Aller au contenu principal
Menu

Thèmes

Rubriques

abonnement

Rien dit, rien vu, rien entendu

Action des Nez Violettes
©Thierry Porchet

Une action des Nez Violettes devant le Palais de justice à Genève, le lundi 7 avril.

Lors de la deuxième audience du procès de Jessica* contre son employeur Five Guys, l’auteur présumé d’agression sexuelle a tout nié en bloc à la barre. Récit.

Le 7 avril a eu lieu la seconde audience dans l’affaire qui oppose Jessica*, une jeune femme de 28 ans, contre son ancien employeur, à savoir la société Pastem SA qui exploite le restaurant Five Guys à Genève Cornavin. Pour rappel, Jessica accuse l’entreprise d’avoir manqué à son obligation de la protéger en tant qu’employée alors qu’elle avait dénoncé à plusieurs reprises des cas de harcèlement moral et sexuel. La première audience du 5 février avait été levée, la plaignante étant très éprouvée.
Son audition a donc repris au Tribunal des prud’hommes, avec le soutien d'Unia et des militantes féministes (voir notre vidéo ci-dessous). Le président de la Cour a proposé à l’avocate de Jessica de lui poser directement les questions, afin de la mettre le plus à l’aise possible. Elle est revienue sur les faits et notamment les reproches adressés à sa direction. «Quand mes collègues se sont plaintes des réflexions déplacées de la part des collègues hommes, la directrice leur a répondu que comme elles ne portaient pas toujours de soutien-gorge, c’est pour ça qu’ils les provoquaient, et qu’il faudrait en porter un. Quant au directeur, il prenait nos plaintes à la légère: il entendait les remarques et les insultes mais ne disait rien.» Jessica raconte alors une situation lunaire rapportée par l’une de ses collègues qui s’était coupée le doigt en cuisine. «Elle est allée voir le directeur qui lui aurait répondu: ‘soit je te coupe le doigt, soit je te viole’. Elle est ensuite allée en parler à la directrice qui a dit que c’était juste une blague.»

Aucune réaction
Jessica est revenue ensuite sur deux agressions subies entre décembre 2020 et juin 2021, par deux collègues différents. «J’ai croisé un collègue dans les escaliers, il m’a bloquée et a réussi à me toucher l’entrejambe. Je l’ai repoussé et il est parti. Il était manager donc je n’ai osé en parler à personne.» L’autre épisode a eu lieu alors que le restaurant était calme et qu’elle était la seule fille, entourée de collègues masculins, dont un manager et un autre en passe de le devenir. «Un collègue était en train de faire un Snapchat, et un autre m’a d’abord caressé le sein puis l’a agrippé. J’ai demandé s’il était en train de filmer, relevant que c’était une agression. Personne n’a réagi. J’étais gênée, j’ai souri, je ne savais pas quoi faire d’autre.»
A la suite de cela, la direction de Pastem SA organisera deux réunions, en juin 2021 puis fin 2021, au sujet du harcèlement, transmettant au personnel les coordonnées de personnes de confiance à contacter en cas de problème. «J’ai contacté les deux personnes, je leur ai tout raconté à chaque fois. Il n’y a eu aucune suite avec la première, et la seconde m’a donné quelques conseils mais au final, cela n’a pas servi à grand-chose car rien n’a changé», explique Jessica. Le juge demande quel type de conseils lui ont été adressés. «Elle m’a dit d’éviter les collègues harceleurs, de les ignorer.» Le magistrat reste bouche bée. «Tu parles d’un conseil! Et il y a des gens qui sont rémunérés pour cela?»
Jessica finira par évoquer des difficultés avec le premier assistant du restaurant, lors de ses derniers mois d’activité. «Il me rabaissait tout le temps, me disait que j’étais là pour nettoyer derrière lui, que c’était à cela que je servais. Il me surveillait dans la caméra. La directrice s’est dite choquée et a dénoncé un comportement inacceptable, elle m’a assuré qu’elle allait en parler avec lui.» Jessica est mise en arrêt maladie, et à son retour, c’est pire qu’avant. 
Après tout ce temps et maintes alertes lancées, l’employée n’a toujours pas été contactée ni par les ressources humaines, ni par les personnes de confiance, ni par les avocats de l’entreprise. 

