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Les droits des femmes, un mobile honorable

Percusionniste devant le Tribunal cantonal à Lausanne.
© Thierry Porchet

Devant le Tribunal cantonal à Lausanne, une vingtaine de personnes sont venues soutenir les trois prévenues, dont cinq percussionnistes qui ont scandé: «Fières, vénères et pas prêtes de se taire!»

Vendredi dernier, trois féministes ont vu leur condamnation allégée par le Tribunal cantonal vaudois. Elles avaient participé à une manifestation lors du 14 juin 2020 dont le parcours n’était pas autorisé

«Les droits des femmes ont été reconnus comme mobile honorable par le Tribunal. Une première!» Me Valerie Debernardi ne cache pas sa satisfaction à la sortie du Tribunal cantonal après la lecture du verdict vendredi dernier en fin d’après-midi. Avec sa collègue, Me Claire Dechamboux, elle regrette toutefois de n’avoir pu obtenir l’acquittement des trois prévenues. Les peines sont toutefois allégées de moitié: 10 jours-amende de 20 francs ou 30 francs (au lieu de 20 jours en première instance), avec un sursis de deux ans, et une amende de 150 francs (au lieu de 300 francs). De surcroît, les frais de procédure ne sont plus imputés aux trois militantes, condamnées pour entrave au service d’intérêt général, entrave à la circulation, ainsi que pour empêchement d’accomplir un acte officiel en marge des mobilisations du dimanche 14 juin 2020 à Lausanne. La circulation avait été contenue pendant 45 minutes sur l’avenue de Rhodanie.

Avant l’audience, une des prévenues soulignait être tombée des nues en recevant son ordonnance pénale plusieurs mois après la mobilisation féministe décentralisée, mesures sanitaires obligent, suivie d’une manifestation qui avait dévié du parcours autorisé. «La police m’a demandé mon identité à titre informatif, m’a-t-elle dit. Et pourquoi nous, alors que nous étions environ 4000 personnes à manifester?» questionne l’universitaire.

Criminalisation

Durant l’audience, les avocates ont rappelé l’importance de la liberté d’expression et de réunion pacifique. Elles ont aussi demandé le retrait des vidéos prises par un policier, caméra à l’épaule. «Vingt-quatre vidéos avec des zooms insistants sur les visages clairement à but de fichage», dénoncent-elles. «Amnesty International a pris position sur ce procès et conclut aussi à l’acquittement, car le jugement est contraire aux droits fondamentaux d’expression et de manifestation et a un effet dissuasif non seulement sur nos clientes mais sur tous les manifestants», souligne Me Dechamboux. Une prévenue a indiqué, lors de l’audience, avoir suivi le mouvement sans connaître le parcours autorisé. Et vivre très mal l’épée de Damoclès que représente le sursis. Etudiante en droit, elle redoute l’inscription au casier judiciaire pour sa vie professionnelle: «Mais au-delà de mon cas individuel, j’ai très peur qu’on ne puisse plus s’exprimer dans la rue pour faire valoir nos droits. La question de l’autorisation ne devrait pas être déterminante face à la liberté de manifester.» Pour le Tribunal cantonal, les rassemblements autorisés lors de cette journée permettaient le droit d’expression et de réunion.

Quant à l’inexactitude des faits mise en évidence par les avocates, les juges ne remettent pas en question ni le rapport de police ni les vidéos prises par les forces de l’ordre. Reste que la présidente du Tribunal a souligné que le mobile honorable pouvait être retenu, car les prévenues avaient «agi par conviction et non par intérêt personnel», «pour défendre une cause».

Répression judiciaire

Ce procès va bien au-delà du cas des trois personnes condamnées. «Vingt-six personnes dont les cinq organisatrices ont reçu des ordonnances pénales pendant cette mobilisation», explique Clémence Demay, en marge du procès. Membre de la Grève féministe vaudoise, la spécialiste en désobéissance civile est aussi coauteure de Désobéir pour la Terre. «Mais une partie d’entre elles ont payé, par peur des démarches ou par manque d’information. Les charges contre les organisatrices de la mobilisation sont tombées grâce à l’intervention de leurs avocats. Mais deux autres personnes attendent encore une date d’audition.»

Elle indique la difficulté pour les militantes et leurs avocates de s’organiser face à la répression judiciaire, notamment liée à la non-jonction des causes. Cette individualisation des procès génère aussi des contradictions dans les jugements. «L’une des prévenues, inculpée dans l’action dans le hall d’UBS dont l’audience a eu lieu le 22 décembre, était également jugée pour sa participation à cette action du 14 juin. Mais dans ce cas, elle a été innocentée en première instance», précise Clémence Demay.

