Une table ronde mise sur pied par le Bureau lausannois pour les immigrés a présenté les pistes possibles pour faire face à la pénurie de personnel actuelle et future
«Pénurie de main-d’œuvre: quels défis pour l’économie et la migration?» Voici le thème de la table ronde organisée le 19 mai dernier par le Bureau lausannois pour les immigrés (BLI) à l’occasion de la remise du Prix Diversité-Emploi-Formation (voir ci-dessous). «A moyen terme, la Suisse risque d’être confrontée à un manque de main-d’œuvre estimé entre 200000 et 300000 personnes pour 2030, voire même un demi-million», introduit Bashkim Iseni, délégué à l’intégration au BLI. Avec le départ à la retraite de plus d’un million de baby-boomers, cette pénurie devra être couverte par la migration, note-t-il, invitant à «favoriser une immigration régulière canalisée et contrôlée tout en évitant les discriminations sur le marché de l’emploi.»
Animée par Madeleine von Holzen, rédactrice en chef du Temps, la table ronde réunit une syndicaliste, Marie Saulnier Bloch, secrétaire nationale du domaine de la migration à Unia; une représentante du patronat en la personne de Vanessa Jeanneret, gérante du Café du Grütli à Lausanne; Giuliano Bonoli, professeur à l’Idheap, et Steve Maucci, chef du Service de la population du canton de Vaud. «Par son dynamisme, l’économie vaudoise se trouve déjà face à un déficit de main-d’œuvre dans certains secteurs, souligne Steve Maucci, notamment dans la santé, qui ne fonctionnerait pas sans les frontaliers, comme l’a mis en lumière le Covid-19». Face à la pénurie due au départ des baby-boomers, le professeur Bonoli propose non seulement de chercher à garder les chômeurs âgés sur le marché du travail mais aussi de trouver des forces à proximité. «La croissance économique de ces dix à quinze dernières années a été possible grâce à l’accord de libre circulation des personnes. En Suisse, les réactions à une société trop multiculturelle devraient nous pousser à aller chercher la migration la plus à portée de main.»
D’autres horaires sont possibles…
Dans la restauration, la pénurie est déjà très forte, explique Vanessa Jeanneret: «Depuis les fermetures dues à la pandémie, les gens se sont tournés vers d’autres domaines, ils ont connu ce qu’étaient des horaires de jour, non coupés, avec des week-ends en famille. Ces personnes ne sont pas revenues dans la branche.» Son café travaille avec une douzaine de salariés de toutes nationalités. Elle appelle à cultiver le lien social: «Sans nos employés, on n’est rien.» D’autres branches sont touchées par les départs, comme la santé ou la construction, ajoute Marie Saulnier Bloch. «De nombreux maçons changent d’activité, pas par dégoût de leur métier, mais par dégoût de leurs conditions de travail ou en raison d’atteintes à leur santé.» Rappelant les forts écarts d’espérance de vie entre Suisses et étrangers, elle invite à répondre aux besoins du marché du travail par des bonnes conditions d’emploi.
«Partenariats migratoires»
Face au déficit de main-d’œuvre, le chef du Service de la population propose la création de «partenariats migratoires» avec des pays ayant une forte diaspora en Suisse, comme ceux d’ex-Yougoslavie. «Nous pourrions autoriser leurs ressortissants à venir travailler ici, et leur offrir de la formation chez eux, tout en répondant à ceux qui craignent les vagues migratoires en leur disant que les migrants qui se comporteront mal seront renvoyés», détaille Steve Maucci. «Ça peut être une piste, mais il y aura moins de craintes si on recrute dans les pays de l’Union européenne. On va continuer à nous servir de cet énorme marché du travail, tout en améliorant aussi les marges de manœuvre au niveau des réfugiés», réagit Giuliano Bonoli.
Listant des pistes déjà proposées en Suisse, comme la hausse du taux d’activité des femmes, Marie Saulnier Bloch rappelle que, derrière les «flux», il y a des visages, des vies. Evoquant Max Frisch, elle indique qu’il y a beaucoup de bras, mais que, parfois, ils se cassent. «Il y a les besoins de l’économie, mais de la société aussi. La liberté économique dans une planète où tout le monde est mort n’amène à rien! Il faut améliorer et non démanteler les conditions-cadres pour protéger les salariés, bien les traiter.»
«Commençons par la régularisation!»
Lors du débat avec le public, la représentante de l’Association des femmes musulmanes dénonce la discrimination à l’embauche dont elles sont victimes: «Des femmes sont refusées sur le marché du travail parce qu’elles portent un voile. Nombre d’entre nous, qui avons des qualifications, des diplômes universitaires, sont obligées de rester à la maison.»
Une enseignante de l’accueil, révoltée face à l’impossibilité pour de nombreux jeunes talents déboutés de l’asile de poursuivre leurs études, forcés de travailler pour obtenir un permis B, interpelle, elle aussi, les orateurs. Vincenzo Sisto, président du groupe des migrants d’Unia Vaud, en fait de même. Emu, il témoigne de son parcours, de celui de ses frères, quand la Suisse a fait venir des bras il y a plus de 50 ans, appauvrissant son pays, l’Italie. «J’ai aussi perdu la moitié de mes copains, certains six mois après qu’ils ont pris leur retraite, d’autres six mois avant… Et maintenant, les patrons veulent faire bosser les maçons 50 heures par semaine!» Il ajoute que des milliers de personnes travaillent en Suisse depuis des années, sans statut légal. «On veut Papyrus! Commençons à régulariser et à former les gens qui se trouvent ici!» «Papyrus à Genève a été un succès, répond Steve Maucci. Dans le canton de Vaud, on s’est aligné sur les mêmes critères. On régularise, mais les gens ne sortent pas du bois. Vous avez raison, utilisons déjà les gens qui sont là.»
Le débat est ouvert. Il ne va pas manquer de se poursuivre…