Artiste polyvalent, le pianiste, claviériste et compositeur Pierre Audétat marie les sons avec bonheur. Inventivité, rythme et harmonie sur sa portée
La musique s’est toujours invitée dans l’existence de Pierre Audétat. Enfant, le sympathique Lausannois grandit aux sons d’Oum Kalsoum et de Billie Holiday, les artistes fétiches de sa mère d’origine égypto-américaine. La maisonnée s’emplit aussi des morceaux de piano joués par son père. Et des deux seuls titres connus et interprétés en boucle au clavier par sa maman. «Mais j’aimais bien», sourit l’homme de 54 ans à l’évocation de ce souvenir. L’ambiance familiale donne l’envie au gamin d’alors d’imiter ses parents. A l’âge de six ans, Pierre Audétat entame des cours de piano classique. Quelques années plus tard, le turbulent adolescent, peu enclin à une rigueur trop scolaire, se tourne vers le jazz. Il se forme au côté du pianiste Gérard Le Coat qui lui enseigne aussi la composition et l’improvisation. L’époque est marquée par le mouvement de revendications sociales Lôzane bouge et une culture musicale entre punk et rap qui influence le jeune musicien. Fréquentant par la suite différentes écoles, Pierre Audétat n’en termine toutefois aucune. «Je ne possède pas de diplôme. Je suis un autodidacte par nature. J’ai complété mes connaissances en prenant des leçons privées», précise l’artiste qui a intégré plusieurs années durant le fameux groupe Piano Seven. Mais c’est surtout dans l’échantillonnage sonore ou sampling qu’il trouve sa signature. Cette technique, qu’il découvre à l’âge de 18 ans, consiste à récupérer et à enregistrer des sons préexistants en vue d’une réutilisation pour fabriquer un nouveau morceau. Un vaste monde s’ouvre pour le passionné.
Pensée errante
«Je “pique” des sons provenant de toutes sortes de sources, musicales ou non. Un morceau peut en rassembler jusqu’à une centaine. Une sorte de collage dada» explique Pierre Audétat, conscient que la démarche peut sembler éthiquement discutable. Mais il y a la manière – «je prends des extraits très courts» – et le recycleur les mélange avec ses propres compositions. La sélection des sonorités s’opère sur le mode de «la pensée errante». «Je me balade sur YouTube, prête une oreille attentive à l’extérieur... Il n’y a pas de systématique. Je choisis des sons couvrant tout le spectre: graves, aigus, longs, lisses, mélodieux... Je les modèle, comme une terre. L’orchestre, la mélodie, se construisent au fur et à mesure. La base rythmique créée, j’ajoute le piano.» A la clef, des créations propres à susciter des émotions. Et une patte reconnaissable à la façon dont le musicien entrechoque les sons, joue avec les rythmes et crée une belle harmonie. «La démarche se révèle expérimentale mais non le résultat. Rien d’intellectuel ou de contemporain» souligne encore Pierre Audétat, appréciant particulièrement dans ce procédé l’aspect recherche et découverte. «Un champ infini de possibles» note le curieux qui, avec son projet odeta.tv, a franchi un pas supplémentaire. L’artiste, en plus des tonalités collectées sur le média social, récupère également les images vidéo qui les accompagnent et les projette lors de concerts. Un support de plus propre à générer étonnement, rire, etc. Ce talent d’échantillonneur, le pianiste l’a exercé dans différents groupes dont celui de hip-hop Silent Majority. Depuis une quinzaine d’années il se produit au côté de Christophe Calpini, batteur. Tous deux pratiquent le sampling, formant un duo de musique électronique connu sous l’appellation Stade.
Un petit côté caméléon
Parallèlement, le quinquagénaire crée de la musique pour des fictions, des documentaires, et des pièces de théâtre. Cette activité contribue à mettre du beurre dans les épinards. «Cette année, j’ai réalisé la bande sonore de trois films présentés à Soleure», note l’indépendant d’une grande sociabilité. Un trait de caractère qui permet à cet optimiste d’être à l’aise avec nombre de personnes différentes. De s’adapter à toutes sortes de situations, de gens, de musiques. Un petit côté caméléon en phase avec sa détestation des conflits et de l’intolérance. «Je n’aime pas les chapelles. Les milieux artistiques élitistes. Il y a tellement de créatifs hors des cercles établis» affirme Pierre Audétat, peu enclin pour autant à se mettre en colère. «Quand je me fâche, c’est surtout contre moi. Il m’arrive de prendre trop de travail. Du coup je stresse et m’en veux.» Une résultante qui tient peut-être aussi à sa difficulté de choisir… Pour se ressourcer, le passionné écoute volontiers Bill Evans. Son bonheur passe quant à lui par celui de sa fille de vingt ans mais aussi par une acceptation de soi. «Un bon départ... Je suis heureux. Je me supporte. J’ai appris à composer avec mes qualités et défauts.»
Le temps du management
Questionné sur ses peurs, Pierre Audétat hésite. Tête baissée, un rien timide, il évoque la guerre. La violence en général. L’intolérance «qui résume tout». Avant de tirer en corner, recourant à une réponse plus légère, avec la fraîcheur qui le caractérise: «Ne pas avoir de feu... je fume.» Puis rectifiant encore, plus sérieusement: «En tant qu’indépendant, je crains de ne pouvoir un jour plus travailler.» Une réaction qui fait aussi écho à son regard sur la société. «Un monde où l’on manque constamment de temps, où il faut sans cesse viser l’excellence, se montrer efficace, rentable quand la musique nécessite parfois une longue macération. On se trouve dans les années du management.» Pas de quoi le détourner pour autant d’un rêve: «J’aimerais créer un style musical inédit et super beau.» Un espoir ambitieux. Mais Pierre Audétat n’est-il pas déjà l’inventeur, en 2006, de la cloche diatonique? Une étude sur les gammes – on dira plutôt les modes chez les initiés – qui facilite leurs classement et représentation. Le fruit de cette recherche, présentée à l’Université de Yale, a débouché sur un système musical servant aux compositeurs. Une belle consécration pour l’autodidacte polyvalent...