A Neuchâtel, un patron de pizzeria paye les salaires à la carte
Fortement endetté, l’employeur a beaucoup d’arriérés de salaires et son restaurant tourne au ralenti. Unia le met en demeure d’assumer ses responsabilités.
«C’est aujourd’hui qu’on a faim, le salaire, c’est pas pour demain !» Le slogan, crié au mégaphone, résonne dans toute l’avenue de la Gare, à Neuchâtel. Des passants interloqués regardent le groupe de syndicalistes d’Unia venu mener une action devant la pizzeria Fiorello, une adresse chic du centre-ville. Ces derniers ont apporté des cartons de pizza vides sur lesquels ils ont inscrit ce message à l’intention de la clientèle: «Vous lui payez votre pizza, il ne me paie pas mon salaire. J’ai faim!»
Mais ce vendredi 13 septembre en fin d’après-midi, le restaurant est encore vide. Seul un employé est présent en cuisine. Manuella Marra, secrétaire syndicale, essaie en vain de téléphoner au patron. «Il ne répond plus à nos appels ni à nos courriers, et il n’est jamais sur place…», déplore-t-elle. Avec ses collègues, elle voulait lui demander des comptes. Car ce monsieur fortement endetté, qui a repris le restaurant en mai, semble avoir une fâcheuse tendance à ne pas payer son personnel ni ses charges sociales.
«Avec le précédent patron, on recevait notre salaire tous les mois, raconte une ex-employée. Mais dès que celui-ci a repris l’affaire, il a commencé à y avoir des retards. Puis quand il nous versait enfin de l’argent, il n’y avait qu’une partie du salaire.» A l’instar de plusieurs autres collègues, elle a fini par démissionner fin juin. Or, comme eux, elle n’a touché aucune rémunération pendant son mois de délai de congé. Et malgré cela, elle ne pouvait pas prendre un autre emploi, tant qu’elle était encore sous contrat au Fiorello… «Entre les arriérés et le délai de congé non payé, j’ai vécu deux mois avec un compte en banque à zéro. Je ne pouvais plus payer mes factures et mon loyer, ni remplir le frigo. J’ai fait une dépression et perdu cinq kilos.»
Fournisseurs non payés
Les frigos du restaurant aussi se sont vidés. «Nous n’étions plus livrés par les fournisseurs, car ils n’étaient pas payés», confie Antonio Vecchio, l’ancien chef de cuisine, qui a également démissionné et réclame lui aussi des arriérés de salaire. «En tant qu’Italien, je n’aurais jamais cru que ce genre de chose soit possible en Suisse...» Le manque de denrées a obligé le cuistot à faire du bricolage. Mais l’exercice a ses limites. «Nous avons dû enlever la moitié des plats sur la carte.» Sur le site du Fiorello, il est désormais indiqué que la carte est «en cours d’élaboration»…
Aujourd’hui, il ne reste plus que trois employés: un pizzaiolo en formation, un serveur, et une cuisinière qui vient d’être engagée. «Elle est arrivée il y a trois jours et elle est déjà seule en cuisine, note Manuella Marra. Et ces trois personnes sont censées faire à elles seules un service normal, avec en plus un patron qui ne connaît rien à la restauration.» D’après Silvia Locatelli, secrétaire régionale d’Unia Neuchâtel, la pizzeria a réduit ses horaires, n’ouvrant plus que le soir, et seulement du mercredi au samedi. «C’est un modèle d’affaires qui pose question», s’étonne-t-elle. Pourtant, d’après les anciens employés, l’endroit faisait régulièrement salle comble auparavant.
Unia dénonce fermement cette pratique inacceptable qui laisse des familles sans revenus. Le syndicat espère vivement que le patron, que nous n’avons pas non plus réussi à joindre, finira par sortir de son mutisme et assumer ses responsabilités. Faute de quoi, l’affaire pourrait bien prendre un tour judiciaire.