Bras de fer avec Migros
Du 2e au 5e jour de grève, aucune solution n’a été trouvée. Les soutiens ont afflué en faveur des grévistes et des actions pour informer le grand public ont été organisées. Avant que Migros ne saisisse l’Office de conciliation
Vendredi 1er mars, 2e jour de grève. Au petit matin, Unia dénonce, dans un communiqué: «Le groupe Migros met sous pression les salariés et organise à grands frais des briseurs de grève. Migros refuse toujours de reconnaître la liberté syndicale ancrée dans la Constitution et sa propre CCNT. Des employés du site fribourgeois et de deux sociétés de travail temporaire (Adecco et Valjob) ont été sollicités par Micarna pour briser la grève; ce type de pratique est expressément interdit par la Convention collective de travail de la location de services.»
Reste que 90% des travailleurs du site poursuivent la grève, demandant toujours l’ouverture de négociations. Avec cette seule requête, des chefs de secteur se rendent dans le bureau de la direction. Ils en sortiront trois heures plus tard, sans résultat.
Vers 11h30, le président de l’Union syndicale suisse, Pierre-Yves Maillard, est présent pour les soutenir. «C’est un management par le mépris, indigne d’une entreprise comme la Migros!», s’insurge-t-il. Les travailleurs prennent la parole, se montrant plus déterminés que jamais. Ils expriment aussi leur colère et leur indignation face au responsable de production, Renaud Bompard, qui vient à leur rencontre dans l’après-midi, pour les inviter une nouvelle fois à «dialoguer». Il indique: «La direction ne veut pas négocier avec Unia qui n’est pas reconnu comme un partenaire social. On ne trouve pas le chemin pour aller de l’avant.» Un employé intervient: «Vous nous avez traités comme des chiens. Et la commission du personnel ne nous a pas soutenus.» Un autre abonde: «On mérite du respect. On a tout donné pour Micarna. J’ai perdu quatre kilos depuis l’annonce. On se fait du mouron...»
Si Renaud Bompard admet des erreurs, il estime quant à lui: «Nous avions une obligation de confidentialité.»
«Non, de consulter!», réagit le secrétaire syndical d’Unia, Noé Pelet. Le secrétaire régional, Arnaud Bouverat, l’informe qu’un tribunal, lors d’un autre conflit social, a estimé qu’Unia était représentatif, alors que le syndicat était mandaté par seulement 10% des salariés. Renaud Bompard refuse de se prononcer sur ce point, ainsi que sur la question: «Que pensez-vous du plan social?»
Troisième et quatrième jours
La grève est reconduite pour la nuit, le samedi matin 2 mars et le lundi 4 mars. Unia communique alors:«Les employés ont fait le point sur le courrier de Micarna reçu ce week-end par chaque salarié les intimant avant tout de reprendre le travail dès 5h00. Le personnel a décidé de reconduire la grève au vu de l'absence d'ouverture à la négociation de la part de Migros.» Pour tenter de débloquer la situation, le personnel et Unia adressent à Migros plusieurs propositions de modalités de négociations et l’engagement écrit de l’entreprise à ne pas exercer de représailles envers les grévistes. Durant la matinée, un cahier de revendications est établi avec les travailleurs sur la base du plan social Migros. A midi, les grévistes reçoivent le soutien des partis de gauche, et de Mike Nista, ancien président d’Unia Vaud.
A 15h, la délégation du personnel élue entre, sans Unia, dans l’entreprise pour porter les revendications des travailleurs auprès de la direction. Peu avant, le géant orange publie un communiqué de presse intitulé «Migros et ses partenaires sociaux réaffirment leur volonté de discuter avec le personnel». Pour la direction, les «revendications actuelles des collaboratrices et des collaborateurs peuvent être satisfaites dans le cadre du plan social mis en place. Des solutions individuelles sont prévues pour les cas particuliers et les cas de rigueur.» Elle ajoute: «Les partenaires sociaux de Migros (Association du personnel de boucherie et Société suisse des employés de commerce) se rendront également sur place pour s'entretenir avec les collaboratrices et les collaborateurs. Si ces discussions n'aboutissent pas à une solution, un médiateur doit être désigné. (…) Tous les partenaires sociaux confirment que le plan social de Migros Industrie va au-delà des standards de l'industrie.» De la poudre aux yeux pour Unia qui s’insurge, après la réunion: «Les salariés ont constaté que ce plan se résume à une peau de chagrin, bien en-dessous des usages, et bien maigre par rapport à l’image de responsabilité sociale que tente de se donner le géant orange. Les conditions d’éligibilité aux mesures sociales sont très restrictives. Les obligations faites aux salariés de retrouver du travail sont supérieures à celles prévues par l’assurance chômage.»
Cinquième jour
Au 5e jour de grève, mardi 5 mars, le personnel débraie dès 4h30 et décide de porter ses revendications devant la principale Migros de Lausanne. La réunion, la veille, entre la direction et la délégation élue n’a rien donné. François, 25 ans de boîte, 63 ans, rapporte: «Hier après-midi, il ne s’est rien passé du tout. La direction de Micarna nous a dit qu’elle n’avait pas le mandat pour discuter du plan social. Ce qui me révolte? C’est qu’elle nous propose le minimum du minimum. L’ancienneté n’est pas prise en compte. Si on n’accepte pas la place proposée, on nous sort du plan social…» A ses côtés, Luis indique que l’usine tourne, mais faiblement, notamment grâce aux temporaires mis sous pression. «Ce matin, le camion a amené quatre palettes de marchandises à travailler, contre 22 à 30 généralement.»
Les discussions de la veille entre le syndicat et Migros Industrie n’ont également abouti à aucun accord. Mais de nouvelles rencontres sont prévues: celle de la délégation des travailleurs avec les partenaires sociaux (l’Association du personnel de boucherie et la Société suisse des employés de commerce); et celle entre Unia et la direction de Migros.
Sur le site d’Ecublens, la présidente d’Unia, Vania Alleva, encourage les grévistes: «C’est important de rester unis. Les résultats ne tombent pas du ciel. Votre courage et votre détermination sont exemplaires.»
Vers 11h30, les travailleurs rejoignent depuis la place de la Riponne, le centre commercial Métropole 2000 qui abrite la Migros. Des tracts sont distribués – comme au même moment devant d’autres Migros de Suisse romande – et des slogans fusent: «M comme… Mépris!» ou encore «Stop au Micarnage!»
Parallèlement, la rencontre entre la délégation du personnel élue et les partenaires sociaux de Migros n’aboutit à rien. Ces derniers, selon Unia, ont «signalé leur impuissance et leur impossibilité de faire quoi que ce soit pour améliorer les conditions de fermeture de l’usine d’Ecublens». L’après-midi, le Conseil d’Etat vaudois, comme Migros, annonce avoir saisi l’Office cantonal de conciliation (OCC).
Epilogue
Mercredi matin, le personnel de Micarna prend acte de la saisine de l’OCC par le Conseil d’Etat. A l’unanimité, il décide de suspendre la grève. La délégation élue accompagnée d’Unia se réjouit de se retrouver enfin à la même table que Migros. Soit la principale revendication du personnel, bien avant la grève. Unia souligne, dans un communiqué: «La procédure devant l’Office garantit le traitement collectif du litige et empêche l’employeur d’exercer tout type de contrainte sur le personnel ayant participé à la grève, et toute répression individuelle.»