Femmes des classes populaires: un rôle central en Ukraine
La guerre en Ukraine a aussi une dimension sociale, en ce sens que les femmes des classes populaires engagées dans le bénévolat jouent un rôle central dans le soutien aux combattants et aux civils.
Née à Kiev en 1989, doctorante à Paris Nanterre et membre du Réseau européen de solidarité avec l’Ukraine, Daria Saburova en fait la démonstration éclatante dans Travailleuses de la résistance: les classes populaires ukrainiennes face à la guerre, ouvrage paru aux Editions du Croquant (2024).
Travail gratuit et domination
L’auteure met l’accent sur l’ambiguïté de ce travail de résistance pour aider les hommes au front (fourniture de nourriture, de vêtements, aide à ceux qui fuient la guerre), mais principalement porté par des femmes des classes populaires. Travail gratuit traversé par des rapports de domination, «leur activité bénévole est à la fois un espace de lutte contre l’oppression et une forme d’identification de l’exploitation, une affirmation d’autonomie et un renforcement de la dépendance». Plus concrètement, l’approche du bénévolat en termes de travail gratuit met en évidence l’exploitation dont cette activité fait l’objet et son instrumentalisation par l’Etat.
Tradition ouvrière
Selon Daria Saburova, le travail de résistance ne coïncide ni avec le militantisme pro-Maïdan et le développement de la société civile, ni avec le bénévolat humanitaire et les normes marchandes qu’il présuppose. Elle partage un tout autre point de vue: «Dans les classes populaires, la mobilisation actuelle contre l’agression russe se rattache plutôt à une double participation des femmes aux grèves ouvrières dans les mines et d’ancrage dans les réseaux d’entraide au niveau du voisinage typique des quartiers populaires.»
Une Ukraine diverse
A contre-courant de l’agenda «décolonial» des classes dominantes, qui devient un moyen de consolidation de leur pouvoir, Daria Saburova défend une autre idée de son pays: «Une Ukraine caractérisée par sa diversité culturelle et linguistique et reconnaissant la complexité de l’histoire du pays.» C’est d’autant plus vrai que 15% à 20% des habitants utilisent le sourjyk (mélange de russe et d’ukrainien) pour communiquer. A partir de là, l’auteure est convaincue que «la langue est un enjeu à part entière de la lutte des classes», car après l’indépendance, l’ukrainien et le russe se disputèrent la place de langue supérieure, alors que le sourjyk, plutôt utilisé par les classes populaires, endossa le rôle de langue inférieure. En d’autres termes, les dirigeants ukrainiens et russes utilisent la langue pour justifier leurs politiques et masquer les contradictions sociales du pays. Mais Daria Saburova est convaincue que «l’issue de la guerre déterminera les possibilités de reconfiguration des rapports de force sur ces multiples terrains».