Le Conseil d’Etat vaudois va donner suite au postulat de la socialiste Muriel Thalmann demandant la distribution gratuite de protections hygiéniques dans les écoles et les services du canton en faveur des plus précaires. Entretien
Beaucoup de femmes ne peuvent pas s’acheter de protections hygiéniques en Suisse. Etudiante, personne sans domicile fixe ou travailleuse gagnant un revenu irrégulier, nombreuses sont celles qui sont touchées par la précarité menstruelle. Et ce phénomène augmenterait avec la crise économique actuelle. Pour pallier ce problème, le Conseil d’Etat vaudois a récemment accepté un postulat relatif à ce sujet. Le texte, rédigé par la députée socialiste Muriel Thalmann, avait été, au préalable, adopté par le Grand Conseil vaudois à une voix près début mars de cette année. Plusieurs projets pilotes seront donc lancés ces prochaines semaines dans des dizaines d’établissements scolaires et structures d’accueil pour des personnes précarisées (migrants, SDF, etc.) Les autorités ont estimé le coût d’un appareil fournissant des protections hygiéniques à environ 1000 francs et entre 800 et 1000 francs sa recharge annuelle.
Le Canton de Vaud fait ainsi un pas de plus que celui du Jura – qui avait accepté fin mars une motion pour l’installation de distributeurs de serviettes hygiéniques gratuites dans les établissements scolaires – en élargissant l’accès. Lucerne, Berne et le Valais avaient, quant à eux, écarté ces propositions.
Auteure du postulat et députée au Grand Conseil vaudois, la socialiste Muriel Thalmann, précise les raisons de sa démarche.
Quelle est la teneur de votre postulat?
Il porte sur le libre accès et la gratuité de protections hygiéniques dans les établissements scolaires du canton et dans des services de l’administration communale accueillant des personnes dites vulnérables. Il s’agit de respecter la dignité des femmes et d’empêcher leur exclusion sociale. Les étudiantes n’auront par exemple plus besoin d’aller quémander des protections chez l’infirmière de l’école ou de rentrer à la maison se changer. Le postulat réclame aussi la mise à disposition systématique par des distributeurs, au prix coûtant, de protections hygiéniques et en libre accès dans les toilettes des établissements publics.
Pourquoi parler de ce sujet aujourd’hui? Résulte-t-il des récents mouvements féministes?
Oui, certainement, car cette thématique est devenue politiquement acceptable. Le fait qu’il y ait aujourd’hui de plus en plus de femmes au Grand Conseil vaudois a également pesé dans la balance. Le texte n’aurait probablement pas été reçu de la même manière il y a trois ans! En outre, mettre des protections hygiéniques à disposition dans les toilettes publiques contribuera à rendre ce sujet moins tabou.
Quels soutiens avez-vous reçus?
Les Verts, Ensemble à Gauche et le Parti socialiste ont tous les trois soutenu le texte. Quant à l’UDC et au PLR, ils reconnaissent le problème, mais estiment qu’il relève de la responsabilité individuelle des femmes.
Quel est le budget investi par une femme sur une vie en termes de protections menstruelles?
La RTS a estimé, dans une émission en 2020, qu’une femme dépensait en moyenne plus de 2300 francs sur toute une vie pour la seule acquisition de protections hygiéniques. Et que ces dépenses pouvaient s’élever à environ 4500 francs si l’on tient compte de tous les frais liés à la menstruation. Le fait qu’il existe aussi peu d’études sur la question montre bien que le sujet reste tabou. On sait que la précarité menstruelle existe en Suisse, mais malheureusement peu de recherches sont menées là-dessus. Dans notre pays, les protections hygiéniques ne sont pas considérées comme des biens de première nécessité. La Loi sur la TVA indique qu’elles font partie de la catégorie des produits de luxe. Elles sont donc taxées à hauteur de 7,7%.
Quelles sont les conséquences lorsqu’on n’a pas accès à des protections hygiéniques?
Il en découle plusieurs difficultés, notamment aux niveaux personnel et psychologique, car beaucoup de femmes se sentent honteuses à l’idée de devoir demander des protections hygiéniques. Une forme d’exclusion sociale est également observée lorsque ces personnes renoncent alors à sortir ou à suivre un cours par exemple. Des problèmes de santé comme des infections urinaires ou le syndrome du choc toxique (une maladie causée par l’utilisation de tampons hygiéniques, ndlr) peuvent également arriver lorsqu’on ne se change pas assez régulièrement.
Comment atteint-on une population qui est souvent invisibilisée (migrants, SDF, etc.)?
De la même manière qu’on les atteint avec les services de base via des structures comme les centres d’accueil, les abris mis à disposition en hiver ou des initiatives comme les Cartons du cœur. Il faudrait compléter les prestations qu’offrent ces lieux en y ajoutant la question des protections menstruelles.
Quels impacts la pandémie a-t-elle eus sur les personnes touchées par la précarité menstruelle?
Il est difficile de répondre à cette question, car aucune étude n’a malheureusement été menée à ce sujet. Mais il est fort probable que les personnes gagnant des revenus irréguliers, comme dans le milieu culturel, aient été plus touchées.