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Cent salariés de la Verrerie de Moutier sur le carreau

AGC Glass Europe va fermer sa filiale helvétique. Entre incompréhension et révolte deux salariés témoignent

Coup dur pour Moutier et les 102 salariés de sa verrerie. Prétextant des déficits chroniques, le groupe européen AGC Glass veut fermer sa filiale helvétique. Unia Transjurane a proposé ses services au personnel, mais n'a pas obtenu de mandat de représentation de la majorité des travailleurs.

«C'était un coup de massue, un coup de poignard, c'était horrible, je n'ai jamais connu ça.» C'est les yeux embués de larmes qu'Irène* décrit cette matinée du 8 septembre dernier lorsque les 102 salariés d'AGC Verres industriels de Moutier ont appris la triste nouvelle. La direction leur a annoncé qu'en raison de déficits chroniques, l'usine, spécialisée dans la fabrication de vitrage pour la construction et les transports, allait fermer ses portes à la fin de l'année. Ouverte dans les années 1840, la verrerie est la plus ancienne manufacture de la cité prévôtoise. En 2011, l'entreprise avait été rachetée par AGC Glass Europe, société basée en Belgique, qui est elle-même la branche européenne du groupe japonais Asahi Glass, leader mondial du verre plat.
«Après la réunion, ce n'était pas possible de travailler, on a arrêté les ordinateurs pour discuter», poursuit Irène. «C'est la tristesse, l'incompréhension, la révolte, la rage... Ce n'est pas possible, ça ne peut pas finir comme ça», se désole cette employée de bureau, qui, à deux ans de la retraite, affiche 27 ans d'ancienneté. «Je ne suis pas prête pour le chômage. Je ne sais pas faire autre chose et qui va m'engager à mon âge?»
«On s'attendait à une mauvaise nouvelle, mais pas aussi totale. C'est un cauchemar», témoigne de son côté Charles*. «On voit des collègues pleurer dans les coins. Moi, j'ai un diplôme de mécanicien et ne suis pas trop vieux, mais d'autres collègues plus âgés, sans qualifications, sont vraiment dans la panade. Mais le groupe s'en fiche bien, tout ça c'est pour des questions d'argent.»

Pas de mandat pour Unia
Unia Transjurane a proposé ses services au personnel, mais n'a obtenu un mandat de représentation que d'une minorité des travailleurs. La commission du personnel a en effet incité les salariés à rejeter l'offre du syndicat, en estimant que l'aide d'un avocat rétribué par la commune de Moutier serait suffisante pour négocier un plan social. «L'idée qui a circulé est qu'avec Unia toutes les portes vont se fermer», a résumé un jeune ouvrier au cours de la seconde assemblée du personnel convoquée par le syndicat qui a réuni une vingtaine d'employés.
«Si on avait le mandat, ils seraient obligés d'ouvrir des négociations et nous obtiendrions forcément quelque chose. Ce qui est important, c'est de les prendre à la gorge, qu'ils se rendent compte à qui ils ont affaire. Là, ils voient qu'ils vont pouvoir faire ce qu'ils veulent, un plan social à zéro franc», a regretté Pierluigi Fedele. Si le secrétaire régional d'Unia Transjurane convient que le personnel peut décliner l'offre de soutien du syndicat, il déplore une attitude «malhonnête» de la commission d'entreprise, en accusant son président de vouloir tirer la couverture - en particulier médiatique - à lui. Pierluigi Fedele est très remonté également à l'égard de l'exécutif prévôtois, «qui va payer un avocat alors que c'est un groupe qui fait des centaines de millions de bénéfice». «Les pouvoirs publics sabotent le syndicat. D'habitude, ce sont les multinationales qui offrent les services d'un avocat afin de contourner les syndicats... Il est insupportable d'entendre qu'il est inutile d'adhérer à Unia et d'y verser des cotisations; dire qu'un avocat peut nous remplacer, c'est mentir aux travailleurs.»

Conduits à l'abattoir
«Il faut le vivre pour le croire: des ouvriers disent à d'autres ouvriers de ne pas aller au syndicat», explique Charles. «Non seulement on se fait virer, mais en plus le personnel ne veut pas se défendre. Les gens sont résignés comme des moutons conduits à l'abattoir. On devrait garder la tête haute et utiliser nos droits. On va crever dans l'anonymat. Nous serons morts deux fois, tués par nos patrons et par une attitude mesquine.»
Pierluigi Fedele a annoncé qu'Unia défendrait ses membres sur le plan individuel. Il s'agira de garantir les droits à la LPP, le fonds étant en liquidation, et de mettre à disposition pour la recherche d'un nouvel emploi le carnet d'adresses du syndicat. Les nouveaux adhérents bénéficieront aussi de ce coup de pouce. «Et si ça bouge, on reste à disposition.»

Jérôme Béguin

* Prénoms d'emprunt