Depuis le temps des pharaons, voici plus de 5000 ans, jusqu’à l’actuel président, le chef de l’armée Abdel Fattah al-Sissi, l’Egypte a toujours été dominée par un pouvoir pyramidal et autoritaire
Ceux qui dirigent aujourd’hui l’Egypte ne se font plus enterrer dans des pyramides, mais leur pouvoir est toujours aussi autoritaire, vertical et militaire.
De Nasser à…
Ces septante dernières années en particulier, l’armée a joué un rôle central en Egypte. En 1952, le roi Farouk fut renversé par le Mouvement des officiers libres, fondé par Gamal Abdel Nasser Hussein, qui devint président de la République de 1956 jusqu’à sa mort en 1970. Régnant sans partage, Nasser ne fut cependant pas qu’un militaire autocrate. Comptant parmi les principaux leaders du tiers-monde, Nasser vit sa popularité grimper lorsqu’il décida de nationaliser le canal de Suez, en 1956. Et cela en raison du refus de la Banque mondiale, sous pression des Etats-Unis, de lui accorder un financement suffisant pour son projet de haut barrage à Assouan, lequel fournit aujourd’hui près des trois quarts de l’électricité du pays. L’héritage social de Nasser est conséquent. C’est grâce à lui que la plupart des Egyptiens eurent accès à l’enseignement et aux soins hospitaliers, lesquels étaient jusque-là réservés aux grandes familles. Nasser favorisa aussi une politique de grands travaux. Aujourd’hui, on pourrait qualifier Nasser de «populiste redistributif».
… à al-Sissi
Les décennies suivantes, l’armée fut toujours présente, mais il faudra attendre la période récente pour qu’elle joue de nouveau un rôle-clé. En 2011, l’Egypte connaît elle aussi son printemps arabe. D’énormes manifestations se tiennent sur la place Tahrir, au Caire, accompagnées de nombreuses grèves. Celle des instituteurs réunit 500000 participants! Le mouvement est soutenu par les Frères musulmans et, une année plus tard, c’est l’un des leurs, Mohamed Morsi, qui est élu président de la République. Celui-ci va renforcer le rôle de l’Islam dans la société et réduire les libertés d’expression et de réunion. La grogne monte, une pétition réunit plus de 20 millions de signatures. C’est dans ce contexte qu’en 2013, l’armée destitue le président Morsi. L’année suivante, Abdel Fattah al-Sissi, chef de l’armée, gagne la nouvelle élection présidentielle.
Sécurité et répression
Régnant sans partage, al-Sissi sera réélu en 2018 avec… 97% des voix, la participation étant toutefois inférieure à 50%. «L’ordre et la sécurité expliquent la confiance que les Egyptiens accordent à Sissi», remarque un observateur local. Et il est vrai que l’attaque de décembre 2018 qui a provoqué la mort de trois touristes vietnamiens et d’un guide dans le quartier des pyramides du Caire a été le premier attentat recensé en Egypte depuis juillet 2017. Le terrorisme ayant causé un tel traumatisme et des dégâts énormes au tourisme, l’ordre règne en maître en Egypte, où l’état d’urgence a été instauré en avril 2017. Sur les sites touristiques, la présence policière est massive. «En uniforme ou en civil», souligne un guide. Dans les aéroports, la surveillance est dédoublée. Vous devez franchir non pas un, mais deux portiques avant d’accéder à la salle d’embarquement! Tout cela n’excuse pas une profonde régression démocratique. Le parti du président est le seul qui existe véritablement et la liberté d’expression est fortement limitée. Les œuvres du grand écrivain Alaa El Aswany, auteur du mémorable J’ai couru vers le Nil(Actes Sud) sont interdites en Egypte. Selon l’ONG Front Line Defenders, les mouvements sociaux, les syndicalistes (en particulier les femmes) et les grévistes sont l’objet de représailles allant jusqu’à la torture. De plus en plus d’entreprises, d’après Mediapart, sont détenues par l’armée, qui y impose une véritable loi martiale.
Jusqu’à 60 élèves par classe!
Le maréchal al-Sissi, qui est un libéral bon teint, a quelque peu amélioré le système d’assurance maladie. Mais pour le reste, bien des progrès restent à accomplir:
• Le salaire minimum est dérisoire et seule une minorité bénéficie d’une vraie retraite (voir encadré), de sorte que beaucoup d’Egyptiens ont plusieurs jobs.
• On compte parfois jusqu’à 60 élèves ou étudiants par classe.
• Il n’existe pas d’assurance chômage. On peut se retrouver plusieurs années sans emploi fixe, ce qui favorise les petits boulots et le travail au noir.
• Enfin, la faiblesse des transports publics est synonyme d’un trafic automobile débridé et d’une pollution délirante, spécialement au Caire.
Pour caractériser la période actuelle, un élément plus général doit être pris en compte. A savoir qu’al-Sissi ne sera pas un nouveau Nasser, comme l’explique Mahmoud Hussein*: «Non seulement parce que l’Egypte n’a plus le même statut que sous Nasser, et que Sissi ne peut promettre aux Egyptiens ni la fierté nationale, ni les avancées sociales et économiques que Nasser avait pu leur prodiguer pour un temps. Mais d’abord, et surtout, parce que les Egyptiens ne sont plus ce qu’ils étaient sous Nasser.»
Moins de voiles
L’évolution semble plus rapide sur le plan des mœurs. Avant la Révolution (printemps arabe) de 2011, 70% des femmes égyptiennes portaient le voile. Aujourd’hui, cette proportion n’est plus que de 50%. Et le voile intégral, genre burqa ou niqab, n’existe presque pas. Jusque dans les années 1980, les femmes ne pouvaient pas choisir leur mari. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, même si les mariages arrangés existent encore. Alors que l’on comptait souvent une douzaine d’enfants par famille, le taux de fécondité est tombé à 3,26 en 2016. Car si l’avortement est toujours interdit en Egypte, la contraception s’y est fortement développée.
*Les révoltés du Nil, Grasset.