Vers une intégration du droit international?
«La protection contre les licenciements abusifs antisyndicaux est faible en Suisse», indique Pascal Mahon, docteur en droit et professeur à l’Université de Neuchâtel. Outre l’article 336 du Code des obligations (CO) sur la résiliation abusive, le droit interne suisse dispose de l’article 28 de la Constitution fédérale, qui garantit la liberté syndicale mais ne prévoit pas de protection contre le licenciement. Quant à l’article 12 de la Loi sur la participation de 1993, il prévoit la protection des représentants des travailleurs mais ne prévoit pas de sanction spécifique en cas de licenciement. «La faiblesse de cette protection contre le licenciement fait débat depuis longtemps, mais toutes les tentatives de renforcement ont échoué jusqu’ici. Devant la faiblesse du droit suisse, il y a une volonté de s’en remettre au droit international, c’est ainsi que deux plaintes ont été déposées devant l’OIT.» Celle déposée le 14 mai 2003 par l’USS concerne la protection contre le licenciement antisyndical dans le secteur privé et celle du SSP du 10 avril 2013 a trait au licenciement des grévistes de l’Hôpital de la Providence à Neuchâtel.
Pascal Mahon reconnaît la très grande richesse du droit matériel de l’OIT, notamment les conventions fondamentales 87 et 98, respectivement sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical et sur le droit d’organisation et de négociation collective, qui fondent la jurisprudence de l’OIT en matière de protection contre les licenciements abusifs antisyndicaux. Cependant, il déplore sa pauvreté procédurale. «Le droit de l’OIT est étoffé mais sa force contraignante, en tout cas en Suisse, est trop insuffisante. Il est peu enseigné et reste relativement méconnu: les avocats ne l’invoquent pas, les juges ne l’appliquent pas et le Tribunal fédéral y est traditionnellement réticent car il n’est, soi-disant, pas assez concret.»
Changement de paradigme?
Cela dit, il se pourrait que, sous la pression de la doctrine et des syndicats, une ouverture en faveur du droit international se dessine en Suisse. En témoigne l’arrêt récent du Tribunal fédéral (TF) du 6 septembre 2017 ‒ à propos du droit d’accès des syndicats aux locaux de l’entreprise – qui a statué pour la première fois que le droit de l’OIT avait, par le biais de la CEDH, un impact direct sur l’interprétation de la liberté syndicale selon l’article 28 de la Constitution. «Pour la Suisse, c’est très nouveau, souligne Pascal Mahon. Un arrêt du TF du 24 septembre 2012 sur la même question écartait totalement la référence au droit de l’OIT pour interpréter la liberté syndicale, alors que, cinq ans plus tard, on dit complètement l’inverse.» Même non directement applicables, les conventions de l’OIT «peuvent et doivent» servir à l’interprétation du droit suisse. Est-ce que ce revirement laisse augurer un changement de paradigme? Notre spécialiste préfère rester prudent. «C’est un signe, effectivement. Toute la question sera maintenant de savoir comment le TF réagira la prochaine fois. C’est une question qui reste ouverte.»
Suisse non conforme
Selon l’OIT, pour que la protection contre les licenciements antisyndicaux soit suffisante, la réintégration du travailleur doit être permise, et si cela est impossible, une indemnisation suffisamment dissuasive doit être prévue. Ce qui n’est pas le cas en Suisse. Karen Curtis, cheffe du Service de la liberté syndicale au BIT, rappelle que la Suisse a été appelée en juin 2005 devant la Commission d’application des normes de l’OIT à «prendre des mesures pour prévoir le même type de protection pour les représentants syndicaux victimes de licenciements antisyndicaux que pour ceux victimes de licenciements violant le principe d’égalité entre hommes et femmes», y compris la possibilité de la réintégration. «Le droit suisse en l’état n’est pas conforme à la Convention 98 de l’OIT. Les travaux ont été renvoyés à la Commission tripartite nationale, et le BIT se tient à sa disposition. Ce n’est pas une manière de nous décharger du cas mais de confier le dialogue aux partenaires sociaux afin qu’ils arrivent à un compromis, comme cela a été fait dans le cadre de la Loi sur l’égalité.» Le cas est donc toujours en cours.