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Les ouvrières du textile paient le prix fort

Usine textile au Cambodge.
© Khmer Times/Khem Sovannara

La pandémie a mis en lumière les injustices profondes dans l’industrie textile. Les femmes constituent le 80% de la main d’œuvre et cumulent les inégalités. Il suffirait de prélever 10 centimes par t-shirt vendu pour que ces ouvrières touchent un revenu décent. Une pétition est lancée

Les personnes qui fabriquent nos vêtements sont parmi les moins bien payées au monde. A plus de 80%, ce sont des femmes. Ces ouvrières cumulent ainsi les inégalités, Nord-Sud et de genre, exacerbées par la pandémie. Déjà exploités, ces travailleuses et travailleurs supportent encore le coût de la crise et, de surcroît, au péril de leur vie. Comme le dénonce la Campagne Clean Clothes (CCC), initiatrice de l’action #PayYourWorkers, plusieurs millions de personnes travaillant dans l’industrie textile sont menacées de licenciement, n’ont plus reçu l’intégralité de leur salaire depuis des mois, alors qu’en temps normal déjà leur revenu ne suffit pas pour vivre. Chaque jour, sans équipement de protection adéquat face au Covid-19, elles mettent leur santé en danger. A ces mauvaises conditions de travail s’ajoutent des conditions de logement souvent très difficiles, notamment pour les ouvrières migrantes. Par ailleurs, insiste la CCC, «les ouvrières qui défendent leurs droits ou ceux de leurs collègues sont particulièrement menacées. La pandémie et les mesures prises pour y faire face sont utilisées comme prétexte pour les discriminer et limiter les libertés syndicales. Les travailleuses syndiquées sont souvent les premières licenciées.»

Indignée par cette situation, la CCC, en collaboration avec 215 organisations de défense des droits humains et syndicats, dont Unia, lance une campagne et une pétition sous le slogan #PayYourWorkers. Elles demandent aux enseignes de la mode de verser aux travailleuses et travailleurs l’intégralité de leur salaire ou de s’assurer que leurs fournisseurs remplissent cette obligation. Elles exigent aussi que les marques négocient et s’engagent pour un fonds de garantie, afin de pouvoir assurer le versement d’une indemnité en cas de faillite ou de licenciement. Enfin, elle réclame que les droits syndicaux soient respectés.

Manifestation au Cambodge.
Au Cambodge (photo), en Indonésie, en Inde et dans d’autres pays, de nombreuses ouvrières et de nombreux militants syndicaux se mobilisent pour la campagne #PayYourWorkers. © CCAWDU

 

Bénéfices indécents

Avec la crise, les travailleuses et les travailleurs peinent à se nourrir ou à payer leur loyer. «Dans une enquête, 70% d’entre eux ont déclaré sauter des repas ou réduire leur propre alimentation afin de nourrir leur famille. En annulant des commandes, en exerçant une forte pression sur les prix et en repoussant les délais de paiement, les clients internationaux des usines textile, dont les enseignes de mode, ont grandement contribué à la situation d’urgence dans laquelle se retrouvent les couturières et couturiers, alerte Elisabeth Schenk, responsable des campagnes de la CCC Suisse au sein de l’ONG Public Eye. Nous demandons qu’un revenu minimum leur soit assuré. Si les marques investissaient seulement 10 centimes par t-shirt cela suffirait pour garantir que les travailleuses et travailleurs du textile – qui ont rapporté à ces sociétés des milliards de bénéfices ces dernières années – reçoivent un revenu suffisant pour survivre à la pandémie.»

L’étude Un(der)paid in the pandemic du CCC montre que durant les trois premiers mois de la pandémie, au moins 3 milliards de dollars n’ont pas été versés aux employés des fabriques de vêtements. Alors que des enseignes s’en sortent avec des bénéfices. «Par exemple, le profit de Nike se monte à 1,3 milliard rien qu’entre juin et août, alors que cette société n’est même pas prête d’assurer le salaire minimum aux ouvrières qui produisent ses vêtements! Quel contraste honteux!», dénonce Elisabeth Schenk.

