LAUSANNE
Le monde du travail encore et toujours discriminatoire
Unia Vaud et son groupe d’intérêts Femmes ont organisé une action coup de poing (ou plutôt coup de batte) en détruisant un mur symbolique des inégalités. En ce 8 mars, vers 17h, des briques de carton sont posées sur la place du 14-Juin à Lausanne. Chacune porte un message dénonçant les discriminations faites aux femmes, plus particulièrement sur le marché du travail: réforme des retraites AVS 21; inégalités structurelles, notamment liées à la répartition entre travail rémunéré et non rémunéré; emplois précaires et peu valorisés; sexisme. Le mur s’élève au fil des discours des syndicalistes et des travailleuses du tertiaire qui énumèrent les inégalités «structurelles, fruit d’une société capitaliste, sexiste et raciste, régie par les rapports de domination», comme le dénonce Tamara Knezevic, secrétaire syndicale d’Unia Vaud. Puis, le micro passe de main en main, pour exprimer le ras-le-bol. «J’en ai marre des emplois précarisés qui sont composés majoritairement de femmes et surtout de celles issues de l’immigration», lance Anne, vendeuse. Eli, employée de commerce de détail, ajoute: «Au moment du départ à la retraite, les femmes reçoivent une rente inférieure de 37% à celle des hommes, soit d’environ 20000 francs de moins!» Nicole Vassalli, secrétaire syndicale, s’insurge contre l’exploitation, précisant: «Les femmes sont souvent confinées dans les emplois qui sont très pénibles physiquement comme le nettoyage et très peu payés comme l’industrie!» Tamara Knezevic renchérit: «Aujourd’hui en Suisse, les femmes consacrent 282 millions d’heures par année au travail gratuit, ce qui correspond à 148000 postes à temps plein!» Florbela, employée dans le secteur du nettoyage, évoque quant à elle les féminicides: «Les 24 des 27 personnes décédées dans le cadre de violences domestiques sont des femmes!» (selon des statistiques publiées par l’OFS en 2019) Et Marina, employée logistique e-commerce, de s’élever contre «les bas salaires qui concernent principalement les femmes parce que les métiers où elles sont majoritaires sont peu valorisés».
L’action se voulant participative, les secrétaires syndicales proposent ensuite aux personnes présentes d’écrire leur propre grief sur une brique. L’une d’elles note «charge mentale», et ajoute au micro: «J’en ai marre de penser pour deux!» Une autre écrit «micromachisme», et exprime son exaspération face «aux petites blagues machistes du quotidien». Une apprentie marque «clichés», puis explique en aparté: «J’aurais aimé faire pilote d’avion, car j’aime voyager. Mais à l’orientation scolaire, on m’a dit que c’était un métier d’hommes. J’ai alors pensé à hôtesse de l’air, mais on m’a dit que j’étais trop petite. Finalement, on m’a proposé un apprentissage de coiffeuse!» En fin de compte, cette jeune femme est aujourd’hui en apprentissage dans la restauration. «Je suis ici par hasard, je dois retourner au travail», lance celle qui ne connaissait pas, jusqu’à aujourd’hui, la Journée internationale des droits des femmes.
En soutien à l’Ukraine
Alors que la place lausannoise du 14-Juin s’emplit de monde, les pancartes fleurissent – «Sous les pavés, la plage. Sous les plafonds, la mère», «Nous sommes les petites-filles des sorcières que vous n’avez pas réussi à brûler». Et les slogans fusent: «Grève, grève, grève et mobilisation. C’est ça, c’est ça, c’est ça la solution!»; «So-so-so-solidarité avec les femmes du monde entier!»
Avant le départ du cortège composé de plus de 2000 personnes, de tous âges et de tous sexes, Geneviève de Rham, militante du collectif vaudois de la Grève féministe, revient sur l’appel de 45 organisations féministes russes contre la guerre (extraits ci-dessous). Puis, Hanna Perekhoda, au nom du comité Ukraine-Suisse, assène: «Le 24 février, Poutine a commencé l’invasion de l’Ukraine et le bombardement de la population civile. Cela fait huit ans qu’il mène une guerre honteuse contre les Ukrainiens. Elle a déjà fait 15000 morts et maintenant deux fois plus, rien que ces deux dernières semaines. Nous devons condamner cette guerre d’agression. La guerre est synonyme de mort, de violence, de pauvreté, de déplacements forcés, de vies brisées, de viols et d’absence d’avenir. Il s’agit de prendre une position forte contre Poutine, ce vieillard aux ambitions géopolitiques maladives, machistes, militaristes, impérialistes, colonialistes.» Et la jeune militante de rappeler le courage des femmes russes qui ont fait grève et sont descendues dans les rues de Petrograd (Saint-Pétersbourg) le 8 mars 1917 pour réclamer du pain et la paix, inaugurant ainsi la Révolution…
Extraits de l’Appel des féministes russes
- «Le féminisme, en tant que force politique, ne peut être du côté d’une guerre d’agression et d’une occupation militaire. Le mouvement féministe en Russie lutte en faveur des groupes vulnérables et pour le développement d’une société juste offrant l’égalité des chances et des perspectives, et dans laquelle il ne peut y avoir de place pour la violence et les conflits militaires.»
- «La guerre exacerbe les inégalités de genre et fait reculer de nombreuses années les acquis en matière de droits humains. La guerre apporte avec elle non seulement la violence des bombes et des balles, mais aussi la violence sexuelle: comme l’histoire le montre, pendant la guerre, le risque d’être violée est multiplié pour toutes les femmes. Pour ces raisons et bien d’autres, les féministes russes et celles qui partagent les valeurs féministes doivent prendre une position forte contre cette guerre déclenchée par les dirigeants de notre pays.»
- «Nous risquons toutes d’être victimes de la répression d’Etat désormais et nous avons besoin de votre soutien.»
Textes Aline Andrey
Photo Olivier Vogelsang