La fonction publique genevoise mobilisée
La journée de jeudi sera marquée à Genève par une grève des employés de l’Etat et du secteur subventionné*. Plusieurs milliers de fonctionnaires ont déjà débrayé il y a deux semaines
Ce jeudi 29 octobre à Genève, le Cartel intersyndical du personnel de l’Etat et du secteur subventionné, ainsi que le Comité unitaire de défense des services publics appellent à une journée de grève et de mobilisation*. Après diverses actions et assemblées, un défilé rejoindra le CICG, où siège le Grand Conseil qui examinera le projet de budget 2021. Le Conseil d’Etat veut obtenir des «efforts significatifs de solidarité de la part de la fonction publique, dont la rémunération et la sécurité de l'emploi n'ont pas été affectées par la crise». Il propose au Parlement une réduction linéaire des salaires de 1% pour les quatre prochaines années et leur non-indexation durant cette période, la suspension de l’annuité en 2021 et en 2023, et un report des charges de la Caisse de pensions sur les employés. L’ensemble de ces mesures provoquera, selon les calculs du Cartel, une perte de salaire cumulée de 6% à 9% au bout de quatre ans ou l’équivalent de deux à trois salaires mensuels perdus.
La fonction publique a déjà eu l’occasion de dire tout le mal qu’elle pense du projet le 15 octobre lors d’un tour de chauffe. Entre 3500 et 6000 personnes, selon les estimations, ont débrayé et défilé de la place Neuve à Saint-Antoine. Une mobilisation réussie dans la mesure où les manifestants ont dû affronter les frimas de l’automne, les risques de contamination et l’opprobre des éditorialistes. Alors que 90000 Genevois sont au chômage partiel, les fonctionnaires devraient, comme l’a résumé GHI, se montrer «conscients de leurs privilèges», «solidaires» et renoncer à «prendre en otage» la population…
«La baisse de salaire n’est pas un geste de solidarité. La solidarité est de prendre l’argent là où il est: chez les entreprises et ceux qui ont beaucoup gagné durant cette crise», rétorque Françoise Weber du bureau du Cartel. «En quoi une baisse des salaires dans les services publics pourrait-elle favoriser les travailleurs du privé? Ce serait tout au contraire un signal désastreux», estime, de son côté, Jean Burgermeister, député d’Ensemble à gauche et représentant du Comité de défense des services publics, qui regroupe syndicats, partis de gauche et organisations progressistes, dont Unia.
Salaires modestes et tâches difficiles
A la place Neuve, se retrouvent des membres et des syndicalistes Unia des EMS. «Quand on parle de fonction publique, on pense aux fonctionnaires, mais il ne faut pas oublier le secteur subventionné. Près de 6000 personnes travaillent ainsi dans les EMS. Elles ont été au front avec une responsabilité accrue durant cette crise, mais n’ont pas reçu de prime et voilà que le Conseil d’Etat, au surplus dans le contexte de la deuxième vague, veut leur baisser leur salaire, c’est inacceptable», s’insurge Anna Gabriel, secrétaire syndicale d’Unia Genève en charge des EMS.
«Nous avons eu beaucoup de cas et de décès, c’était assez difficile, on ne pouvait pas, comme d’autres, rester travailler à la maison. On a eu tout le long très peur de mettre notre famille en danger», témoigne Inès**, femme de chambre à la Maison de retraite du Petit-Saconnex (MRPS). «Nous avons demandé une prime, on ne nous a rien donné, à l’exception de deux jours de congé supplémentaires. Encore n’ont-ils été offerts qu’à ceux qui n’ont pas manqué. J’ai été absente quelques jours et je n’y ai pas eu droit, comme une collègue, qui a attrapé le Covid-19 au travail et a été un mois et demi en arrêt… Nous trouvons ces réductions de salaire injustes et sommes vraiment mécontentes.»
«Mon salaire n’est pas énorme, alors 150 à 200 francs par mois en moins, ça fait beaucoup», avoue Manuel**, employé polyvalent à la MRPS. «On parle pour le personnel hôtelier de salaires de l’ordre de 4000 à 5000 francs, tandis qu’une aide-soignante pourra avec ses annuités atteindre au bout d’un certain nombre d’années 6000 francs», précise Anna Gabriel. Des rémunérations qui ne relèvent donc pas du luxe dans une ville comme Genève.
Quant aux conditions de travail, elles sont également éloignées de l’idée de sinécure entretenue par la droite et les conversations de bistrot. «Plein de gens craquent à cause de la pression», assure Manuel. «C’est très dur, sur un effectif de 100 postes, il nous manque 14 personnes, explique Mahad Sufi Nur, employé à l’EMS Notre-Dame. Nous sommes stressés, ce qui se répercute malheureusement sur les résidents et provoque au final de la maltraitance. Il faudrait que l’Etat nous accorde plus de moyens.»
De la colère dans le cathéter
«Personne n’a idée de ce que nous avons vécu durant cette crise et à quel point nous avons été affectés physiquement et psychologiquement», explique une infirmière anesthésiste des HUG réquisitionnée aux soins intensifs. La jeune femme évoque «des patients en état critique à perte de vue, des alarmes incessantes, des salles de déchoquages qui ne désemplissaient pas» et la lourde tâche d’endormir des malades, «qui écrivaient un dernier message à leur famille ne sachant s’ils allaient les retrouver un jour», et d’accompagner les proches. Lorsque la crise est passée, il a encore fallu rattraper les interventions reportées et le temps de travail a été augmenté. Dans ce cadre, les annonces du Conseil d’Etat ne pouvaient pas être acceptées. «Est-ce une manière de nous remercier? De nous soutenir dans les efforts que nous avons fournis depuis plusieurs mois?» interroge la soignante.
«Vos décisions masquent un manque de considération», pouvait-on lire sur une banderole du secteur santé qui occupait la tête du défilé. Et une pancarte d’alerter: «Il y a de la colère dans le cathéter.»
*L’organisation de la mobilisation sera adaptée en fonction d’éventuelles informations de dernière minute et tenant compte des nouvelles dispositions sanitaires de sécurité.
Renseignements sur: cartel-ge.ch
**Prénoms d’emprunt.