer par son double nom de famille, de baptême et de mariage: Keïta-Gilgien. Elle a désormais vécu aussi longtemps ici que là-bas. Dans sa ferme rénovée au cœur du petit village de Baulmes, de nombreux objets rappellent son pays d’origine. Sur la table de son salon, chocolat suisse et cacahuètes, tout juste ramenées de sa terre natale, se côtoient comme un symbole de l’harmonie entre ses deux cultures. Mireille Keïta-Gilgien a le cœur sur la main. Rayonnante, elle se sent portée par l’amour dans tous ses projets. Avec l’association Solidarité Afrique Farafina fondée en 2016, elle a créé un pont entre ses deux pays avec pour piliers les valeurs qui guident sa vie: dignité, partage, solidarité, respect, amour.
Des cannes à pêche
En collaboration avec les habitants du petit village de Sikoro – sis à 30 kilomètres de Bamako seulement, et pourtant si difficile d’accès tant les routes sont mauvaises –, l’association a permis la construction d’un dispensaire et d’une maternité, puis d’un jardin, d’un forage, d’un centre artisanal et bientôt d’un centre de formation professionnelle incluant 26 villages. «On ne leur donne pas le poisson tout cuit, mais des cannes à pêche. Il s’agit d’aider l’autre à se prendre en main, sinon le cadeau peut vite devenir empoisonné», souligne Mireille Keïta-Gilgien qui a vu, au fil des ans, la capacité d’auto-organisation et d’autoconstruction grandir dans ce hameau de quelque 800 personnes. Cette solidarité accrue s’est également accompagnée d’une plus grande prise de décisions par les femmes.
Dans le canton de Vaud, l’association Farafina ne fait pas d’appel aux dons directement, mais développe des événements multiculturels, pour générer la rencontre, la tolérance, l’amitié entre les peuples, et financer le coût des matières premières nécessaires aux projets. Son festival Yelen («lumière» en bambara), en septembre, à Baulmes, est l’un de ses événements phares. Il permet la découverte d’artistes maliens et suisses, entre traditions bambaras et helvétiques, du masque africain au cor des Alpes. «Ce sont autant de manières de montrer l’Afrique sous un autre jour que celui de la guerre et de la pauvreté, afin que les enfants originaires de ces pays puissent être fiers. Il s’agit de parler des belles choses qui existent dans ce monde», explique celle qui a écrit aussi deux livres, Ma cuisine malicieuse et Racisme côté couleurs. Ce dernier ouvrage est issu d’un projet développé avec 15 classes vaudoises autour de la tolérance et de la mise en valeur des différences. Infatigable, Mireille Keïta-Gilgien ne se départit pas de son sourire rayonnant, hormis quand elle revient sur le drame qui l’a marquée enfant, source de son engagement sans faille.
Drame fondateur
En 1991, Mireille n’a que 9 ans lorsqu’elle assiste impuissante aux brûlures mortelles d’une petite fille tombée dans une calebasse de mil bouillant. «Sa mère l’a emmenée à l’hôpital, mais elle devait payer pour accéder aux soins. Sans argent, elle n’a pas été secourue. Je me souviens du hurlement de cette femme, son enfant dans les bras, mort…» Face à cette injustice, la jeune Mireille n’a alors plus qu’un seul objectif: devenir médecin pour soigner, gratuitement. Ses parents, enseignants de métier, la soutiennent dans ses études. Elle est reçue à la Faculté de médecine de Strasbourg, mais le visa étudiant lui est refusé. En retard pour pouvoir encore s’inscrire à l’Université de Bamako, elle participe alors à un festival de théâtre et y tombe amoureuse d’un Suisse, son futur époux, qu’elle décidera de rejoindre.
«Ici, je me suis sentie très bien accueillie. Mon mari et ses amis connaissaient déjà très bien l’Afrique. J’ai pu rester moi-même. Pour se faire accepter, certains migrants, sans même le savoir, jouent un rôle. Or, il est important de ne pas se perdre. On ne peut donner que ce qu’on est.» Cette réflexion a amené Mireille Keïta-Gilgien à organiser les journées «Bienvenue chez moi» pour faciliter la rencontre entre familles d’ailleurs et familles d’ici autour de la cuisine.
Mère de trois garçons entre 12 et 17 ans, Mireille Keïta-Gilgien souligne la tension inhérente au métissage. «Blancs là-bas, Noirs ici. Avec le temps, ils ont compris que l’important est de savoir qui ils sont, au-delà de la couleur de peau, et d’en être fiers.»
Signe du destin
L’origine de l’association Farafina tient à sa rencontre, lors d’un de ses voyages au Mali, avec une petite fille de Sikoro à l’agonie à la suite d’une infection dans une joue. «Alima avait 9 ans, l’âge que j’avais quand j’ai été confrontée à la mort de ce petit enfant, se rappelle Mireille Keïta-Gilgien. C’était comme un signe du destin.» Elle décide alors de l’aider et de fonder une organisation qui pallie les frais de santé des habitants du village afin qu’ils puissent se faire soigner à Bamako, tout en construisant un centre pour les premiers soins… «Le dispensaire et la maternité sont pris en charge par les villageois eux-mêmes. Ils ont dû mettre une équipe de gestion en place, engageant sages-femmes, infirmières et stagiaires. Aujourd’hui, ils sont entièrement autonomes», se réjouit-elle.
La boucle n’est de loin pas bouclée, puisque les projets continuent d’émerger, à l’initiative également des gens de Sikoro. Dans la région du Nord vaudois, Mireille Keïta-Gilgien continue de partager sa joie de la danse, des contes, de la musique, du tissage pour mettre en lumière les riches traditions bambaras.
Son dynamisme, son intégrité et ses connaissances interculturelles ne sont pas étrangers au succès de ses projets portés uniquement par des bénévoles. En 2020, la Fédération vaudoise de coopération (Fedevaco) lui a décerné le premier prix Diaspora et Développement pour son projet exemplaire de partage de compétences et de ressources entre le Sud et le Nord. Mais la plus belle des récompenses reste, pour celle qui se rend chaque année à Sikoro, le regard d’un nouveau-né en bonne santé.