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«La grève n’est pas terminée»

Assemblée générale souveraine des cheminots grévistes d'Annemasse.
© Neil Labrador

L’assemblée générale souveraine des cheminots grévistes d’Annemasse vote la reconduction de la grève.

A la gare d’Annemasse, en France voisine, d’irréductibles grévistes poursuivent leur mouvement contre la réforme des retraites. Reportage

En France, le mouvement contre la réforme des retraites s’inscrit dans la durée, ce jeudi 23 janvier marquera le 50e jour de grève. Rappelons en deux mots que ce projet du gouvernement Philippe-Macron vise à supprimer les régimes spéciaux pour mettre en place une retraite dite universelle fondée sur un système de points calculés sur les revenus de l’ensemble de la carrière (au lieu des 25 meilleures années pour les salariés privés ou les six derniers mois pour les fonctionnaires) et à repousser l’âge de référence (fixé aujourd’hui à 62 ans). Si le mouvement social opposé à ce programme a battu un record historique dans la durée, il a peiné jusqu’à présent à s’élargir hors de la SNCF, de la RATP et de la branche énergie. Nous sommes allés prendre le pouls de ces irréductibles à la gare d’Annemasse. Cette agglomération à deux pas de Genève est l’un des nœuds du réseau ferroviaire Léman Express lancé le 16 décembre. Outre la question des retraites, les cheminots locaux se mobilisent aussi pour que les agents de la nouvelle structure obtiennent une prime de vie chère. Mais s’ils étaient 85% à croiser les bras le jour de l’inauguration, le taux de participants à la grève est aujourd’hui tombé à 15-20%. Et c’est une vingtaine de grévistes qui nous ont accueillis jeudi dernier dans les locaux de l’entreprise ferroviaire aménagés dans la vieille halle aux tractions. Comme chaque matin depuis le 5 décembre, les grévistes se retrouvent autour d’un jus avant de passer à 10h à l’assemblée générale de l’Intersyndicale.

Elan de solidarité

En ce 43e jour du mouvement, la question des indemnités de grève est sur la table. «Chaque jour de grève, on perd entre 70 et 100 euros, 120 euros pour ceux qui ont une prime de roulement», nous a confié dans la salle des conducteurs Laurent, l’un des cheminots, avant la réunion. Notons que le salaire d’entrée d’un conducteur SNCF est de 1500 euros sans les primes et qu’il n’y aura pas grand-chose sur la fiche de paie de janvier des cheminots qui participent au mouvement depuis le début. Pour surmonter l’épreuve, les collectifs de grévistes mettent en place des caisses de grève alimentées par les dons et les produits de manifestation, provenant aussi de Suisse (lire ci-dessous). «Sans cela nous n’arriverions pas à tenir, on ne pourrait tout simplement pas payer notre loyer. Il existe heureusement un grand élan de solidarité dans la population. Majoritairement, elle estime que cette réforme constitue une régression sociale et elle veut garder les acquis mis en place après la guerre», souligne Laurent. Reste à définir les modalités de partage de la petite cagnotte. Faut-il verser une indemnité à ceux qui n’ont cessé le travail que durant quelques jours et qui, faute de moyens financiers ou par découragement, ont décroché du mouvement? Après avoir pris acte des différentes propositions, l’assemblée de grévistes a remis la décision à plus tard pour passer à la discussion sur la situation politique et sociale.

Réveiller les gens

Depuis le début de l’année, les autorités ont fait quelques concessions à des régimes spéciaux et annoncé repousser l’introduction de l’âge de référence de 2022 à 2037. Le projet de loi sera présenté en Conseil des ministres le 24 janvier, puis soumis à l'examen des députés à compter du 17 février. «Le 24 janvier est une journée importante, il y aura des manifestations interprofessionnelles dans chaque préfecture et des actions locales. Malheureusement, on est de moins en moins nombreux, car la grève est longue», explique aux vingt cheminots et à la cheminote présents le délégué du syndicat Force Ouvrière, Thomas Thulliez. Il faut tenir jusqu’à cette date et d’ici là espérer que le secteur privé entre dans la danse. Délégué Sud-Rail, Philippe Gautier veut encore y croire: «Les gens étaient endormis, ils commencent à se réveiller. Cela sera-t-il suffisant? Macron représente un système à bout de souffle que l’on peut faire plier. Plus les jours passent, plus, il est vrai, ça sent le roussi. Mais la grève n’est pas terminée, il peut encore se passer quelque chose. Localement, nous n’avons plus beaucoup de grévistes, mais nationalement, ce n’est pas le cas, en Occitanie ou à Paris, ils sont majoritaires. Nous devons maintenir notre noyau de grévistes et tenter de l’élargir en téléphonant aux copains.» Les répercussions économiques du conflit ne pourraient-elles pas faire courber le gouvernement? «Sept raffineries sont à l’arrêt, je pense que nous commencerons à voir les pénuries d’essence en milieu de semaine prochaine», dit Thomas Thulliez.

