«La nature n’est pas une fabrique»
Questions à Roman Kuenzler, membre de Multiwatch et coauteur du livre.
Comment est-ce possible que Syngenta puisse exporter des pesticides interdits en Suisse, comme le paraquat par exemple?
C’est une caractéristique du système impérial actuel. La pollution la plus visible, les empoisonnements par des pesticides les plus graves, les formes d’exploitations les plus extrêmes des êtres humains et de la nature se font dans les pays du Sud, pendant que les profits s’accumulent dans les pays du Nord, en Suisse notamment. Aujourd’hui, des milliers de personnes nagent dans le Rhin, la pollution de la chimie bâloise s’étant déplacée dans des pays comme le Brésil ou la Chine. Les dégâts perpétrés par l’agrochimie et l’agriculture industrielle dans les pays du Sud sont énormes: paysans spoliés de leurs terres, droit à la nourriture et à la santé bafoué… C’est un système très violent. Pour ne prendre que l’exemple du paraquat, celui-ci a fait l’objet de nombreuses expertises qui ont prouvé sa dangerosité. Dans notre livre, on a suivi la lutte d’une communauté à Hawaï qui se mobilisait pour réglementer l’utilisation massive de ce poison sur ses terres. C’est seulement après de nombreuses manifestations et des pressions continues à un niveau international que la situation a évolué avec l’obtention d’une zone tampon entre les champs d’épandage et les écoles, et l’obligation d’avertir la population lors de son utilisation. Mais ce n’est pas suffisant. Les victoires des mouvements citoyens existent, mais sont dures à mener. En Suisse, où siègent de nombreuses multinationales nuisibles au monde, nous avons l’obligation d’être aux côtés de ces mouvements et de remettre en cause le pouvoir de l’agrochimie dont le budget de lobbying est énorme.
Ce livre va dans le sens de la campagne d’Uniterre pour la souveraineté alimentaire. En quoi celle-ci pourrait freiner les pratiques des multinationales?
La souveraineté alimentaire est à l’extrême opposé de Syngenta et de Monsanto, car elle promeut une agriculture soutenable, agro-écologique et démocratique. Inscrire les revendications altermondialistes, développées par La Via Campesina, le plus grand mouvement social du monde avec plus de 200 millions de membres, dans la Constitution du pays où se trouve le siège du plus gros producteur de pesticides serait très important. Notre génération doit freiner le changement climatique, la dégradation des sols et de la biodiversité pour ne pas détruire le fondement de la vie organisée sur la Terre. Une autre politique agraire est nécessaire. Le concept de souveraineté alimentaire appliqué au niveau mondial ne laisserait plus de place pour des sociétés comme Syngenta et Monsanto. Heureusement, il y a une prise de conscience, et l’on sait aujourd’hui que la productivité peut être bien meilleure dans le système agro-écologique que dans celui des monocultures qui couplent OGM et pesticides et auxquelles s’ajoutent l’exploitation extrême des animaux et les transports de longue distance basés sur le pétrole. La nature n’est pas une fabrique. Les changements climatiques montrent l’urgence de privilégier une agriculture respectueuse de la nature et des humains.