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«Déboutées, mais debout!»

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© Thierry Porchet

Plus de 200 personnes, issues notamment des collectifs féministes et des syndicats, ont attendu durant trois heures devant le Tribunal fédéral dans un froid aussi glacial que le verdict. A la sortie de l’audience, plusieurs femmes politiques ou syndicalistes ont exprimé leur déception et leur colère, dont la présidente d’Unia, Vania Alleva. 

Le Tribunal fédéral refuse d’annuler la votation, malgré une information erronée du Conseil fédéral. Partis de gauche, syndicats et féministes ont exprimé leur colère à l’issue de l’audience.

«Nous sommes rouges de colère contre les fossoyeurs de nos retraites!» Des femmes, issues des collectifs féministes, des syndicats et des partis de gauche, hurlent leur indignation devant le Tribunal fédéral (TF) à la suite du verdict des juges. A l’unanimité, ceux-ci ont rejeté les recours qui demandaient l’annulation du scrutin ayant abouti au relèvement de l’âge de la retraite des femmes, ainsi que de la TVA. «Cette décision est un nouveau coup dur pour les femmes en Suisse. Elles sont privées d'une année entière de rente dans un système qui les désavantage déjà. Nous devons maintenant trouver des solutions pour améliorer considérablement leurs rentes», assène Vania Alleva, présidente d'Unia, devant les médias présents en nombre à Lausanne. Juste avant elle, la conseillère nationale socialiste Tamara Funiciello témoigne avec rage: «Nous avons perdu aujourd’hui, mais demain nous gagnerons.» La présidente des Vert-e-s, Lisa Mazzone, souligne, quant à elle: «Nous sommes en colère et amères contre le manque de courage des juges qui reconnaissent la violation du droit de transparence, mais banalisent encore une fois les conséquences de cette votation sur les femmes.» Et Michela Bovolenta, pour la Coordination romande de la Grève féministe, d'ajouter: «Nous sommes déboutées, mais debout!»
Dans un communiqué, Unia titre: Un Tribunal fédéral sans courage rate l’occasion de corriger le tir. Le syndicat exige dès lors des politiques et des employeurs des mesures concrètes: «Des salaires équitables, la reconnaissance du travail de soin non rémunéré dans l’ensemble du système des assurances sociales et le comblement de l’important déficit des rentes.» L’Union syndicale suisse (USS) demande également «des rentes plus élevées – en lieu et place de nouvelles coupes des rentes de veuves opérées sous prétexte d’égalité».

Informations erronées
En cette fin de matinée du 12 décembre, la colère et la tristesse sur les escaliers du TF contrastent avec le silence pesant qui a régné au sein de l’édifice, malgré un public nombreux, lors de la délibération publique des juges. Ceux-ci ont rejeté en bloc les recours «en raison de la sécurité du droit et de la protection de la bonne foi». La question de la gravité de l’information erronée du corps électoral est resté indécise. Toutefois, les deux juges femmes, l’une du centre et l’autre du Parti socialiste, ont dénoncé le manque de transparence et d’informations fiables de la part du Conseil fédéral. Il y a donc une violation de la liberté de vote au sens de l’article 34 de la Constitution fédérale («La garantie des droits politiques protège la libre formation de l’opinion des citoyens et des citoyennes et l’expression fidèle et sûre de leur volonté»). 
«Les explications du Conseil fédéral nourrit l’information générale qui revêt un souci d’objectivité plus important que les partis politiques, d’autres acteurs et les médias. Cette absence d’objectivité et de transparence a généré un niveau d’information erroné, indique l’une des juges. Reste que c’est difficile de fixer une limite.» 
Pour les autres juges, les prévisions étant par essence incertaines, le corps électoral devait en être conscient. Tous se rejoignent sur le fait que, si la jurisprudence est encore très jeune, elle «ne doit pas revenir à la légère sur une procédure de vote achevée dont le résultat a été validé». Par ailleurs, pour la Cour, «le projet de réforme AVS 21 était indissociablement lié au relèvement de la TVA», d’où l’impossibilité d’annuler l’un sans l’autre. «Les consommatrices et les consommateurs auraient payé trop de TVA depuis un an désormais. Un retour en arrière serait impossible. Quand bien même le relèvement de l'âge de la retraite des femmes n'entrera en vigueur qu'en janvier prochain, il est probable que de nombreuses femmes ainsi que les employeurs s'y soient déjà préparés», indique le communiqué du TF.

