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Libre circulation: les plus et les moins

Un poste frontière entre la Suisse et la France.
© Olivier Vogelsang/archives

Au cours des vingt dernières années, l'immigration en provenance de l'Union européenne (UE) a été essentielle pour répondre à la demande de main-d'œuvre de l’économie.

L’Union syndicale suisse estime que l’accord sur la libre circulation des personnes avec l’Union européenne est bénéfique à l’économie et, globalement, aux salariés helvétiques. Mais qu’il favorise cependant des formes de travail précaires

Au cours des vingt dernières années, l'immigration en provenance de l'Union européenne (UE) a été essentielle pour répondre à la demande de main-d'œuvre de l’économie. Le recrutement à l'étranger a également permis de compenser un besoin de remplacement lié à la démographie et au vieillissement de la population. C’est ce qui ressort du dernier rapport de l’Observatoire sur la libre circulation des personnes, présenté le 4 juillet par le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco).

La libre circulation des personnes ne provoque toutefois pas plus d’immigration dans notre pays. Ce sont la situation économique de la Suisse et l’internationalisation de l’économie et de la société qui jouent un rôle moteur. Par contre, l’accord de libre circulation avec l’UE a directement amélioré la situation des travailleurs immigrés. «La libre circulation confère aux personnes migrantes davantage de droits et une meilleure protection sociale dans la mesure où les permis de séjour sont délivrés pour une durée de cinq ans et où il est relativement simple de changer d’emploi en Suisse. Et aussi parce qu’il est relativement facile de venir avec sa famille. Les personnes migrantes se laissent donc moins mettre sous pression par les employeurs», a expliqué Daniel Lampart, l’économiste en chef de l’Union syndicale suisse (USS), présent à la conférence de presse du Seco. De plus, depuis l’introduction de la libre circulation, des contrôles à grande échelle sont réalisés pour lutter contre la sous-enchère salariale. La pression sur les salaires subie par la main-d’œuvre étrangère a sensiblement diminué et le travail au noir est aussi nettement moins fréquent. «Le patronat ne peut pas recruter de main-d’œuvre étrangère bon marché aux dépens du personnel qualifié disponible sur place, ce qui arrivait bien plus souvent sous l’ancien système de contingents. Les nouvelles conventions collectives de travail dans le secteur du nettoyage ou de la location de services, qui prévoient des salaires minimums plus élevés, ont contribué à cette évolution.»

Explosion du travail temporaire

Autre enseignement du rapport: durant ces deux décennies, le marché du travail a connu de profonds changements structurels, surtout dans les activités à forte valeur ajoutée, qui requièrent un niveau de qualification élevé. Cette évolution a créé des opportunités pour les salariés suisses, qui se retrouvent, globalement, nettement plus qualifiés qu'il y a vingt ans et exercent des activités professionnelles plus exigeantes.

Tout n’est pas rose pour autant. «La levée des obstacles à la libre circulation a malheureusement profité à deux formes d’emploi potentiellement précaires, le travail temporaire et le détachement de main-d’œuvre», déplore Daniel Lampart. L’accord de libre circulation permet, en effet, aux agences de travail intérimaire de placer des travailleurs de courte durée et des salariés frontaliers, l’autorisation de séjour en Suisse n’étant plus requise. Le travail temporaire a donc explosé et les cas de sous-enchère salariale sont nombreux. De surcroît, des sociétés étrangères peuvent détacher leur main-d’œuvre en Suisse. «Dans les régions frontalières, elles détiennent environ 20% des parts de marché dans l’agencement de cuisines, le montage de fenêtres ou la construction en bois. De telles entreprises arrivent en Suisse avec des salaires et des contrats de travail étrangers. Le potentiel de sous-enchère est d’autant plus grand.»

Système lacunaire

Le système de protection des salaires permet de combattre les plus graves abus, mais il reste lacunaire. «Le personnel temporaire s’expose à avoir de moins bonnes conditions de travail que la main-d’œuvre fixe, ce qui confère au travail temporaire un avantage injustifié sur le marché. En outre, de nombreuses branches d’activité ou professions, comme le commerce de détail ou les secteurs de la santé et du social, ne bénéficient pas à ce jour de conventions collectives prévoyant des salaires minimums.»

Pour l’USS, il est par conséquent nécessaire d’améliorer les conditions d’engagement de la main-d’œuvre temporaire ainsi que la protection offerte par les conventions collectives de travail.

Plus de chômage, moins d’aide sociale

Les personnes qui ont immigré en Suisse sous le régime de la libre circulation sont exposées à un risque de chômage supérieur à la moyenne. En effet, les travailleurs d'Europe du Sud et de l'Est, qui occupent souvent des emplois précaires, perçoivent comparativement davantage d'indemnités journalières de l'assurance chômage. Selon les chiffres de l’année 2020 présentés dans le rapport, le taux de perception de l’assurance chômage se monte à 5,7% pour les salariés issus de l’UE, contre 2,6% pour les Suisses. L’année 2020 a toutefois été marquée par l’éclatement de la crise liée sanitaire, le chômage ayant atteint cette année-là un niveau élevé pour tous les groupes de population. Et les immigrés ont été dans l’ensemble davantage touchés par les conséquences de la crise. Le recours aux prestations sociales des personnes ayant immigré sous la libre circulation se maintient, en revanche, à un niveau très faible, soit, en 2021, 1,7% de cette population, contre 2,6% pour détenteurs d’un passeport à croix blanche.


Des garanties contraignantes exigées pour le mandat de négociation

Lors de sa séance du 21 juin, le Conseil fédéral a adopté les paramètres d’un mandat de négociation avec l’UE. Des objectifs spécifiques ont été fixés dans les domaines de la libre circulation, de l’électricité, de la sécurité alimentaire, de la santé, des transports, de l’agriculture et des obstacles techniques au commerce. Le gouvernement préparera un mandat définitif de négociation à l’automne suivant les résultats des discussions exploratoires avec Bruxelles. Pour l’heure, la protection des salaires et des services publics ne sont pas assurés, s’inquiète l’USS. «Il faut des garanties contraignantes pour que les conventions collectives puissent continuer à être appliquées de façon paritaire. Et la Suisse doit pouvoir continuer à utiliser des instruments tels que le blocage des prestations de services, les interruptions de travail et la caution pour lutter efficacement contre la sous-enchère», écrit la faîtière syndicale dans une prise de position. «Les travailleurs temporaires doivent être engagés aux mêmes salaires que les employés fixes.» La Suisse pourrait reprendre à cette fin les directives de l’UE sur les salaires minimums et le travail intérimaire. L’USS s’oppose, en outre, à l’ouverture des marchés de l’électricité et des transports, ainsi qu’à la fin des aides d’Etat dans le secteur de la santé.

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