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Un siècle de luttes pour le droit de vote des femmes

Suissesses faisant la file devant l'isoloir dans les années 1970.
© Keystone/STR

Le 7 février 1971, une majorité d’hommes acceptait le suffrage féminin. Ce combat pour l’égalité des droits aura duré plus de 100 ans. Retour sur l’histoire d’une épopée et témoignages de militantes de la première heure

Il y a 50 ans, une moitié de la population votait pour accorder le droit de vote et d’éligibilité à l’autre moitié. Une situation ubuesque après plus d’un siècle de luttes pour le suffrage féminin. Le 7 février 1971, la modification de la Constitution est acceptée par 65,7% de la gent masculine et une majorité de cantons. Bien après la Nouvelle-Zélande (1893), la Finlande (1906), la Russie (1917) et tant d’autres pays dans le monde, faisant de la Suisse un dernier de classe en termes d’égalité.

La chronologie de la lutte remonte à 1868, au moment où des Zurichoises lancent la première initiative parlementaire pour le droit de vote des femmes. En vain. L’association internationale des femmes (AIF) est créée à Genève par la pionnière Marie Goegg-Pouchoulin, qui lance une pétition pour le suffrage féminin… restée également lettre morte.

En 1893, l'Union des ouvrières suisses revendique le droit de vote et d’éligibilité des femmes. Elle est soutenue par le Parti socialiste qui, en 1904, l’inscrit dans son programme. Cinq ans plus tard, l’Association suisse pour le suffrage féminin (ASSF) est créée.

En 1915, deux motions finiront au fond d’un tiroir du Conseil fédéral. En 1918, durant la Grève générale, le droit de vote pour les femmes est l’une des revendications des syndicats. S’ensuivent des votations dans plusieurs cantons qui aboutissent toutes à des échecs.

En 1928, à l’occasion de la première Exposition nationale suisse du travail féminin (SAFFA), des femmes défilent avec un escargot géant, pour symboliser la lenteur du processus, dans les rues de Berne.

Défilé de femmes avec un escargot géant.
En été 1928, lors de l’Exposition nationale suisse du travail féminin (SAFFA), les activistes de l’Association suisse pour le suffrage féminin (ASSF) défilent avec un escargot pour dénoncer la lenteur du gouvernement à octroyer le droit de vote aux femmes. © Archives sociales suisses/F Fb-0021-029

 

Pétition

En 1929, l’ASSF remet une pétition pour le suffrage féminin munie de 249237 signatures (170397 femmes et 78840 hommes) à la Chancellerie fédérale. Elle restera sans suite.

Avec la crise, les femmes sont renvoyées au foyer. Puis, pendant la guerre, elles remplacent les hommes dans les champs, le secteur public et les entreprises. Au retour de leurs maris soldats, elles sont reléguées de nouveau à leurs fourneaux.

En 1948, pour les 100 ans de la Constitution, des associations féminines suisses remettent au Conseil fédéral une carte de l’Europe avec une tâche noire au milieu: la Suisse est le seul pays européen, avec le Liechtenstein, à n’avoir pas encore introduit le droit de vote des femmes. Faute surtout à l’obligation de passer par la votation populaire selon les féministes Simone Chapuis-Bischof et Josiane Greub (voir ci-dessous).

En 1957, des membres romandes de l’ASSF, à l’initiative de l’avocate féministe Antoinette Quinche, réclament leur carte de vote dans leurs communes respectives. Elles essuient un refus et font recours au Tribunal fédéral qui leur donne tort. La même année, à Unterbäch (Valais), 33 femmes (sur 84) votent au niveau municipal, dans une urne séparée de celle des hommes. Leurs bulletins ne seront toutefois pas comptabilisés, par manque de base légale.