Devant le Tribunal, Geneviève de Rham, membre de la Grève féministe Vaud et du SSP, dénonce une politique de criminalisation des mouvements sociaux et politiques en Suisse et en Europe. «Ça m’inquiète, et j’invite les syndicats à se mobiliser également pour la liberté de manifester. Car cela ne concerne pas que les écologistes ou les féministes. A l’avenir, nous allons avoir besoin de mouvements de contestation forts pour contrer les effets sociaux de la pandémie.»

Manifestation du 14 juin 2020 à Lausanne.
Le 14 juin 2020 à Lausanne, les féministes ont manifesté en plusieurs lieux de la ville, à pied ou à vélo. Un des moments forts: la mise à feu d’une marionnette représentant le patriarcat au port d’Ouchy. © Olivier Vogelsang

 

Féministes et écologistes, même combat

Ces condamnations contre des militantes féministes pacifistes font écho à celles des écologistes dont les procès s’égrainent depuis plusieurs mois dans le canton de Vaud. Le 22 décembre, lors du premier procès de sept militants (sur une vingtaine) concernant une action contre les investissements fossiles d’UBS à Lausanne le 14 janvier 2020, le juge a allégé les peines, confirmant un vice de forme lors du dépôt de la plainte pour violation de domicile et dommage à la propriété (qui avait généré quelques frais de nettoyage) de la banque. Steven Tamburini de la Grève du climat explique: «On peut parler de victoire, parce qu’on évite une inscription au casier judiciaire et que ce procès montre le cynisme et l’incompétence d’UBS qui ne sait pas déposer plainte. Mais pour l’urgence climatique, cela ne change rien. De surcroît, le procureur peut encore faire appel.»

De nombreux militants dénoncent une intensification de la répression des mouvements sociaux par la police, et l’Etat. «Dans le cas UBS, la banque n’a pas fait appel. Et dans le cas de la Zad, Holcim a retiré sa plainte, mais le procureur, lui, maintient son accusation», explique Clémence Demay. «On assiste clairement à une criminalisation des activistes écologistes et féministes. Les grands procès ont permis, dans une certaine mesure, de médiatiser la cause climatique. Mais aujourd’hui, l’intimidation est telle qu’il y a démobilisation», déplore Steven Tamburini. Si la désobéissance civile repose aussi sur la médiatisation des procès, leur morcellement use les forces des mouvements. Tout comme la pandémie qui a freiné la mobilisation de nouveaux militants.

Sonja Hediger, de Doctors for XR (la branche médicale d’Extinction Rebellion), souligne: «Nous sommes beaucoup à devoir faire face à plusieurs procès en même temps à la suite d’actions de désobéissance civile pacifistes, à Lausanne, mais aussi à Berne ou à Zurich. Dans chaque canton, les méthodes changent. Nous sommes jugés séparément, mais les juges vaudois font des “copier-coller”. Et il ne va pas de soi de faire appel. Cela coûte beaucoup d’énergie et de l’argent.»

Pour Clémence Demay, le juge a une marge de manœuvre, et ce malgré la jurisprudence rendue par le Tribunal administratif fédéral concernant l’action des «joueurs de tennis» à Credit Suisse. «L’état de nécessité est difficile à invoquer après cette décision, mais les enjeux de liberté d’expression et de manifestation sont des arguments importants. Rien n’empêche qu’une jurisprudence soit affinée. Et ce jugement du Tribunal fédéral est contesté à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Des possibilités existent pour faire évoluer le droit, mais cela nécessite un travail argumentatif qui n’est pas dans la culture des tribunaux suisses. Reste que ces procès font beaucoup parler et sensibilisent au sein même du système judiciaire.»


Zad en procès

Au moment du bouclage de ce journal lundi, le procès de cinq zadistes du Mormont débutait au Tribunal de La Côte, avec, en marge des conférences, des ateliers, des pièces de théâtre et des manifestations. Les condamnations à l’encontre des militants qui ont fait appel sont lourdes: plusieurs mois de prison ferme. «Preuve de l’acharnement de la justice contre les personnes qui dénoncent l’injustice des multinationales qui sapent notre patrimoine et détruisent la Terre», estime le collectif de soutien Zad de la Colline. «La justice vaudoise par l’intermédiaire du procureur Eric Cottier, continue de poursuivre avec acharnement les activistes, démontrant la volonté de l’Etat de détruire toute voix alternative.» A Zurich, en effet, la condamnation d’un zadiste a été classée sans suite. Trois rapporteurs de l’ONU ont aussi fait part de leur préoccupation et rappelé que la désobéissance civile est protégée par le droit international. Un collectif d’avocats appelle pour sa part à l’amnistie.

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