C’est alors qu’intervient un jeune cheminot, Benoît, qui pointe les concessions faites à certains régimes spéciaux. «Et nous, qu’avons-nous gagné en 40 jours de grève? Est-ce qu’il ne faudrait pas essayer d’obtenir quelque chose pour les cheminots?» demande-t-il à ses collègues. «Nous n’obtiendrions rien, tranche Philippe Gautier. Et d’ailleurs, sommes-nous prêts à cautionner cette réforme ou, au contraire, voulons-nous continuer à être le moteur et à réveiller les gens?» Benoît n’est pas d’accord: «Au bout de 40 jours, les gens devraient commencer à savoir si cette réforme c’est de la m… ou pas. Ils se battraient s’ils en avaient envie. En 2009 et 2010, nous étions trois millions dans la rue. Je vois bien dans mon entourage que, même si la politique de Philippe n’est pas appréciée, on pense que la grève ne sert à rien et qu’il vaut mieux aller aux soldes.» Des propos qui font réagir plusieurs camarades expliquant à Benoît la difficulté pour les travailleurs du secteur privé, en particulier les précaires, de se mettre en grève.

Malgré cette divergence, la reconduction de la grève est votée à l’unanimité. L’après-midi, les cheminots grévistes ont défilé à Annecy, le chef-lieu du département, puis en fin de journée encore à Annemasse. Le lendemain, ils reconduisaient à nouveau la grève.

Dysfonctionnements Express

Depuis son lancement, le Léman Express côté français est bien en peine: peu de trains circulent et ceux qui roulent sont souvent annulés ou en retard. Les rames arrivant depuis la Suisse à Annemasse, ou en repartant, subissent aussi des retards. Ces dysfonctionnements résultent-ils de la grève, comme le laisse entendre la presse helvétique? Les cheminots que nous avons rencontrés s’inscrivent en faux contre cette explication. «La grève arrange bien la direction et lui laisse du temps pour mettre en œuvre le projet. Nous ne serions pas en grève que ça ne marcherait pas mieux. Il y a aujourd’hui suffisamment de conducteurs non grévistes pour faire tourner les trains, mais la direction n’y arrive tout simplement pas», assure Laurent. De gros problèmes de procédure aggravés par des formations données à la va-vite en seraient la cause. «Nous recevons un message de saturation lorsque deux trains arrivent en gare.» Jérôme, un autre cheminot, confirme: «Alors qu’un quart des trains circulent, ils doivent stationner 15 minutes avant de pouvoir entrer en gare.»

Les formations jugées lacunaires ont été pointées du doigt par les cheminots, qui exigent aussi une prime de vie chère. «On a fait venir des gens de toute la France pour travailler sur le Léman Express, certains ne touchent que le SMIC (1539 euros), alors qu’ici, on doit payer des loyers de 800 euros», explique Laurent. Les négociations sur ce sujet sont toutefois au point mort depuis l’ouverture du conflit sur les retraites.


Le soutien des p’tits Suisses

Dans un message signé de son président, Pierre-Yves Maillard, l’Union syndicale suisse a tenu à assurer les syndicats mobilisés contre le projet de réforme des retraites en France de son soutien et à leur souhaiter «courage, détermination et succès». «En Suisse aussi, le mouvement syndical se bat avec véhémence contre une tendance croissante à la privatisation de la prévoyance vieillesse», lit-on dans la missive.

La section SEV des Transports publics genevois (TPG) a également voté une résolution de soutien aux forces opposées au gouvernement, «qui dans sa logique libérale entraîne les classes populaires vers toujours plus de soumission et de pauvreté». Le SEV-TPG a, en outre, versé 2000 francs de son fonds de soutien à la caisse de grève de l’Intersyndicale des cheminots d’Annemasse, un geste bien apprécié par les intéressés. «Les résolutions de soutien sont bien jolies, mais l’enjeu maintenant est d’aider financièrement les grévistes. Il faut que cette solidarité soit le fait des fédérations syndicales nationales», estime le président du SEV-TPG, Vincent Leggiero. Le mécanicien juge que le conflit français nous concerne directement: «Ils se battent pour garder un système de retraites basé sur la répartition et éviter le régime de capitalisation que nous connaissons dans notre pays avec le 2e pilier et dont nous voudrions, de notre côté, sortir.»

Toute contribution à la caisse de grève des cheminots savoyards est la bienvenue: Iban FR76 1027 8024 0700 0220 0480 158 à l’attention de leur association: «C’est un vendredi», 83 rue de l’Eglise, 74450 Cervens.

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