Entre soulagement et souffrance
Quand elle finit par démissionner en juillet 2022, tout se mélange pour Jessica. Très émue, cette dernière se reprend: «J’étais soulagée de quitter le restaurant mais d’un autre côté j’avais accumulé tant de stress et d’émotions que j’étais détruite de l’intérieur.» Le coup de grâce arrive lorsqu’elle reçoit son dossier personnel qui ne fait à aucun moment mention des cas de harcèlement qu’elle a signalé à plusieurs reprises. «J’étais étonnée et énervée de voir qu’aucune trace n’était restée de ces événements.» 
La jeune femme connaît ensuite une descente aux enfers. Suivie par une psychologue, elle se retrouve au chômage, puis contrainte de suivre une formation de serveuse qui ravive ses angoisses. «Mon objectif aujourd’hui est de quitter définitivement la restauration.» Actuellement prise en charge par l’Hospice général, elle va prochainement suivre une formation d’aide-soignante. 

«Il ne s’est rien passé!»
Après plus de deux heures d’audition de la plaignante, le moment est venu d’entendre le premier témoin, à savoir l’ancien collègue de Jessica qu’elle accuse d’agression sexuelle. Comme nous le relations dans notre édition du 21 février, la jeune femme expliquait que cet homme, plus âgé et en qui elle avait confiance, qui disait la considérer comme sa fille, l’avait ramené chez elle en voiture. C’est alors qu’il lui a caressé la poitrine en lui disant qu’il aimait ça. Elle lui demande alors d’arrêter le véhicule et finit le trajet à pied, de nuit. Quand elle le confronte à ce qu’il s’est passé dans cette voiture quelques jours plus tard, le collègue nie. Et il continue de nier à la barre. Caché derrière un paravent, cet aide cuisinier né en 1980 dit ignorer les raisons de sa convocation. Il parle d’une ambiance de travail normale et n’avoir aucun problème avec personne. Les insultes entre collègues, les blagues déplacées, le harcèlement au restaurant: «Je n’ai jamais rien vu ou entendu de spécial», répond cet homme qui parle mal le français. Sur les faits qui lui sont reprochés, il admet avoir ramené Jessica en voiture à deux reprises, mais sa version est différente. «J’ai conduit, je l’ai déposée et j’ai continué ma route. Il ne s’est rien passé d’autre. » Le président insiste, rappelant au témoin son obligation de dire la vérité, et c’est alors que ce dernier évoque le fait qu’il avait à ce moment-là une voiture manuelle. Et? Interroge le président. «Et bien je devais passer les vitesses mais sinon il ne s’est rien passé.» «Donc vous essayez de me dire qu’en passant les vitesses, vous auriez débordé sur le siège passager?» Non, répond-il. «C’est quand même étonnant, vous dites ne pas savoir pourquoi vous êtes convoqué et c’est vous qui me parlez de cette boîte de vitesse.» Le juge n’obtiendra rien de plus. «Je ne l’ai jamais agressée sexuellement, elle n’est jamais venue m’en parler et personne d’autre ne m’en a jamais parlé», déclare le témoin, alors que Jessica est en pleurs. D’après ses dires, il n’a pas non plus été convoqué par sa direction. Il a par contre été entendu par les avocats de Pastem SA. «Comme vous, ils m’ont demandé ce qui s’était passé dans la voiture, j’ai répondu rien et ils n’ont rien demandé de plus...» L’audience est levée, jusqu’aux prochaines qui auront lieu le 14 mai et le 4 juin. 


*Nom d’emprunt

Un comité de soutien était présent sur place, composé des Nez Violettes, de militantes féministes ainsi que du syndicat Unia. Deux autres audiences sont prévues: le 14 mai et le 4 juin. Une vidéo de Virginie Zimmerli

Pour aller plus loin

Genève: Mobilisation contre le harcèlement sexuel

Le 5 février, une première audience sur un cas de harcèlement sexuel suivi par Unia Genève aura lieu au Tribunal des prud’hommes de Genève. Réactivé pour l’occasion, le comité de...

«Cette augmentation est clairement insuffisante»

Vue d'un café.

Le Tribunal arbitral a fixé les salaires minimums dans l’hôtellerie-restauration, tranchant en faveur d’une hausse de 1,1%. Déception d’Unia.

Fermeture du Fairmont: un plan social à la hauteur des attentes

Vue de l'hôtel Fairmont à Genève

Le plan social de l’hôtel Fairmont à Genève, validé par une grande majorité du personnel, est qualifié de très satisfaisant par Unia.

A Neuchâtel, un patron de pizzeria paye les salaires à la carte

Des syndicalistes d'Unia mènent une action devant une pizzeria.

Fortement endetté, l’employeur a beaucoup d’arriérés de salaires et son restaurant tourne au ralenti. Unia le met en demeure d’assumer ses responsabilités.