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Le manque de contrôles pointé du doigt

coiffure
© Thierry Porchet

Deux employés sur trois gagnent moins que ce qui est exigé par la Convention collective de travail de la coiffure.

La majorité des salons de coiffure et des barbershops ne respectent pas la convention collective de travail.

Les contrôles de la branche de la coiffure, menés par la commission paritaire en 2024, révèlent des dysfonctionnements qui surprennent par leur ampleur. Cela même si les cas de dumping sont connus depuis longtemps. Ainsi, deux employés sur trois gagnent moins qu’exigé par la Convention collective de travail (CCT). Le manque d’inspections effectuées dans la branche, qui regroupe salons de coiffure et barbershops, est l’une des raisons invoquées. Car, au rythme actuel, ceux-ci ont en moyenne une visite tous les quinze à vingt ans.

Or, même si les salaires de la CCT entrée en vigueur début 2024 ont augmenté, ils restent très bas. En 2025, une coiffeuse avec un CFC et trois ans d’expérience ne touche pas plus de 4280 francs brut. Avec 4,5 semaines de vacances seulement, pas de 13e salaire, des horaires difficiles dont une majorité de samedis travaillés.

Contrôles insuffisants

«Pour que les contrôles aient un effet dissuasif et que le respect de la CCT augmente de manière significative, il faut qu’ils soient nettement plus nombreux. Dans un secteur où les barrières à l'entrée dues à l’absence d’une réglementation de la branche sont déjà faibles, s'ajoute le risque du crime organisé et de la traite des êtres humains, notamment dans les barbershops. Dans ce contexte, les résultats sont graves, parce qu’on n’a pas les moyens de contrôler autant que dans d’autres branches ayant davantage de moyens financiers, déplore Igor Zoric, responsable national du secteur d’Unia. L’augmentation de la contribution de 80 à 100 francs pour chaque coiffeuse et coiffeur, ainsi que pour l’employeur (100 francs par année) va dans une bonne direction, mais ne suffit pas. Par contre, la hausse des peines conventionnelles de 8000 à 25000 francs est beaucoup plus dissuasive. Par ailleurs, les frais de contrôle et de procédure peuvent aujourd’hui être reportés sur l’employeur fautif, car vérifier une saisie de temps de travail insuffisante prend, dans certains cas, beaucoup de temps.»

Selon le responsable syndical, la solution trouvée au Tessin, il y a quelques années déjà, est une mesure essentielle. «Le Canton finance une partie des contrôles, ce qui permet beaucoup plus de visites de salons. Et les résultats sont là: les infractions ont diminué massivement», souligne Igor Zoric, qui regrette le manque de volonté politique dans les autres régions.

Postulat vaudois

Dans le canton de Vaud, 28 entreprises (101 personnes) ont été contrôlées en 2024, nous apprend le postulat du socialiste Romain Pilloud et consorts déposé en février. Toutes sont coupables d’au moins une infraction à la CCT, majoritairement sur la durée du travail ou les dispositions salariales. Le postulat alerte sur cette situation qui mêle sous-enchère salariale, exploitation, concurrence déloyale, traite d’êtres humains, blanchiment d’argent… et donne des pistes, en invoquant le rôle de la Direction générale de l’emploi et du marché du travail (DGEM) qui pourrait réaliser des inspections à grande échelle sur les questions du travail au noir, de concert avec les partenaires sociaux. Par ailleurs, le Canton pourrait également «renforcer des contrôles fiscaux ciblés afin d’identifier d’éventuelles incohérences entre les revenus déclarés et l'activité réelle».


«Lutter de manière proactive contre les abus»

Claudia Hablützel, responsable de la commission paritaire (CP), donne quelques précisions concernant les contrôles 2024 dans la branche.

Qu’est-ce qui vous a surprise dans ces résultats?

Il est étonnant de constater combien d'entreprises ne disposent toujours pas d'une saisie du temps de travail en bonne et due forme, même après diverses lettres d'information, newsletters et séances de formation organisées par la CP coiffure.

