Les livreurs licenciés exigent que Smood assume ses responsabilités
Soutenus par Unia, les 218 travailleurs licenciés de la société sous-traitante Simple Pay veulent obtenir le paiement des arriérés salariaux et l’élaboration d’un plan social
Smood rechigne encore à assumer ses responsabilités vis-à-vis des livreurs victimes du licenciement collectif chez Simple Pay. Début août, cette société sous-traitante de l’entreprise de livraison de repas et de courses avait annoncé devoir se séparer de ses 218 employés faute de pouvoir répondre à l’injonction des autorités à se mettre en conformité. Fondée par une ancienne dirigeante de Smood, cette Sàrl fournissait une bonne partie du personnel de livraison. En rémunérant à la minute, soit uniquement durant les livraisons, sans prendre en compte les temps d’attente, elle ne respectait toutefois pas la Loi sur le travail ni la Loi sur la location de services. Et se retrouve aujourd’hui au bord de la faillite. «Nous refusons d’être laissés sur le carreau par la faillite de Simple Pay alors que nous avons travaillé pour Smood.» Lors d’une conférence de presse donnée mercredi dernier, Maher, un employé de Simple Pay, a résumé les revendications des livreurs.
«Les travailleurs demandent à être rapidement réengagés par Smood ou, dans le cas contraire, à ce qu’un plan social soit élaboré comprenant une aide à la recherche d’emploi et à la reconversion professionnelle», explique Helena Verissimo de Freitas, secrétaire régionale adjointe d’Unia Genève. Selon le syndicat, qui a accompagné les travailleurs durant la procédure de consultation pour licenciement collectif, Smood serait d’accord d’engager directement près de 150 livreurs. De son côté, Chaskis, société sous-traitante d’Uber Eats à Genève, serait intéressée par 50 à 60 autres. Le compte pourrait être presque bon, sauf qu’il ne s’agit pas d’une reprise collective du personnel, mais d’un recrutement sur une base individuelle et sans garanties.
Autre point important, les arriérés de salaires: «Nous voulons la garantie que toutes nos heures travaillées ainsi que nos frais professionnels seront intégralement payés», explique Maher. Or, Simple Pay et Smood se renvoient la balle.
En plus, le salaire d’août des employés de Simple Pay n’a pas été versé, mettant encore en difficulté des personnes déjà en grande précarité. «Sur les quatre derniers mois de travail, j’ai gagné entre 200 et 600 francs, c’est grâce à ma femme que je suis encore debout», témoigne Maher. Résidant à Martigny, le livreur est employé depuis 2019 sur la Riviera sans que Simple Pay n’ait versé un centime pour les frais de son véhicule. Entre les salaires dus pour le temps d’attente, les frais professionnels, ainsi que les majorations pour le travail du dimanche et de nuit, Unia a calculé à 61000 francs les arriérés de salaires en faveur de Maher. «Selon nos estimations, Smood doit plus de dix millions aux travailleurs», indique Roman Künzler, responsable de la branche logistique et transport chez Unia.
Simple Pay, «une coquille vide»
Smood ou Simple Pay? Les deux avocats du personnel mandatés par le syndicat, Mes Caroline Renold et Christian Dandrès, sont catégoriques: «Simple Pay est un montage permettant de gruger les travailleurs», assure la première. La fondatrice et gérante de Simple Pay n’est autre qu’une ancienne administratrice de Smood, ce qui, forcément, interroge. «Simple Pay travaille quasi exclusivement pour Smood, c’est une coquille vide créée pour que Smood ne soit pas en relation de travail directe avec les livreurs, un fusible que l’on peut faire sauter si les travailleurs revendiquent leurs droits», renchérit le conseiller national. La société qui avait engagé quelque mille livreurs est, raconte-t-il, «installée dans un sous-sol avec une table, trois ordinateurs et une machine à café». «Simple Pay nous dit ne pas pouvoir rémunérer les travailleurs, car Smood ne paie pas.» La situation était déjà la même au printemps 2021, lorsque AlloService, une autre société sous-traitante utilisée par Smood, avait dû licencier plus de 150 livreurs faute d’arriver à payer le salaire minimum cantonal genevois de 23 francs l’heure introduit à l’automne 2020. Smood refusait alors de changer les contrats et d’adapter ses tarifs. «Nous pensons qu’ils recherchent par une probable faillite de Simple Pay à se soustraire abusivement à leurs créances», indique Me Christian Dandrès. Des requêtes vont être déposées devant les tribunaux pour faire reconnaître la responsabilité de Smood.
Unia cherche aussi à interpeller la direction de Migros Genève. La coopérative régionale est en effet le principal partenaire de Smood, elle y a investi 16,3 millions, en détient 46% des actions et trois des cinq sièges du conseil d’administration. «Nous attendons qu’elle pèse de tout son poids pour débloquer la situation et parvenir à un accord équilibré, souligne Helena Verissimo de Freitas. Il serait incompréhensible qu’elle cautionne les pratiques socialement irresponsables et juridiquement douteuses de Smood et de Simple Pay.»