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La restauration a faim de personnel

Cuisinier.
© Thierry Porchet

La branche de l’hôtellerie-restauration est confrontée à une pénurie de cuisiniers et de serveurs.

Face à la pénurie d’employés, une revalorisation des métiers de l’hôtellerie-restauration est nécessaire, selon Mauro Moretto, responsable de la branche à Unia. Entretien

Cuisiniers et serveuses seraient-ils en voie de disparition? Dans les faits, la branche de l’hôtellerie-restauration peine à recruter. En cause, les incertitudes liées à la crise du Covid-19, les fermetures à répétition et les difficiles conditions de travail, que ce soit en termes de salaire ou d’horaires. Dans les médias, des employés témoignent de leur reconversion liée souvent à leur besoin de passer davantage de temps en famille et d’une vie sociale «normale». Ne plus travailler les week-ends, ni les soirs, ne plus subir des horaires coupés. Les employeurs, eux, ont été pris de court par la dernière réouverture. Sans compter la difficulté à recruter à l’étranger. Résultat: avant la pandémie quelque 260000 personnes travaillaient dans la branche. Elles seraient actuellement 50000 de moins. Le point avec Mauro Moretto, responsable de l’hôtellerie-restauration à Unia.


Comment expliquer ces difficultés pour les employeurs à trouver du personnel?

Le manque de personnel qualifié dans les domaines de la restauration et dans l’hôtellerie existait déjà avant le Covid-19. Cette situation a été aggravée par l’insécurité qui s’est instaurée avec la pandémie. Les personnes en RHT ont dû faire face à une diminution de leurs revenus de 20%. Donc ceux qui ont eu l’occasion de quitter la branche l’ont fait et sont difficilement récupérables. Cela ne touche pas que la Suisse. En Allemagne ou en France, la situation est même pire.

Le taux de chômage dans la branche est pourtant élevé…

Il est généralement deux fois plus élevé que dans les autres secteurs. Cela s’explique par le fait que des personnes au chômage issues d’autres corps de métier trouvent du travail dans la restauration. Sans formation, elles sont souvent les premières à perdre leur emploi si l’établissement se trouve en difficulté. En retournant au chômage, elles seront enregistrées dans ce secteur, même si ce n’est pas leur profession de base. Ce mécanisme entraîne une augmentation du taux de chômage. Sans compter les personnes formées qui ne veulent pas retourner dans la branche.

Dans quels secteurs les employés de la restauration se reconvertissent-ils?

Sur la base de recensements effectués les années passées déjà, on en retrouve un peu dans tous les domaines, parce que leurs compétences sont très appréciées. Personnellement j’ai rencontré par exemple plusieurs membres de la sécurité ou de la construction qui provenaient de l’hôtellerie-restauration. Manifestement, avec la pandémie, les reconversions se sont accrues.

Qu’en est-il de la relève?

Depuis des années, beaucoup de places d’apprentissage restent vacantes. De moins en moins de jeunes veulent se lancer dans ces métiers. Et pour une partie de ceux qui se forment, cela ne représente pas le premier choix. Conséquence: de nombreux professionnels changent de voie seulement quelques années plus tard.

Comment expliquer cette situation?

Les conditions de travail, surtout les salaires et les horaires, ne sont pas assez attractives. Dans un article paru dans le journal de GastroSuisse, le témoignage d’un restaurateur dans les Grisons est emblématique. Son établissement continue de bien tourner car il a décidé de payer ses employés en arrêt à 100% et de leur octroyer un supplément de 100 francs pour pallier le manque de pourboires. De surcroît, leurs salaires étaient déjà au-dessus de ce que propose la Convention collective nationale de travail pour l'hôtellerie-restauration (CCNT). Cet employeur a su ainsi garder son personnel qualifié et assurer la qualité que les clients demandent. C’est un cercle vertueux. Offrir de bonnes conditions de travail permet d’avoir des employés compétents qui vont viser à la qualité de la cuisine et du service. Donc cela montre que c’est possible. Je ne vois pas d’autre alternative.

Cela ne signifie-t-il pas aussi des prix plus élevés pour la clientèle?

La branche est très hétérogène et vise donc un public large. Mais il est certain que les établissements touristiques ne vont jamais toucher un tourisme de masse, qui cherche des offres à bas prix. La Suisse a toujours été chère. Dans tous les cas, la qualité devrait primer, que ce soit dans les établissements populaires comme dans ceux haut de gamme.

