A la faveur d’un manifeste, d’une pétition et de petits films, les salariées et les salariés des cafés, restaurants et hôtels veulent attirer l’attention sur leurs difficiles conditions de travail
Les travailleurs et les travailleuses de l’hôtellerie-restauration ont un manifeste. Signé par 80 employés de la branche de toute la Suisse et rendu public mercredi dernier lors d’une journée d’action, Nous voulons une vie digne! veut attirer l’attention sur les difficiles conditions de travail et d’engagement dans l’hôtellerie-restauration et sur la nécessité d’y apporter des améliorations. Ces serveuses de café et de restaurant, cuisiniers et commis, gérants ou employés d’hôtel expliquent avoir souffert de la crise sanitaire par le chômage, par des baisses de revenu et, très souvent, par la perte du poste de travail, alors que les conditions dans leur domaine d’activité étaient déjà précaires avant la pandémie. Le manifeste évoque «des horaires coupés, des salaires trop bas, des plannings modifiés ou annulés à la dernière minute» et indique que le salaire minimum s’élève à 3477 francs seulement. «Comment vivre en Suisse et payer nos factures à la fin du mois avec un salaire si bas et le coût de la vie aussi élevé?» Quant au temps de travail, il varie entre 42 et 45 heures par semaine. Encore que nombre d’employés sont sous contrat d’extra et payés à l’heure sans aucune garantie d’un salaire minimum à la fin du mois. Le texte se conclut par onze revendications (lire ci-dessous) adressées aux organisations patronales en vue du renouvellement de la Convention collective nationale de travail de l’hôtellerie-restauration (CCNT). Celles-ci sont donc invitées à revenir à la table des négociations et, en particulier, GastroSuisse, la plus importante d’entre elles, qui, fâchée par l’obtention de salaires minimums dans différents cantons, bloque depuis trois ans les pourparlers. Les revendications sont reprises dans une pétition publique. Les syndicalistes et les militants étaient présents dans une dizaine de villes la semaine passée pour recueillir des signatures.
Sept courts métrages
Soutenue par Unia, la campagne du personnel s’appuie aussi sur des affiches et sur sept courts métrages réalisés à Neuchâtel. «Nous avons de la chance et nous sommes très fiers de disposer d’un comité régional de branche d’une dizaine de militants et de militantes qui se sont fortement engagés dans cette campagne», se félicite Isabel Amian, responsable de l’hôtellerie-restauration pour Unia Neuchâtel. Mercredi dernier, en traversant la place des Halles de Neuchâtel, les passants pouvaient s’arrêter pour regarder les vidéos sur leur smartphone à l’aide d’un code QR. Salaires, contrats sur appel, plannings, heures supplémentaires, congé paternité, harcèlement et formation des responsables: ces films visibles sur unia.ch abordent les principaux problèmes soulevés par le manifeste. Ils s’ouvrent sur une saynète jouée par quatre employés de l’hôtellerie-restauration, puis l’un de ces militants, face caméra, exprime la revendication du personnel.
Secrétaire syndicale d’Unia Neuchâtel, Manuella Marra nous livre les coulisses du projet: «C’est un travail mené en commun par le comité. Toutes les scènes des vidéos sont des expériences vécues. Nous en avons discuté ensemble pour écrire les scripts. Puis, nous nous sommes donné rendez-vous le 28 février à la Colonia libera italiana de Neuchâtel, qui nous a prêté aimablement ses locaux. Nous avons travaillé d’arrache-pied de 7h30 à 17h30, en mangeant des spaghettis à midi, qui nous ont servi pour la scène de l’assiette retournée. Nous avons bénéficié de l’aide de la compagnie de La Grande Ile, ainsi que de la comédienne et metteure en scène Catherine Fragnière, qui a bien coaché les participants. Nous avions demandé à des collègues d’Unia de venir faire les clients avec leur famille. Quant au rôle du patron, il est assuré par un comédien professionnel, Yves Adam, qui donne du rythme aux saynètes.»
«Le harcèlement, nous le vivons toutes»
«Jouer, c’était assez facile, car c’est du vécu», confie Vanessa, alors qu’elle fait signer la pétition sur la place des Halles. Cette employée de la restauration âgée de 33 ans apparaît dans trois vidéos, dont celle consacrée au harcèlement où l’on voit un pilier de comptoir lui attraper la main en lui proposant d’aller boire un verre après le service. «Le harcèlement, nous le vivons toutes. Certains clients adorent toucher les serveuses, leur prendre le bras ou la main. Il faut savoir se retirer, mais tout le monde n’en est pas forcément capable. L’employeur doit intervenir dans ces moments-là. Or, dans beaucoup d’établissements, le patron ne braille pas quand son employée est en détresse.» Comme le montre bien le film. Pour lutter contre ce fléau, la jeune femme réclame la mise en œuvre d’un dispositif anti-harcèlement et la formation des responsables du personnel.
Son collègue, Kevin, cuisinier de formation, 33 ans également au compteur, exige aussi que les patrons se forment en management et gestion des conflits. Dans l’un des films, on voit le patron perdre le contrôle de ses nerfs et renverser de rage une assiette de spaghettis devant le pauvre Kevin. Par rapport à la réalité, ces films restent cependant «light», selon lui. «J’ai vécu des violences corporelles», assure celui qui a commencé à travailler en cuisine dès l’âge de 15 ans. «En ce qui concerne les heures supplémentaires non payées, on m’a profondément et violemment ri au nez, c’est pire que dans la vidéo.» Aujourd’hui, Kevin est gérant du Bistrot du Concert à Neuchâtel et il tient compte de ses expériences. «J’ai tellement connu de situations conflictuelles que je m’efforce de faire qu’elles ne se répètent pas dans mon établissement. J’interviens immédiatement si un chef de cuisine élève la voix et, si après avertissements, son comportement ne change pas, je lui montre la porte.»
Harcèlement, pétage de plombs en cuisine, bas salaires, travail sur appel… Comme le souligne le manifeste, ces conditions précaires provoquent une pénurie de personnel, qui, dans un cercle vicieux, aggrave encore la situation. «Durant ces deux dernières années, une partie du personnel a refusé de retourner travailler à cause des mauvaises conditions de travail, lance Isabel Amian au mégaphone. Il est temps de réagir! Il est temps de valoriser la branche. Il est temps de la repenser autrement et de créer enfin une CCNT performante et égalitaire. Nous voulons travailler avec des conditions dignes.»
La syndicaliste tient à préciser qu’au niveau cantonal, une «collaboration exemplaire» lie Unia et GastroNeuchâtel dans le cadre de la commission paritaire. «Cela montre que le partenariat social est possible et GastroSuisse pourrait s’en inspirer.»
Infos sur la campagne et vidéos sur: unia.ch