Deux employés sur trois gagnent moins que ce que prévoit la CCT coiffure. Pouvez-vous nous préciser ce résultat?

Sur 1260 collaborateurs contrôlés, 836 présentaient des écarts pécuniaires. Ces écarts vont de quelques francs à quelques milliers de francs. Pour environ 20% des entreprises contrôlées, les écarts se situaient dans une fourchette élevée.

Comment expliquez-vous que des dysfonctionnements aient été observés dans pratiquement tous les salons de coiffure contrôlés, et spécialement dans les barbershops?

Il s'agit tout d'abord de PME qui ont parfois une méconnaissance des règles ou un manque de savoir-faire dans le domaine de la comptabilité salariale, ainsi qu'un manque de temps pour s'occuper des questions administratives. Mais, dans certains cas, les écarts sont commis intentionnellement.

Lors des contrôles, il peut aussi y avoir des situations où l'on soupçonne du travail au noir. Dans le canton de Vaud, un travailleur a récemment pris la fuite alors qu'il venait supposément chercher sa carte d'identité. L'employeur a prétendu qu'il ne s'agissait que de journées d'essai et qu'il n'avait que son prénom et un numéro de téléphone portable. L'employeur a fait valoir qu'il n'employait pas de personnel, bien que des personnes y aient déjà été observées en train de travailler.

De quels types de dysfonctionnements parle-t-on généralement?

En ce qui concerne les écarts en valeur monétaire, voici quelques exemples: salaire minimum et catégorie professionnelle non respectés, salaire de vacances et indemnités pour jours fériés trop bas, pas assez de vacances, heures supplémentaires payées sans supplément, déduction trop élevée d’assurances sociales, voire pas d’assurances du tout, ou encore une non-prise en compte des diplômes. Concernant les conditions de travail, ce sont par exemple l'absence ou la mauvaise gestion du temps, des fiches de paie erronées, l’absence de contrôle des vacances et des jours fériés, l’absence ou l’insuffisance d'assurances.

Pensez-vous que l’amende qui peut se monter jusqu’à 25000 francs depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle CCT en 2024 fera son effet à plus long terme?

Les partenaires sociaux étaient d'avis qu’une peine conventionnelle de 8000 francs semblait plutôt basse et était trop peu dissuasive. En augmentant ce montant, les partenaires sociaux espèrent obtenir un effet préventif et à long terme. En 2024, le montant moyen de la peine conventionnelle se monte à 840 francs par entreprise environ, pour un total de 365000 francs (en tenant compte des régulations comptables, sans les pertes).  

Y a-t-il d’autres mesures pour remédier à ces violations de la CCT, selon vous?

Ce qui aiderait certainement, c'est d'informer les entreprises et que celles-ci suivent des formations sur la comptabilité salariale ou sur les bases juridiques. De surcroît, le secteur envisage de contrôler en particulier les entreprises dans la phase initiale de leur existence, afin de pouvoir obtenir un effet positif le plus tôt possible. La grande fluctuation des effectifs dans la branche rend toutefois cette tâche difficile.

Comment augmenter le nombre de contrôles encore bien trop faible? Pensez-vous que les autres cantons, à l’instar du Tessin, devraient aussi les financer?

Les contrôles dans la branche de la coiffure sont financés par les employeurs et les travailleurs au moyen de contributions aux frais d'exécution. Il s'agit d'une branche à bas salaires et l'adaptation de ces participations est donc limitée. Leur augmentation peut aussi susciter l'incompréhension, car beaucoup ne sont pas conscients de tout ce qui est financé grâce à elle. La branche se montre favorable à un engagement plus important de la part des différents acteurs, y compris des cantons, dans le domaine des contrôles (pas seulement sur le travail au noir, mais aussi sur l’hygiène, la déclaration des prix, la sécurité des produits, etc.), car elle est convaincue qu'il est payant de lutter de manière proactive contre les abus.

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