Gardienne et capitaine de l’équipe de première ligue du FC Renens, Melissa Vero s’engage pour développer le foot féminin. Rencontre sur le terrain, alors que le 14 juin approche, la journée de la Grève des femmes coïncidant, cette année, avec le coup d’envoi de l’Euro
«Ici, c’est FC Renens». Cette inscription trône en grand sur une banderole accrochée sous les gradins du stade. En ce mardi de fin d’après-midi, le soleil joue à cache-à-cache avec les nuages, pendant que de nombreux enfants, filles et garçons, s’entraînent sur les terrains.
Melissa Vero nous accueille avec le sourire et ses multiples casquettes. Le verbe et les idées clairs, droite dans ses crampons, elle est la seule femme (pour l’instant) du comité du FC Renens. A 27 ans seulement, elle est aussi responsable des équipes féminines, entraîneur (elle tient à l’appellation masculine) remplaçante en ce moment, ainsi que capitaine et gardienne de l’équipe de première ligue; ce qui signifie actuellement trois entraînements et un match par semaine. «En ce moment, je suis presque tous les soirs au stade», lance-t-elle, avec une énergie hors du commun, mue par sa passion du ballon rond. «J’ai deux grandes sœurs. Mon père aurait aimé avoir un garçon pour jouer au foot, mais je l’ai suivi dans sa passion. Il était gardien comme moi, et reste un supporter invétéré des clubs de Lecce et de la Juventus. «Si les deux équipes jouent l’une contre l’autre, il sera pour sa ville natale et moi pour la Juve», sourit l’aficionada, qui ne compte plus ses allers-retours à Turin pour aller encourager son équipe de cœur.
Plus de 20 ans d’entraînements
Melissa n’a que 6 ans quand elle commence ses premiers entraînements. «J’ai suivi mes cousins au FC Amical Saint-Prex, où j’étais la seule fille, avant de rejoindre le club de Renens.» Etre fille dans une équipe de garçons ne l’a jamais gênée. «On ne partageait pas le même vestiaire donc on était un peu à l’écart, mais l’ambiance a toujours été bonne. Parfois, c’est plutôt l’adversaire qui faisait de petites remarques telles que: “Jouez sur la fille, elle va lâcher la balle!“»
Depuis quelques années, le football féminin est en plein essor. A Renens, elles sont une centaine de licenciées, dont la fille de Pierre-Yves Maillard, président de l’Union syndicale suisse. Lors de la fête organisée à l’occasion de son élection au Conseil des Etats, Melissa Vero l’a chaleureusement félicité et remercié. «Il encourage beaucoup le foot féminin et nous soutient», mentionne-t-elle avec gratitude.
Alors que le Conseil fédéral veut diminuer l’aide de 15 à 4 millions pour le Championnat d’Europe féminin 2025 en Suisse – diminution à laquelle s’oppose le Parlement –, la footballeuse partage: «Je ne comprends pas le gouvernement, alors qu’il a mis plus de 80 millions dans l’Euro masculin en 2008. Ce championnat sera un vecteur du développement du foot féminin. En France, il y a cinq ans, le nombre de licenciées a bondi à la suite de la Coupe du monde.»
Inégalités de salaire
Dans le monde du ballon rond, les inégalités restent criantes. «L’égalité salariale, on en est très loin! Seules les Nord-Américaines ont réussi à se faire payer au même tarif que les hommes lorsqu’elles jouent dans l’équipe nationale. C’est historique! De manière générale, les joueuses restent mal payées, et doivent concilier vie familiale, vie professionnelle et vie footballistique», explique Melissa Vero. Pour elle, il n’y a aucune raison que le football soit encore un sport estampillé comme masculin. «Le foot est pour tout le monde! Notre anatomie fait que nous sommes moins rapides et, pour l’instant, moins techniques. Mais, de plus en plus de filles commencent le foot plus jeunes et sont mieux formées.» Cette question de la formation fait écho aux propos de l’entraîneur spécifique des gardiennes du club, Jonathan Fitzner: «La courbe de progression est beaucoup plus grande quand on entraîne des filles, car on doit reprendre certaines lacunes. Souvent, les gardiennes s’entraînent seules, au contraire des garçons qui ont plus souvent des entraîneurs spécialisés. Donc au début, on doit bosser toutes les gammes, mais elles apprennent vite.»
