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«Sois sage, sinon Schwarzenbach viendra te chercher!»

Extrait de la bande dessinée.
© Editions Antipodes

En Suisse, durant les Trente Glorieuses, quelque 50000 filles et fils de saisonniers ont vécu des mois, voire des années, dans la clandestinité et la peur d’être expulsés. Une bande dessinée revient sur ce sombre épisode de notre histoire. Son titre: «Celeste, l’enfant du placard»

Il est des pans honteux de notre histoire que l’on souhaiterait ignorer. C’est le cas des enfants du placard, ces filles et ces fils de saisonniers qui ont dû vivre dans la peur et la clandestinité pendant des mois, voire des années, à cause d’une loi scélérate qui interdisait tout regroupement familial aux travailleurs immigrés bénéficiant d’un permis A.

Trop longtemps relégué aux oubliettes, cet épisode peu reluisant sort à présent de l’ombre. Parce que les principaux intéressés, devenus adultes, exigent désormais reconnaissance et réparation, et que des chercheurs et des journalistes commencent sérieusement à s’y intéresser. Il y a même une BD qui traite de ce sujet. Publiée cet été, elle s’intitule Celeste, l’enfant du placard.

«C’est le fruit d’une commande du Com.it.es (le Comité des Italiens à l’étranger, ndlr) de Berne, Neuchâtel et Fribourg qui voulait faire une bande dessinée sur l’immigration italienne à l’occasion des 50 ans de l’initiative Schwarzenbach», précise la dessinatrice et illustratrice Cecilia Bozzoli. Mais le Covid est passé par là et le projet a été différé de deux années.

Enfances volées

Le temps pour le scénariste Pierdomenico Bortune, professeur de langue et culture italiennes à Neuchâtel, de ficeler un scénario qui tienne la route. «C’est une fiction, mais tous les éléments qui s’y trouvent sont basés sur des faits réels, nous n’avons rien inventé!» Le style réaliste de Cecilia Bozzoli apporte une touche supplémentaire d’authenticité à ce récit. Et le choix du noir-blanc et du sépia ajoute un effet dramatique à l’ensemble. Une réussite!

L’histoire? Celle de Celeste qui raconte à sa jeune voisine Léane, une adolescente d’aujourd’hui, les affres de sa vie d’enfant du placard durant les années 1970: son passage de la frontière planquée dans le coffre d’une voiture, son impossibilité de sortir ou d’aller à l’école, ses interminables journées passées dans la solitude d’une pauvre mansarde, son désir de liberté et d’évasion...

50000 enfants du placard

«Les parents disaient à leurs enfants: Ne fais pas de bruit, sois sage, sinon Schwarzenbach viendra te chercher! C’était affreux, horrible!» Ce qui a encore frappé notre interlocutrice, c’est l’ampleur du phénomène: «Je connaissais l’existence des enfants du placard, mais je suis tombée des nues en apprenant que cela concernait des dizaines de milliers de gosses.» Rien que durant les Trente Glorieuses, d’après une récente étude de l’Université de Genève, ce sont quelque 50000 bambini (il s’agissait avant tout de jeunes Italiens) qui ont subi pareil calvaire!

Et la plupart de ces mômes sont sortis traumatisés de cette expérience, honteux également d’avoir dû vivre cachés comme des pestiférés de crainte d’être expulsés. «Des gens se sont ouverts à nous durant les séances de dédicaces, ils ont enfin osé partager leur vécu, c’était très émouvant.» Le travail de mémoire de Cecilia Bozzoli et Pierdomenico Bortune réveille les souvenirs et délie les langues. «Nous espérons qu’il contribuera aussi à ce qu’une telle histoire ne se reproduise plus.»

Couverture
Pierdomenico Bortune et Cecilia Bozzoli, Celeste, l’enfant du placard, Editions Antipodes, 2022.

 

Statut de la honte

Durant les décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, des centaines de milliers de travailleurs, principalement des Italiens, ont émigré vers le présumé Eldorado helvétique. Grâce au statut de saisonnier instauré dans notre pays en 1934, les entreprises ont ainsi pu recruter une main-d’œuvre corvéable à merci et bon marché.

Au cours de séjours limités à neuf mois, les saisonniers étaient logés dans des baraquements en bois tout juste salubres et trimaient souvent plus de cinquante heures par semaine pour un salaire inférieur en moyenne de 15% à celui versé usuellement. En sus, ils avaient l’interdiction de changer d’employeur et de domicile. Et si leur épouse était aussi saisonnière, ils n’avaient pas le droit de faire venir leurs enfants, lesquels étaient donc condamnés à rester au pays (soit chez un membre de leur famille, soit dans des pensionnats italiens proches de la frontière) ou à séjourner illégalement en Suisse.

Il a fallu attendre 1991 pour que la Confédération ouvre enfin les portes des écoles à ces filles et ces fils d’immigrés et 2002 pour qu’elle abolisse officiellement le statut de saisonnier. En tout, ce sont plus de six millions de permis A qui ont été délivrés à ces ouvrières et ces ouvriers de l’ombre qui ont largement contribué à la richesse et à la prospérité de notre pays.

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