Du malheur de naître femme
Féminicides, harcèlement sexuel dans la rue, au travail, discrimination salariale: les drames et les injustices spécifiques aux femmes ont contribué à nourrir l’actualité récente. D’abord le 25 novembre, à l’occasion de la Journée internationale de lutte contre la violence exercée à leur égard. Cet événement a projeté une nouvelle fois une lumière crue sur les malheurs de naître femme dans un système où le masculin domine et dicte ses règles. Où l’oppression, frontale ou larvée, sert ses ambitions et soutient ses prérogatives. Dans nos frontières, cette date a été marquée par une manifestation nationale à Berne suivie par plusieurs actions et rassemblements régionaux. Des mobilisations encore et toujours désespérément pertinentes. Avec, en toile de fonds, le rappel d’une statistique qui reste cruellement stable et fait froid dans le dos: dans notre paisible Suisse, une femme est en moyenne tuée toutes les deux semaines par son compagnon, son ex-partenaire, son frère ou son fils, et parfois par un inconnu. Paroxysme de l’horreur, ces crimes ne sauraient occulter d’autres formes d’agressions sexistes ordinaires. De brimades et d’humiliations jalonnant la vie des femmes. Une violence structurelle découlant de cette organisation patriarcale de la société qui les légitime en sourdine. Et qui s’exerce dans toutes ses strates. Dans l’espace public. Dans la sphère privée. Dans le monde du travail. Un dernier contexte révélateur de l’ampleur du fléau: selon la dernière étude sur le sujet, un salarié sur deux subit au cours de sa carrière du harcèlement, dont une majorité de femmes, de jeunes, de personnes en situation précaire. Les cas les plus nombreux se retrouvent dans les branches en contact fréquent avec la clientèle, dans l’hôtellerie-restauration, le commerce de détail ou la santé, secteurs comptant une forte proportion d’employées. Des abus qui perdurent face à des employeurs n’assumant pas leur obligation légale d’assistance et de prévention.
A ces dérives s’ajoute encore le scandale des rémunérations injustes des travailleuses toujours moins bien payées que leurs homologues masculins. Selon la dernière enquête menée par l’Office fédéral de la statistique, l’écart salarial entre les sexes s’élève dans l’économie privée à 17,5%. Un manque à gagner qui se paie cash avec une rémunération amputée dans ce secteur de 1453 francs! Ce «trou» dans le budget des employées concernées n’est pas seulement problématique dans la gestion du quotidien, mais aussi à l’heure de la retraite alors trop souvent synonyme de pauvreté. Avec des rentes misérables qui ne permettent pas de vivre dignement. Sans que soit prise en compte la situation de nombreuses femmes qui ont dû travailler à temps partiel, s’acquittant toujours de la plus grande partie des tâches familiales et de soins aux proches. Et souvent confrontées à un manque criant de places en crèches. Et cela sans oublier enfin que les travailleuses composent toujours le gros des troupes dans les métiers les moins bien rémunérés.
Certes, comparé à la dernière analyse en la matière, l’écart salarial a légèrement reculé. Mais à ce rythme, c’est un océan qui aura passé sous les ponts. Et la part inexpliquée de la disparité des salaires, elle, a augmenté. Cette part-là se calcule une fois exclus les éléments d’ordre structurel comme les qualifications, la nature du poste occupé, l’ancienneté de la personne, etc. Autant dire que les discriminations sexistes ont le vent en poupe, quand bien même la Constitution exige depuis 1981 un salaire égal à travail équivalent. La révision en 2020 de la Loi sur l’égalité a clairement raté sa cible. Avec des contrôles demandés uniquement aux sociétés employant 100 personnes et plus – soit moins de 1% des entreprises – ou encore en l’absence de sanctions pour les contrevenantes.
Dans ce contexte, seules de véritables politiques défendant une tolérance zéro permettront de corriger le tir. Seuls une prise de conscience et un changement de mentalités atténueront les malheurs des femmes. La pression de la rue tend aussi à y contribuer.