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Sous les produits de luxe, des salaires de misère

Manifestation de travailleuses masquées devant Kelly Services.
© Thierry Porchet

Jeudi 1er juillet, une dizaine de travailleuses temporaires ont manifesté avec Unia devant Kelly Services contre la sous-enchère salariale subie.

Des travailleuses temporaires soutenues par Unia ont organisé la semaine passée une action devant les bureaux de Kelly Services à Vevey. Payées 14,45 francs brut de l’heure, elles exigent un salaire juste, respectant la Convention collective de travail de la location de services

«J’ai touché 2100 francs net le mois dernier. J’enlève 500 francs de frais de trajet, le loyer, les assurances et les autres frais fixes, et il ne me reste plus qu’à me mettre au régime!» L’une des travailleuses présentes en ce jeudi après-midi ne cache pas son ras-le-bol. Elle travaille depuis plus d’un an chez Marvinpac à Châtel-Saint-Denis, sous contrat temporaire avec Kelly Services dont les bureaux se trouvent à Vevey. «Avant, j’étais dans une autre boîte temporaire qui payait mieux!» souligne la frontalière. A ses côtés, une dizaine de travailleuses cachent leur visage sous des masques. Toutes ne sont pas prêtes à risquer leur poste, malgré des conditions salariales et de travail indignes.

Environ 90% des employés de Marvinpac sont des femmes. Beaucoup sont immigrées. Et il y aurait en moyenne quatre fois plus de temporaires que de fixes. Spécialisée dans le conditionnement, l’emballage de cosmétiques et de produits alimentaires, la boîte sous-traitante fribourgeoise rejette la responsabilité sur le locataire de services. Un de ses clients, Nespresso, a été aussi approché par le syndicat. La multinationale a dit vouloir prendre contact avec Marvinpac, selon Unia. «On doit montrer à nos clients qu’on travaille même pas pour un bol de riz!» lance une employée.

L’indécence du luxe

Devant les bureaux de Kelly Services, au centre de Vevey, les ouvrières défilent, portant à bout de bras des pancartes révélant le fossé entre ce qu’elles conditionnent et leur fiche de paie: une crème de la Maison Valmont à 220 francs les 50 millilitres, une autre de La Prairie à 200 francs les 6 millilitres. Derrière l’indécence du luxe, des salaires horaires bruts de 14,45 francs. Pire, comme le souligne la secrétaire syndicale Nicole Vassalli, «les travailleuses de plus de 50 ans touchent en réalité 14,15 de l’heure pour compenser leur semaine de vacances supplémentaire». Car, à ces montants, s’ajoutent 8,33% pour les vacances (4 semaines par année) et 10,64% pour les cinquantenaires et plus (5 semaines par année), portant leur salaire à 17,50 francs.

Les salaires d’usage inscrits dans la Convention collective de travail de la location de services (CCT LS) ne sont pas respectés. Noé Pelet, responsable industrie d’Unia Vaud, souligne au micro: «A titre d’exemple, une employée de 44 ans, avec un an d’ancienneté, travaillant 42 heures par semaine devrait toucher au moins 24,70 francs de l’heure. Il y a donc une différence de 10 francs. Soit 22000 francs par an spoliés de la poche de cette travailleuse.»

De surcroît, les plannings sont donnés moins d’une semaine à l’avance, et changent constamment. Le taux de travail n’est pas garanti et par conséquent le salaire non plus.

Portes closes

Pendant cette action publique de dénonciation, le syndicat et les travailleuses entrent dans le bâtiment de Kelly Services pour remettre leur lettre de revendications à la direction. Mais cette dernière reste sourde aux slogans qui retentissent dans la cage d’escaliers: «Travailleuses exploitées, vie privée sacrifiée, le luxe ne paie pas!» ou encore «Salaire de misère, travail précaire, pour les temporaires!» La lettre sera finalement scotchée à la porte d’entrée. En résumé, celle-ci demande une mise en conformité des salaires comme le prévoit la CCT LS, le versement rétroactif aux employés du manque à gagner, une planification du travail deux semaines à l’avance, la protection des femmes enceintes, la dignité et le respect…

Sébastien Schnyder, secrétaire syndical d’Unia, raconte: «Il y a quelques jours, j’étais au Tribunal face à ce même Kelly Services pour des salaires à 16,10 francs de l’heure. Je leur ai demandé qui pouvait vivre avec un tel montant? L’avocat de la boîte temporaire a répondu qu’en effet, ce n’était possible pour personne. Ils le savent et, pourtant, ils appliquent ces tarifs. C’est un scandale!»

Dans une prise de position écrite, Kelly Services réfute les allégations de sous-enchère salariale tout en précisant: «Cependant, nous prenons très au sérieux toute possibilité de manquement à nos devoirs d’employeur.» La société dit espérer une rencontre avec Unia en juillet «en vue de discussions approfondies et directes sur le sujet». «Un nouveau directeur général est en poste depuis trois mois et est en train de revoir les choses», souligne une porte-parole externe.

En Suisse, plus généralement, le travail temporaire explose. De 200000 personnes en 2008, elles sont aujourd’hui 400000 à se partager 95000 postes équivalents plein temps. «Cela entraîne une sous-enchère salariale et une flexibilisation à outrance», dénonce Noé Pelet. Passant à côté de la mobilisation, une dame d’un certain âge demande ce qu’il se passe. A l’évocation du salaire, elle lance: «C’est indécent. Moi, ma femme de ménage, je la paie 25 francs de l’heure!»

Paroles de travailleuses

«Cela me surprend qu’en Suisse, des tarifs puissent être appliqués aussi longtemps en toute impunité. En plus de ces salaires honteux, on nous parle super mal, sans politesse, avec des reproches incessants. J’espère que cette action apportera des résultats.»

«C’est la première fois que je manifeste comme ça. Mais ce n’est plus possible. On m’a même dit qu’on était bien payés, car nos CV ne sont pas intéressants. Ils nous dévalorisent et veulent nous faire peur. En plus, le planning change plusieurs fois par semaine. Avec cette action, on ne risque rien, à part d’être virées.»

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