Timbres où un Suisse tient d'une main son bulletin de vote et de l'autre bâillonne sa femme. En légende: "Vraie démocratie?"
L’opposition à l’égalité des droits politiques entre femmes et hommes a été vive durant un siècle. © Archives sociales suisses/F Ob-0001-195

 

Premier vote

Fin des années 1950, le Conseil fédéral veut obliger les femmes à servir à la protection civile. Les associations féminines demandent alors en échange le droit de vote. La première votation fédérale sur le sujet est organisée. Le 1er février 1959, 66,9% des hommes s’y opposent, malgré le soutien des partis de gauche et des syndicats. Mais les Vaudois, qui votent aussi au niveau cantonal ce même jour, l’acceptent. «Grâce à la pionnière Antoinette Quinche qui avait soufflé au conseiller d’Etat radical, Gabriel Despland, de faire coïncider les votes cantonal et fédéral, raconte Simone Chapuis-Bischof. Une grande idée qui a permis au canton de Vaud d’être le premier à accorder ce droit.»

Neuchâtel et Genève octroient ce droit peu après, suivis de Bâle-Ville en 1966 et de Bâle-Campagne en 1968. Cette même année, le Conseil fédéral décide d’adhérer à la Convention européenne des droits de l’homme, mais en excluant le droit de vote et d’éligibilité des femmes. En réaction à cet affront, le 1er mars 1969, 5000 femmes et hommes manifestent. L’une des militantes, Emilie Lieberherr souligne: «L’égalité juridique entre les sexes est une condition préalable importante au plein exercice des droits de l’homme.»

Le Tessin accorde le droit de vote en 1969, le Valais, Lucerne et Zurich en 1970. En 1971, le 7 février, sonne enfin la victoire.

Le 31 octobre de la même année, dix femmes sont élues au Conseil national. Et pourtant certains cantons retardent l’introduction du droit de vote des femmes. En Appenzell Rhodes-Intérieures, le Tribunal fédéral doit obliger le Canton à l’accorder en 1990. Au fil des ans, le nombre d’élues a augmenté pour atteindre 42% au Parlement en 2019.

Davantage d’informations sur: ch2021.ch/fr

Témoignages de deux militantes de longue date


Simone Chapuis-Bischof, 89 ans, membre d’honneur de l’ADF, après avoir été présidente de la section lausannoise (1971-1975), vaudoise (1974-1980) et suisse (1988-1995):

« Les pionnières ne sont plus de ce monde, mais j’aime raconter l’histoire des suffragistes que j’ai commencé à fréquenter dans les années 1960 pour une question d’inégalité salariale. Les salaires de la fonction publique vaudoise allaient être augmentés, de façon linéaire, mais cela avait pour conséquence d’accroître l’écart entre les salaires féminins et les salaires masculins. J’ai rejoint un groupe de militantes et nous avons alerté tous les groupes, associations et partis qui pouvaient nous aider, comme, par exemple, le Syndicat des services publics. Et nous avons obtenu l’égalité de salaires dans la fonction publique vaudoise en 1967.

Comme j’avais adhéré à l’Association suisse pour le suffrage féminin (ASSF), j’ai milité pour le droit de vote au niveau fédéral. Nous étions souvent invitées à la radio par la journaliste Marie-Claude Leburgue qui nous a beaucoup formées au féminisme et appris à être à l’aise devant un micro. Dans les villages, on organisait des débats en faisant attention à ce que les oratrices et les orateurs soient toujours de partis différents. Reste qu’au fond de la salle, il y avait toujours des opposants de la Ligue vaudoise pour ronchonner et dire que les femmes devaient retourner à leur cuisine.