«Les joueuses restent mal payées, et doivent concilier vie familiale, vie professionnelle et vie footballistique.»
Gardienne, un poste à part
«Je suis gardienne depuis mes 9 ans je crois. Lors d’un tournoi, l’entraîneur a décidé que celui qui dégagerait le plus loin le ballon irait au goal. Cela a été moi, et j’ai tout de suite aimé ce poste. Je m’y sens bien, car je suis le dernier rempart, j’adore sauter, voir tout le jeu, encourager l’équipe, donner des infos…» explique Melissa Vero, au caractère solitaire tout autant que collectif. «Il ne faut pas avoir peur de s’élancer, de tomber, de se faire des éraflures. Malgré les gants, c’est vite arrivé de se faire mal aux doigts, mais on prend moins de coups qu’un joueur», ajoute celle qui apprécie particulièrement le gardien Ederson de Manchester City.
Pendant l’Euro qui commence le 14 juin, elle supportera l’Italie et la Suisse, mais pronostique la victoire du Portugal… Son entraîneur, Steve Antunes, Portugais d’origine, n’ose même pas y rêver. «On verra, je pense que ça va être difficile. La France a plus de chances…»
Au bord du terrain, il souligne la révolution qu’il a opérée depuis qu’il entraîne des filles. «Sans aucun sexisme, je dirais que c’est un autre sport. Avec elles, l’approche est plus psychologique, plus humaine, plus familiale. Avec les garçons, c’est plus dur, plus intense. Personnellement, entraîner cette équipe représente une très belle découverte sur le foot féminin, sur les femmes et sur moi-même. Bref, c’est une école de vie! J’espère que l’Euro féminin amènera du monde dans les stades et que les filles seront plus nombreuses…» Un bémol? «Parfois, pendant les matchs, elles sont un peu scolaires. Elles respectent à la lettre les indications. Il leur manque parfois un grain de folie. Elles ont la technique, mais elles doivent peut-être oser davantage.»
Une bande de potes
Les joueuses arrivent à l’entraînement, se saluent chaleureusement. «Nous sommes une bande de potes. Depuis trois ans, la cohésion d’équipe est tellement bonne qu’on passe beaucoup de temps ensemble en dehors du terrain», raconte Melissa Vero.
En aparté, l’une de ses coéquipières, Nikita, ne tarit pas d’éloges sur sa capitaine. «Sur le terrain, on l’appelle Meli ou Vero, ou parfois les deux. C’est notre deuxième maman. Ça m’est arrivé d’oublier mes affaires, et c’est elle qui les lave et me les ramène. Elle fait attention à tout le monde et, tout en subtilité, sait se faire respecter. Elle a une vision sur l’entier du jeu et est souvent décisive. C’est une personne de confiance. Elle a les pieds sur terre et beaucoup de responsabilités dans le club.» La vingtaine de joueuses se retrouvent sur le terrain, en cercle, histoire de débriefer le dernier match, et préparer le suivant. «Vous devez être prêtes à souffrir!» lâche leur entraîneur. Melissa Vero se concentre et entame son entraînement spécifique, de manière intensive. Entre deux exercices, elle partage: «Chacune a son petit rituel d’avant-match. Pour ma part, je ne gaspille pas mon énergie. Le jour d’une rencontre, je reste tranquille. Dès que j’arrive au stade, je lâche mon téléphone. Et j’aime bien entrer cinq minutes avant les autres sur le terrain.»
La voilà au but face à ses coéquipières qui se sont divisées en deux équipes. Alors que l’entraînement s’achève, la lune se lève, presque ronde comme un ballon.