La réalisatrice genevoise Laura Cazador sonde les âmes militantes, de Cuba aux forêts du Jura.
Son cinéma met l’humain au centre. Engagé, social et politique, il est aussi empreint d’une créativité toute latino-américaine, études de cinéma à Cuba obligent. «Comme disait Godard, si on a seulement un message à faire passer autant devenir facteur», souligne la réalisatrice Laura Cazador, en souriant, sur la terrasse du café du Grütli à Genève, où le soleil de novembre apporte encore un peu de chaleur.
Son refus de l’indifférence et sa sensibilité se retrouvent dans son dernier documentaire intitulé Autour du feu*. Cinq activistes romands, de générations différentes, partagent leurs idéaux au cœur d’une forêt, dans le massif jurassien.
Deux anciens de «la Bande à Fasel», Jacques Fasel et Daniel Bloch, racontent à visage découvert leur parcours et leur mouvement révolutionnaire armé dans les années 1980. Ils ont fait la Une des médias, ont purgé leur longue peine de prison (une quinzaine d’années chacun) et n’ont plus rien à perdre. Les trois jeunes activistes, engagées dans les mouvements féministes, écologiques et antiracistes, choisissent l’anonymat, par crainte de représailles contre elles-mêmes ou leurs collectifs et pour éviter la personnification de leurs luttes. Leurs déguisements ajoutent par ailleurs de la théâtralité au moment; le feu dans la nuit invite aux confidences, quand des images d’archives s’intègrent tels des rêves au cœur de ce «nuit clos». Ce dispositif cinématographique pousse le spectateur à se questionner lui aussi sur sa position face au système néolibéral, sur son rapport à la désobéissance civile pacifique et à la violence…
«La fin ne justifie pas tout»
Laura Cazador pourrait parler des heures de ce film réalisé avec une amie de longue date, la cinéaste Amanda Cortès. Sur son positionnement sur les luttes armées, elle cite l’évêque brésilien Dom Helder Camara qui dénonce la violence institutionnelle de laquelle découlent les autres types de violence. «Mais la fin ne justifie pas tout, à mon avis, car elle est aussi conditionnée par comment on va y arriver», souligne la cinéaste, qui s’insurge envers les politiques extrêmement cruelles contre les droits humains et environnementaux. Citant en exemple la répression brutale à l’encontre des Gilets jaunes ou encore des manifestants lors du G8, elle résume: «Toutes les formes d’oppression m’interpellent.» Régulièrement dans la rue, elle a surtout manifesté cette année pour la Palestine.
De toutes les luttes, Laura Cazador vient également de mettre sur pied une exposition intitulée «Postale/Verso», avec la photographe Anaïs Durmort, consacrée à la violence psychologique dans le couple, dans le cadre de la Journée internationale du 25 novembre contre les violences faites aux femmes. Elle a recueilli le témoignage de douze «survivantes» dont certaines accueillies au foyer Arabelle, à Onex. «En parlant de ce projet autour de moi, j’ai été frappée par le nombre de personnes touchées. J’étais face à une hécatombe», explique l’artiste, qui aime écrire et se verrait bien parfois se retirer dans une grotte pour laisser libre cours à sa nature solitaire.
Journaliste de presse à ses heures, elle publie notamment pour Le Courrier sous son nom de naissance: Hunter. Chasseur donc, que la pacifiste végétarienne a traduit en espagnol (Cazador) en guise de pseudonyme.
Militantisme au berceau
La politique et le militantisme, elle est née dedans. Dès ses premiers pas, ses parents l’entraînent dans des manifestations et, à peine plus tard, au cinéma. Son père est alors (et toujours) président de la salle indépendante CinéVersoix et distributeur pour Trigon-film. Petite, Laura voyage donc au travers des films du monde. Puis, après son gymnase, en 2002, son père l’emmène à Cuba. Elle vit alors un coup de foudre pour cette terre qui deviendra sa deuxième patrie. Elle y étudie le cinéma, se marie à un Cubain, donne naissance à trois enfants, entre ses 21 et 28 ans, tout en menant de front ses projets cinématographiques. Elle décroche par ailleurs une licence en Histoire à Genève.
En 2019, elle se fait connaître internationalement avec son film Insoumises, coréalisé avec le Cubain Fernando Perez. Une fiction basée sur l’histoire vraie de la Lausannoise Henriette Favez qui, déguisée en homme, a émigrée à Cuba, il y a 200 ans...
A Genève ou à La Havane, Laura Cazador a l’art de mettre en lumière des projets porteurs de sens. Vivant dans une coopérative dans l’écoquartier des Vergers à Meyrin, elle traite de problématiques actuelles locales – mais à la portée globale – dans un documentaire récent sur le thème de l’habitat (Voisin·e·s·x 2.0) ou encore autour de l’alimentation (Manger c’est politique! avec les Artisans de la transition).
Parallèlement, elle puise dans l’Histoire internationaliste afin d’inspirer les luttes d’aujourd’hui et à venir. Elle vient de terminer le tournage d’un documentaire sur la Tricontinentale, et s’apprête à le monter avec sa comparse Amanda Cortès. Cette Conférence de solidarité avec les peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine a eu lieu en 1966 dans la capitale cubaine avec pour objectif de renverser l’ordre établi, l’impérialisme et le colonialisme…
Sur le Cuba d’aujourd’hui, Laura Cazador pose un regard aussi critique qu’amoureux. «L’éducation et la santé sont gratuits. Et ce pays reste l’un des rares libres de fascisme. De nos jours, c’est précieux. Or, la guerre culturelle et le blocus contre Cuba continuent de mettre à mal le gouvernement qui ne fait bien sûr pas tout juste non plus.» Allergique à toutes propagandes, Laura Cazador n’a de cesse de développer ses sujets pour en amener toutes les complexités et les nuances, animée par son feu intérieur, celui qu’un autre monde est possible.
* En janvier, des projections du film Autour du Feu auront lieu en Suisse romande, en présence des cinéastes et de membres de la Bande à Fasel: cinedoc.ch/programmation/saison-9/autour-du-feu