Le 7 février 1971, je me souviens de l’image de Gertrude Girard-Montet, présidente de l’ASSF, filmée au moment où l’on annonçait que 14 cantons avaient voté OUI. Ce qui voulait dire qu’on avait gagné! Celle qui allait devenir la première conseillère nationale vaudoise en 1974 était à la Télévision, alors qu’on m’avait envoyée à la Radio. Je devais répondre à des questions d’auditeurs dont certains s’offusquaient que le droit de vote soit accordé aux femmes alors qu’elles n’accomplissaient pas leur service militaire. L’ASSF a ensuite changé de nom pour devenir l’Association suisse pour les droits de la femme (ADF). Nous avons proposé beaucoup de cours d’éducation civique, car le taux d’absentéisme des femmes, pas habituées à voter, était encore plus élevé qu’aujourd’hui. En 60 ans, on a obtenu beaucoup de choses. Et les dernières élections en 2019 en sont la preuve. Mais ce n’est pas suffisant. Il faut régler enfin le problème de l’égalité des salaires dans tous les métiers en sanctionnant les entreprises qui ne la pratiquent pas. »


Josiane Greub, 75 ans, membre de l’ADF Neuchâtel, de la Grève des femmes et de la Marche mondiale des femmes:

« Dans les années 1960, à Genève, je me sentais peu concernée par le droit de vote. Je me souviens toutefois avoir voté à 20 ans au niveau communal ou cantonal, mais je ne sais plus sur quel sujet. Je n’étais pas dans un milieu où l’on parlait politique et égalité. J’ai pourtant vécu dans un milieu ouvrier où l’on discutait de la défense de la classe ouvrière dans son ensemble. Ma mère, malgré sa grande liberté de pensée et son féminisme discret, n’est jamais allée voter. Mon père non plus.

En général, la place des femmes était liée à la religion, aux soins des enfants et au ménage. On ne pensait pas qu’elles puissent prendre des décisions différentes de celles de leur mari. C’était une époque où elles ne pouvaient pas ouvrir un compte en banque sans l’aval de leur époux. Les femmes ont été utilisées dans le monde du travail en fonction des besoins. Pour compléter les revenus de leurs maris ouvriers mal payés, elles travaillaient à domicile dans l’assemblage de pièces. Elles aidaient l’industrie tout en restant à la maison. Si un couple d’enseignants postulait dans un établissement, l’homme était privilégié et l’épouse reléguée tout en bas de la liste des candidats. Car on estimait alors que le ménage avait un salaire suffisant et que la femme était mieux au foyer.

Ma militance est née lorsque je suis arrivée à La Chaux-de-Fonds et que ma belle-mère, Marguerite Greub, première femme élue au Conseil général de la Ville, m’a convaincue. Elle m’a embarquée dans l’ADF. Et, depuis, je n’ai pas arrêté.

On a vécu des avancées extraordinaires avec le droit de vote, le nouveau droit matrimonial, la dépénalisation de l’avortement et les élections de 2019, fruit de la conjonction de la grève du 14 juin et de la vague verte. Mais chaque droit conquis peut toujours être remis en question. La célébration des 50 ans du droit de vote des femmes m’évoque l’importance de leur longue lutte, et de la vigilance toujours nécessaire. L’augmentation de l’âge de la retraite sous prétexte d’égalité est une fausse égalité. Les postes dirigeants restent majoritairement aux mains des hommes et le partage des tâches n’est pas acquis, sans compter les inégalités salariales et les métiers féminins toujours mal payés. »

Un hommage en photos

Une exposition éclaire le courage des Suissesses dans leurs combats pour l’égalité. A Berne, du 7 février au 30 juin, à l’occasion du demi-siècle du droit de vote et d’éligibilité, 52 portraits de femmes (deux par cantons) seront exposés dans les rues de la vieille ville. Sur le site du projet multilingue Hommage 2021, les biographies de 151 femmes ayant marqué le XXe siècle dans la politique, les arts, l’éducation, le secteur social ou encore l’économie, entre autres domaines, sont déjà consultables. Notons la présence des militantes Emilie Gourd (1879-1946), Grisélidis Réal (1929-2005), Liliane Valceschini (1937-2019) ou encore Carole Roussopoulos (1945-2009). La projection prévue sur la place Fédérale a été reportée.

Davantage d’informations sur: hommage2021.ch/fr

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