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Un creuset pour le combat ouvrier

Maison du peuple à Lausanne en 1907
© Bibliothèque cantonale et universitaire

La première Maison du peuple, à la Caroline, était considérée par les milieux conservateurs comme un nid de révolutionnaires. En mars 1907, après l'annonce d'une grève générale, l'armée et la gendarmerie occupèrent les lieux. 

Un livre captivant et richement illustré raconte l’histoire des deux Maisons du peuple qui ont coexisté à Lausanne, par où sont notamment passés Jean Jaurès, Lénine et Gandhi.

Les Lausannois connaissent bien la Maison du peuple de la place Chauderon. Mais à l’exception des plus âgés, peu savent qu’elle a été précédée d’une autre, et que les deux institutions ont même coexisté pendant près de trente ans. Leur création, leurs activités, leurs divergences, font l’objet d’un livre passionnant qui vient de paraître aux Editions Antipodes. Son auteur, l’ancien directeur du Musée historique de Lausanne, Olivier Pavillon, nous raconte l’histoire de ces lieux, reflet de l’effervescence des mouvements sociaux vaudois au tournant du XXe siècle. 
Les Maisons du peuple apparaissent un peu partout en Europe à la Belle Epoque. L’idée d’en fonder une à Lausanne émane de notables locaux, en 1899. Sous l’égide, entre autres, du célèbre entomologiste et psychiatre Auguste Forel et du professeur de littérature française Georges Renard, réfugié de la Commune de Paris, ces bourgeois pétris de philanthropie – et un brin paternalistes – entendent œuvrer au rapprochement des classes sociales et à l’édification des masses populaires.
Leur projet se concrétise finalement en 1901 à la rue Caroline, à l’emplacement actuel de l’immeuble des Rentes populaires, dans un bâtiment racheté par Anton Suter, un riche héritier d’origine saint-galloise qui a adhéré aux idéaux socialistes. Il en restera le propriétaire jusqu’à sa mort en 1942. L’endroit abrite une salle de spectacles, une bibliothèque, un café sans alcool, ainsi que des bureaux et des salles de réunions pour les associations, syndicats et partis politiques. S’y ajouteront une permanence sociale, une école libre et une coopérative de consommateurs avec son magasin.

Riche programme culturel
On y donne des conférences sur toutes sortes de sujets, des cours de langues, d’hygiène, de sténographie, de psychologie de l'enfant, etc. La Maison du peuple devient aussi un haut lieu de la culture avec des représentations théâtrales, des concerts, des soirées littéraires et plus tard des projections cinématographiques. Ernest Ansermet, Clara Haskil, Maurice Chevalier, Igor Stravinsky, Louis Aragon, Jean Cocteau, Jean Giono, Pierre de Coubertin, Emile Coué, Gandhi, Alexandra David-Néel, etc.: la liste des musiciens, écrivains, explorateurs et conférenciers ayant fréquenté les lieux au fil des ans est longue.
Evidemment, c’est aussi un creuset pour les idées progressistes en plein essor et les différents courants socialistes, syndicalistes, anarchistes et communistes s’y rencontrent et s’y confrontent. Jean Jaurès, Lénine ou encore l’anarchiste neuchâtelois James Guillaume, compagnon de lutte de Bakounine, sont passés par là. De même que, au nom de la liberté d’expression et de l’ouverture à toutes les opinions voulues par les fondateurs, le fasciste genevois Géo Oltramare – ce qui fait toutefois grincer des dents. 

Pionnières féministes
Bien qu'au début, les activités proposées soient exclusivement masculines – il est même précisé lors de certains événements que «les dames ne sont pas admises» –, la Maison du peuple s'ouvre très tôt aux idées féministes, sous l'impulsion d'Hélène Monastier, membre du conseil administratif de l'institution. Les oratrices, parmi lesquelles on compte la libertaire française Nelly Roussel, la journaliste genevoise Emilie Gourd ou encore Margarethe Faas-Hardegger, première secrétaire féminine de l'Union syndicale suisse, parlent notamment de suffrage féminin et de contraception, un sujet un temps interdit par les autorités municipales.
Mais malgré un programme riche et des tarifs modestes, les ouvriers – auxquels on signale qu'ils sont bienvenus aux spectacles en costume de travail – fréquentent peu les activités culturelles et les conférences de la Maison du peuple. D'une part, leurs centres de vie et de travail sont plutôt situés dans l'ouest lausannois; d'autre part, leurs organisations manifestent un désir grandissant de ne plus être sous la tutelle d’un mécène bourgeois, aussi progressiste soit-il, et de disposer d’un lieu à elles.

Deux lieux, deux styles
Le Cercle ouvrier est fondé en 1916 dans ce but. Après avoir occupé un immeuble de l'actuelle rue Pichard, il s'installe en 1936 à la place Chauderon. Pas d’activités culturelles ici, mais des bals, des tombolas, des jeux de cartes. On y trouve aussi un café, avec alcool celui-là. La question de fusionner les deux institutions se posera, mais n’aboutira pas. Le nom de celle de Chauderon fait aussi débat. Finalement, elle est baptisée «Nouvelle Maison du peuple», pour ne pas usurper le nom de sa grande sœur. Le succès populaire est au rendez-vous, pour le meilleur et pour le pire. Des bagarres éclatent parfois entre clients avinés, ou à cause de divergences politiques. Les communistes, critiqués pour leur attitude sectaire et agressive, finissent par être exclus.
Quant à la Maison du peuple de la Caroline, cette concurrence, et celle d’autres lieux réservés à la  classe ouvrière, la met dans des difficultés financières qui finiront par causer sa fermeture. Elle cesse ses activités en 1952, et le bâtiment est démoli deux ans plus tard. L’immeuble de Chauderon, reconstruit en 1961, peut dès lors s’affranchir de l’épithète «nouvelle» et n’arborer sur son enseigne que le nom de «Maison du peuple».

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