En moyenne 10% des employés de la branche ont perdu leur emploi. «Une enquête menée auprès de 400 ouvriers du vêtement a révélé que bon nombre d'entre eux avaient perdu leur emploi pendant la pandémie (environ un quart des sondés). Parmi eux, 70% ont déclaré ne pas avoir reçu l'intégralité de leur indemnité légale de départ et 40% n’avoir tout simplement rien touché», indique Elisabeth Schenk. Sans compter que dans les pays producteurs de textile comme le Bangladesh, le Cambodge, le Myanmar ou encore l’Inde, l’assurance chômage est défaillante voire inexistante.

Campagne à Berlin.
A Berlin, des militants ont démarré la campagne. Avec 10 centimes par t-shirt vendu, les marques pourraient garantir aux ouvrières un revenu suffisant. © CCC

 

Annulations de commandes

La CCC souligne que, déjà avant la pandémie, certaines marques payaient leurs fournisseurs trois mois seulement après leur livraison. Au printemps 2020, elles se sont permis d’annuler des commandes et ont même refusé de payer celles déjà produites. «Elles ont invoqué une clause de “force majeure”, souvent peu défendable sur le plan juridique. Les usines se sont alors retrouvées avec de la marchandise sur les bras et ont dû assumer les coûts de matériaux et de main-d’œuvre», souligne l’organisation. Des coûts qui se sont trop souvent répercutés au détriment des ouvrières.

Selon l’étude Leveraging Desperation, un fournisseur sur deux a vu ses commandes divisées de moitié en comparaison avec l’année précédente, et un sur cinq a même essuyé un recul de plus de 75%. La concurrence s’est accrue entre les fournisseurs, entraînant une diminution des prix de 12% en moyenne. «Pour ne pas perdre de clients, plus de la moitié des fournisseurs vont jusqu’à accepter des commandes qui ne couvrent même pas leurs coûts», indique la CCC. Celle-ci se réfère aussi à l’étude d’Oxfam Shopping for a Bargain qui fait état de négociations agressives sur les prix, de calendriers de commandes incertains, de délais serrés et de modifications des commandes à la dernière minute.

Face à cette exploitation, que peuvent faire les consommateurs occidentaux? Elisabeth Schenk propose: «Mettre la pression sur les grandes marques, en signant la pétition, en utilisant les outils d’action du site de la campagne, ou encore en sensibilisant son entourage pour dénoncer l’exploitation.»


Signer la pétition #PayYourWorkers sur: publiceye.ch (en français).

Suivre la campagne sur: payyourworkers.org (en anglais).

Liens pour accéder aux études mentionnées:
- Leveraging Desperation
- Hunger in the Apparel Supply Chain
- Un(der)paid in the pandemic

Vaste réseau international

La Campagne Clean Clothes (CCC) est un réseau international de défense des droits humains, des droits des femmes et des droits du travail ainsi que de syndicats, qui s'engage pour l'amélioration des conditions de travail dans l'industrie textile. Depuis sa fondation en 1989 aux Pays-Bas, la CCC s'est agrandie. D'un mouvement ancré en Europe avec des partenaires dans les pays de production, elle est devenue un réseau mondial, qui établit des liens entre les consommateurs et les employés des usines textiles. Plus de 250 organisations et syndicats d’Europe et d’Asie s’engagent pour faire pression sur les gouvernements, mettre les entreprises textile face à leur responsabilité sociale. En Suisse, la CCC a été fondée en 1999 par Public Eye, Pain pour le prochain et Action de Carême. Depuis 2003, Public Eye coordonne la CCC Suisse soutenue par Akte, l’Association romande des magasins du monde, Brücke - Le pont, Claro, la FRC, Stiftung für Konsumentenschutz, Terre des femmes Suisse, le Solifonds, l’USS et les syndicats Unia, Sit et SSP.

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