Les associations patronales sont-elles conscientes du changement structurel nécessaire?

Certains représentants oui, d’autres non. Depuis deux ans, avant même le Covid, les négociations pour le renouvellement de la CCNT sont bloquées par GastroSuisse qui ne veut pas que les salaires minimums légaux cantonaux, quand ils existent, soient appliqués s’ils sont au-dessus de ce que prévoit la CCNT. GastroSuisse veut s’aligner sur ce que prévoit le salaire minimum jurassien ou bâlois: une exemption de s’aligner pour les branches soumises à des conventions de force obligatoire. Mais le vrai problème est autre: il n’y a pas eu de renouvellement de la CCNT depuis 2017. Or, son amélioration est l’instrument prioritaire pour rendre la branche plus attractive et faire face à la pénurie de main-d’œuvre. Nous souhaitons que les négociations pour de meilleures conditions de travail reprennent.

Quelles sont les revendications prioritaires des employés?

Notre conférence de branche a fixé des revendications claires, entre autres: une augmentation des salaires, la prise en compte de l’expérience, une meilleure reconnaissance des diplômes étrangers, une retraite anticipée…

Du côté des établissements qui ont particulièrement souffert des mesures liées à la pandémie, qu’en est-il des risques de faillites?

L’an passé, pendant le confinement, HotellerieSuisse avait mandaté la Haute école de Sierre pour mener une étude sur les risques. Ses résultats avaient conclu qu’un tiers des établissements étaient menacés de faillite. Or, cela n’a pas été constaté. Du moins pas encore. Il est difficile de savoir si les RHT ont eu un effet de report. On le saura dans six mois ou plus. Reste que des indices montrent que le nombre de faillites ne devrait pas être plus élevé que par le passé. Il y en a toujours eu beaucoup dans la branche, mais parallèlement les ouvertures sont plus nombreuses. Le nombre d’établissements soumis à la CCNT ne cesse d’augmenter.

Témoignage

Une serveuse en reconversion

«J’entends beaucoup parler de la pénurie de personnel, mais ce n’est pas si facile de trouver du travail.» Marie* a pourtant été gérante de plusieurs restaurants, preuve de son engagement et de ses qualités professionnelles, et compte plus d’une quinzaine d’années d’expérience. Elle ne cache pas sa désillusion face à un métier qu’elle a choisi très jeune. Après plusieurs mois de recherche, elle travaille actuellement comme serveuse. «Je suis payée 21,29 francs l’heure, autant qu’une étudiante n’ayant aucune formation. Mes horaires changent tout le temps, de très tôt le matin à très tard la nuit. C’est physique et fatigant», soupire-t-elle. Il y a une année, elle gagnait environ 30 francs l’heure dans un poste à responsabilités. Depuis son licenciement dû à la crise, elle a suivi plusieurs formations afin de se reconvertir dans le domaine thérapeutique. Elle paie elle-même ses cours et ne peut en parler à son conseiller ORP. «Pour lui, je dois être disponible sept jours sur sept. J’ai dû accepter ce poste de serveuse. C’est comme si on demandait à un médecin de redevenir stagiaire. Ni notre expérience dans le métier ni nos formations ne sont valorisées. Beaucoup de gens pensent que c’est à la portée de tout le monde. Mais c’est comme confectionner du pain. Chacun peut y arriver, mais faire un bon pain c’est une autre histoire.» Marie connaît d’autres serveurs souhaitant quitter la branche pour trouver une sécurité de l’emploi, de meilleurs horaires, des salaires décents et davantage de reconnaissance. «Nous sommes beaucoup à être engagés à l’heure. Le Covid a amené un surcroît d’insécurité. Beaucoup de patrons aiment changer de staff souvent pour éviter que leurs employés ne soient trop à leurs aises et demandent des augmentations de salaire. A mon avis, c’est un mauvais calcul, car former de nouvelles personnes prend du temps et la qualité du service s’en ressent. Pour ma part, si on me proposait un poste intéressant dans la restauration avec un salaire décent qui tienne compte de mon expérience, je ne chercherais pas à changer de métier.»

*Prénom d’emprunt.

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