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Deuxième set perdu pour la cause climatique

Haie d'honneur de militants du climat.
© Thierry Porchet

Formant une haie d’honneur, des militants du climat, toutes générations confondues, ont accueilli, avant le procès en appel, les avocats des activistes, ici Me Marie-Pomme Moinat et Me Irène Wettstein, et les jeunes acquittés en première instance.

La Cour d’appel cantonale a cassé le premier jugement qui acquittait les activistes ayant organisé une partie de tennis dans les locaux de Credit Suisse à Lausanne. Le Tribunal fédéral va être saisi

«C’est une interprétation du droit figée et déconnectée de la réalité. Le jugement d’aujourd’hui est un doigt d’honneur à la jeunesse qui se lève dans la rue.» Le ton est calme, la désillusion grande dans la voix du jeune condamné, à la sortie du Tribunal cantonal de Renens jeudi dernier. A côté de lui, ses camarades ayant participé à une partie de tennis parodique dans la succursale lausannoise de Credit Suisse le 22 novembre 2018. Leurs douze avocats confirment déjà leur recours au Tribunal fédéral et se disent prêts à plaider jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme. Me Marie-Pomme Moinat explique: «L’imminence du danger climatique a été reconnue. Malgré tout, on condamne des jeunes pour avoir voulu dénoncer des crimes écocides. La justice ne se préoccupe pas de la jeunesse, alors que les autorités ne font pas leur travail. Nous devons nous réveiller maintenant!»

De nombreux militants dont des Grands-parents pour le climat, certains les larmes aux yeux, sont venus les soutenir. Des articles de journaux collés sur des pancartes informent sur les changements climatiques aux conséquences désastreuses: incendies en Australie, en Sibérie, en Californie, inondations, fontes des glaciers...

Le public n’a pas pu entrer dans l’enceinte du tribunal comme cela avait été le cas le 13 janvier lors du premier jugement. L’euphorie et l’espoir suscités par l’acquittement d’alors ne semblent plus qu’un rêve. Jeudi 24 septembre, à 10h, c’est dans un silence de mort et dans un huis clos partiel que le président de la cour a rendu son verdict. Dans la salle, onze prévenus (un était excusé), douze avocats et une quinzaine de représentants des médias.

De l’impact de la désobéissance civile

La Cour composée de trois juges casse le premier jugement et donne raison au procureur général vaudois, Eric Cottier, auteur de l’appel. Selon elle, le réchauffement climatique est un danger imminent, mais les douze prévenus auraient pu utiliser des moyens légaux pour sensibiliser la population aux investissements dans les énergies fossiles de Credit Suisse. «C’est en définitive à tort que le premier juge a retenu l’état de nécessité licite», assène le président du tribunal Christophe Maillard.

Pourtant les prévenus et leurs avocats, lors de l’audience deux jours auparavant, avaient expliqué à plusieurs reprises que l’impact de l’action n’aurait pas eu cette ampleur sans la désobéissance civile. Autrement dit, cette parodie a eu un retentissement mondial, car elle a été portée devant le troisième pouvoir. En novembre 2018, ni Greta Thunberg ni Roger Federer ni les médias internationaux n’avaient réagi. En janvier dernier, si.

De surcroît, de nombreux courriers et interpellations à l’intention de la banque par des organisations climatiques n’avaient jamais reçu de réponse.

L’avocate de Credit Suisse souligne, dans sa courte plaidoirie, que sa cliente demande seulement le respect de son domicile et que les engagements durables de la banque, qui partage les préoccupations des prévenus, avaient été pris bien avant l’action.

Du «greenwashing» dénonce un avocat. Alors que les rapports scientifiques abondent sur l’impact de la place financière sur le réchauffement climatique, la pollution, la perte de la biodiversité et les déplacements forcés de population, Credit Suisse continue d’investir massivement dans les énergies fossiles.

Au contraire du juge de première instance Philippe Colelough, la Cour d’appel a estimé que les autorités politiques sont conscientes de leurs responsabilités et agissent pour lutter contre le réchauffement climatique, notamment avec la nouvelle loi sur le CO2. Or, ce texte était loin d’être voté lors de l’action de novembre 2018. Et ses mesures pourraient prendre effet au plus tôt au 1er janvier 2022, sans compter le référendum déjà annoncé. Comme l’indiquait une prévenue: «Le droit à la vie est garanti par la Constitution, mais le gouvernement ne prend pas les mesures nécessaires. Même la meilleure version de la loi sur le CO2 ne représente qu’un cinquième de ce qui est nécessaire pour ne pas dépasser 1,5 degré de réchauffement, comme le préconise le GIEC.»

Menace existentielle

La peur de l’avenir, le refus d’avoir des enfants dans un monde à la dérive, l’éco-anxiété ont été mentionnés à plusieurs reprises par les militants, tous universitaires. Une image amenée par l’un d’eux: «En haut du gratte-ciel, l’imminence du danger se situe juste avant que la personne ne saute, et non quand elle est à un mètre du sol… On est sur le point de sauter.» «On a peut-être même déjà sauté», a ajouté plus tard Me Moinat, s’appuyant sur la lecture de milliers de pages des rapports du GIEC et se basant sur une lettre écrite par une vingtaine de scientifiques à l’occasion de ce procès. Elle évoque la menace existentielle liée aux points de bascule (par exemple, à une certaine température, les forêts et les océans qui captent le carbone pourraient se mettre à en rejeter) et à la destruction des forêts et du dégel du permafrost qui réduit drastiquement notre quota carbone. Me Munoz a rappelé que les émissions de Credit Suisse correspondent au double de celles de la Suisse. Et que l’Office fédéral de l’environnement calcule que la place financière helvétique induit un réchauffement climatique de 4 à 6 degrés. L’avocat souligne: «Ces jeunes ont eu le courage de prendre des risques, avec la seule arme de l’humour et pacifiquement, pour nous alerter et faire bouger les mentalités sur cette question qui ne peut plus être confisquée par les politiques. Est-ce là une action condamnable? Ou une action légitime? Vous avez une occasion unique ici et maintenant de reconnaître le caractère exceptionnel et dégradé de l’état du monde qui légitime leur action.»

Me Bettex, ancien bâtonnier vaudois, a conclu les plaidoiries: «Inscrivez-vous dans l’histoire. Nous sommes à un point de bascule judiciaire et pas seulement climatique!» Pour lui, il s’agit de «s’interdire l’interprétation mécanique du droit sous peine de nous écarter du juste». Et d’ajouter: «Agissons et la désobéissance civile s’évanouira.»

La Cour ne l’aura pas entendu de cette oreille. Elle a ainsi retenu la violation de domicile, la contravention au règlement de police de la ville de Lausanne et l’opposition aux actes de l’autorité, étant donné que les activistes se sont agrippés les uns aux autres. Sur ce dernier point, la juge Aleksandra Fonjallaz a émis un avis contraire.

Leur peine à chacun: 20 jours-amende à 20 francs avec sursis (10 jours pour les deux militantes ayant eu le rôle de «gardiennes de la paix» et étant sorties avant l’évacuation de la police), une amende de 150 francs (100 francs pour les deux médiatrices), et les frais de première instance et d’appel à se diviser. Le procureur Eric Cottier s’est dit satisfait du verdict. Le représentant de Credit Suisse n’a pas voulu commenter: «Nous prenons acte du jugement.»

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