«Se battre sur d’autres fronts»
Après trois heures d’audience, dans les couloirs, Silvia Locatelli, secrétaire régionale d’Unia Neuchâtel et recourante, réagit à chaud: «Je suis dépitée. Ce qui a surtout pesé, c’est la sécurité du droit et le lien à la TVA. Des juges ont pourtant remis en cause la transparence du Conseil fédéral, mais le tribunal a été peu courageux. Il va falloir se battre sur d’autres fronts…» 
A ses côtés, Martine Docourt, responsable du département politique d’Unia, également signataire du recours, ajoute: «Au niveau syndical, nous avions évoqué à plusieurs reprises à l’époque que les projections étaient alarmistes.» 
«Cela remet en cause le fonctionnement de la démocratie», renchérit Me Romain Dubois, leur avocat. 
Dehors, Mariela Muri, militante féministe, ne cache pas ses larmes: «C’est scandaleux! C’est une justice classiste et sexiste!» Dans un communiqué, la Coordination romande de la Grève féministe abonde: «Si nous sommes déçues, nous ne sommes pas surprises, car nous savons que la justice est imprégnée des rapports de domination de classe, de genre et de race.» Elle fustige l’enquête administrative rendue publique «comme par hasard quelques jours seulement avant la séance du TF», qui indiquait notamment: «On ne peut pas parler d’erreur de calcul, en l’absence d’opérations erronées (…) ce sont deux formules spécifiques qui ont poussé les dépenses de l'AVS à la hausse dans le programme de calcul des perspectives financières de l'AVS validé en externe, et c'est ce qui a conduit à des prévisions peu plausibles sur le long terme (à échéance de dix ans).» 
Alors que le volet de la TVA de la réforme est déjà en vigueur depuis le 1er janvier 2024, le relèvement de l’âge de la retraite des femmes sera appliqué, progressivement, dès le 1er janvier 2025

Des erreurs de calcul lourdes de conséquences

Pour mémoire, le 25 septembre 2022, la réforme AVS 21 était acceptée à 50,5% de oui, avec un écart de 31195 voix seulement. Les femmes et la Suisse romande l’avaient refusée largement. «Or, les prévisions de déficit dans l’AVS brandies durant la campagne de votations reposaient sur des erreurs de calcul de la Confédération», rappelle l’Union syndical suisse (USS), qui avait, de son côté, avant les votations, fustigé les prévisions officielles qu’elle considérait déjà comme trop alarmistes. Le besoin de financement supplémentaire s’élevait ainsi, selon la brochure du Conseil fédéral – qui n’indiquait pas que ce montant était auréolé d’incertitudes liées aux méthodes de calcul – à environ 18,5 milliards de francs de 2022 à 2032.
Le 6 août 2024, l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS), comme l’indique le TF, «informait avoir constaté que la projection des dépenses à long terme de l’AVS semblait anormalement élevée». Selon ce nouveau calcul, les dépenses ont été revues à la baisse pour un montant de 4 milliards de francs environ. 
L’USS souligne: «Sans cette erreur de calcul, le processus de formation de l’opinion aurait pris une tournure différente.» D’autant plus que, sur dix ans, l’impact «correspond à peu près aux recettes supplémentaires que le relèvement de l’âge de la retraite des femmes aurait générées».
Dans les trois jours qui ont suivi l’annonce de l’OFAS, cinq recours ont été déposés dans les cantons de Vaud, Genève, Neuchâtel, Berne et Zurich, de la part de citoyennes, et d’un citoyen, majoritairement socialistes, ainsi que du parti des Vert-e-s pour demander l’annulation de la votation relative à la modification de la loi. Des recours balayés le 12 décembre. 

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