Fermer les frontières: sagesse ou hérésie?
Si l’entrée en vigueur d’un salaire minimum à Genève chagrine le MCG, c’est aussi parce qu’il craint que celui-ci profite surtout aux frontaliers. «Certains employeurs jouent sur le différentiel entre les lieux de résidence pour payer moins leurs employés frontaliers, regrette François Baertschi. Cette surconcurrence salariale n’est pas saine, c’est pourquoi nous voulons un marché du travail structuré.» Aldo Ferrari contre avec des chiffres: «Selon le Seco, en 1996, avant l’entrée en vigueur de la libre circulation, il y avait 7% de différence salariale entre les frontaliers et les résidents. En 2016, l’écart s’est réduit à 4,5%. La libre circulation a donc baissé la pression sur les salaires et a mis fin aux statuts précaires de saisonniers et de travailleurs de courte durée.» Et de rappeler aussi que l’accord négocié avec l’UE a amené plus d’un million de nouveaux travailleurs, mais que le nombre de chômeurs en Suisse n’a pas bougé, représentant toujours 120000 personnes. Pour Unia, il n’y a pas de meilleure régulation de la concurrence que le salaire minimum, qui permet de maintenir le niveau des salaires. «On peut même dire que la libre circulation a en grande partie sauvé notre AVS, souligne le responsable syndical. Beaucoup d’Européens sont arrivés en Suisse avec de très hauts salaires.»
Vers du travail au noir massif
L’initiative pour une immigration modérée lancée par l’UDC et soutenue par le MCG, qui appelle à la fin de la libre circulation des personnes, s’invite dans le débat. «Il faut être fou pour dénoncer un tel accord qui prévoit une entrée en Suisse conditionnée au besoin économique et à un contrat de travail, et vouloir le remplacer par une fermeture des frontières qui va mettre en danger notre économie, nos droits et nos salaires», s’indigne Aldo Ferrari. Le représentant du MCG essaie de temporiser: «Nous ne voulons pas une fermeture stricte des frontières, mais reprendre notre souveraineté sur ces accords bilatéraux.» Faux, fustige le syndicaliste: «Vous surfez sur la grogne de certains Genevois excédés par les bouchons, mais si cette initiative est acceptée par le peuple, c’est l’administration qui décidera qui peut venir, ou pas. Sans accord de libre circulation, la loi sur les travailleurs détachés, comme tout le reste des accords bilatéraux, passent à l’as: le travail au noir va donc exploser, car les travailleurs, eux, ne vont pas s’arrêter de venir en Suisse.»
Main-d’œuvre nécessaire
François Baertschi lance une pique à son adversaire: «Je suis très surpris de voir que les syndicats défendent la libre circulation, qui est un dogme très libéral...» «Nous sommes pour que les travailleurs puissent travailler librement et décemment où ils le souhaitent, répond le vice-président d’Unia. A ce jour, nous, syndicats, sommes les seuls à avoir protégé les salaires des employés de ce pays, à travers les CCT et les salaires minimums. Nous devons être fiers de nos travailleurs extérieurs, car nous avons besoin d’eux. Dois-je rappeler qu’une majorité du personnel des HUG vient de France? Nous devons encore évidemment améliorer et renforcer nos mesures d’accompagnement, et c’est ce que nous faisons avec notre initiative des 23 francs.»