Malgré les accords de paix, les assassinats des défenseurs des droits humains persistent. La sénatrice Aída Avella Esquivel, Suisso-Colombienne, était à Lausanne pour dénoncer cette situation
Scotchés aux murs de la petite salle de conférence à Lausanne, des visages de militants colombiens assassinés ces derniers mois. Depuis la signature des accords de paix le 24 novembre 2016, 323 leaders de droits humains ont été abattus dans les rues de Colombie ou chez eux. «Essentiellement dans la région du Cauca, spécialement riche en matières premières», relève Aída Avella Esquivel, à gauche de l’échiquier politique, présidente de la Unión Patriótica(UP) et, elle-même, régulièrement menacée depuis ses engagements politiques et syndicaux dans les années 1970 déjà.
En 1996, celle qui est alors conseillère municipale de Bogotá,fait l’objet d’une attaque d’une envergure sans pareille. «Des paramilitaires ont tenté de la tuer sur l’autoroute… avec un bazooka», raconte le secrétaire cantonal neuchâtelois du POP, German Osorio, organisateur de la conférence de presse. Aída Avella Esquivel s’en sort miraculeusement indemne. Mais n’a d’autre choix que de tout quitter, du jour au lendemain. Elle trouve alors refuge en Suisse. Pendant 17 ans, la psychologue de métier vit à Genève, travaille dans une usine de chocolat, donne des cours d’espagnol, s’occupe d’enfants, se naturalise tout en continuant à militer pour la paix en Colombie.
L’Etat, complice?
En 2014, elle rentre en Colombie, malgré les craintes de ses deux fils. «L’un de mes petits-enfants dit avoir une grand-mère au ciel, et l’autre en Colombie. L’enfer en somme», sourit-elle, confiante en son ange gardien. «Mais, à mon âge, il n’y a plus de place pour la peur.»
A son retour, elle est propulsée comme candidate de l’UP aux élections présidentielles, puis finalement comme vice-présidente de la candidate du Polo Democrático Alternativo à la suite de l’alliance des deux partis.
Depuis, et malgré les menaces, Aída Avella Esquivel continue de dénoncer – notamment en Suisse, pays qui s’est engagé dans le processus de paix – l’impunité et les crimes:
«Il doit y avoir un plan, ce ne sont pas des meurtres isolés. Sans la collaboration de l’Etat, que ce soit par omission, collaboration ou des actions directes, ce ne serait pas possible de tuer ces syndicalistes, ces leaders indigènes, ces femmes et ces hommes qui se battent pour les droits humains. Quand il s’agit de personnes dirigeantes sous escorte, on s’en prend à leur famille. Les paramilitaires sont toujours actifs, et avec l’arrivée d’Iván Duque au pouvoir on peut craindre le pire.»
Le premier tour de l’élection présidentielle avait pourtant vu l’arrivée au second tour d’un candidat de gauche Gustavo Petro. Le 17 juin, il a remporté 42% des voix. Un fait historique. Mais la droite dure a, une fois de plus, gagné la bataille dans les urnes avec Iván Duque, proche de l’ancien président Uribe (2002-2010), qui succédera à Juan Manuel Santos le 7 août prochain. «S’il y a bien sûr une opinion en sa faveur, en Colombie, les politiciens ont coutume d’acheter les votes. Et bien sûr, nous n’avons pas l’argent de la droite pour mener campagne», confie Aída Avella Esquivel élue, quant à elle, au Sénat. «Dans sa première déclaration, Duque a annoncé vouloir rompre les négociations avec l’ELN (guérilla, ndlr), et réviser l’accord conclu avec les FARC. Comment est-ce possible dans un pays qui a tant souffert?»
Et de conclure: «Il y a des changements, mais la droite armée continue à tuer. Le trafic de cocaïne et les inégalités aussi. Alors que la Colombie est riche en ressources. Mais c’est cela aussi le problème, la rapacité des multinationales. L’histoire ne peut pas continuer à se répéter en Colombie.» Et pourtant Aída Avella Esquivel garde espoir. Les sièges de la gauche au Sénat sont déjà une victoire inespérée, et les élections régionales en 2019 ouvriront peut-être la voie à une nouvelle Colombie.