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50 millions d’esclaves

travailleurs forcés en Inde.
© Marcel Crozet/ILO

En cinq ans, l’esclavage moderne a explosé en raison des crises, des conflits et des changements climatiques qui ont aggravé l’extrême pauvreté et les migrations forcées. Il n’est pas réservé aux pays les plus pauvres, la moitié du travail forcé se trouvant dans les pays à revenu moyen supérieur.

Les dernières estimations montrent que le travail forcé et le mariage forcé ont considérablement augmenté au cours des cinq dernières années

Aujourd’hui dans le monde, quelque cinquante millions de personnes subissent une situation d’esclavage sous la forme d’un travail forcé ou d’un mariage forcé. Rendu public le 12 septembre, le rapport Estimations mondiales de l'esclavage moderne montre que le phénomène est en expansion. Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), l’Organisation internationale des migrations et l’ONG Walk Free, qui ont réalisé conjointement cette étude, le nombre d’esclaves modernes s’est en effet accru de 10 millions entre 2016 et 2021. Environ 28 millions de personnes sont soumises au travail forcé et 22 millions de femmes et de jeunes filles sont piégées dans un mariage non voulu.

Tel qu'il est défini dans le rapport, l'esclavage moderne comprend deux composantes principales, le travail forcé et le mariage forcé, qui renvoient à des situations d'exploitation qu'une personne ne peut refuser ou auxquelles elle ne peut échapper en raison de menaces, de violences, de tromperies ou d'abus de pouvoir. Comme l’indique l’enquête, l’esclavage moderne est présent partout dans le monde et traverse les frontières ethniques, culturelles et religieuses, sans s’arrêter à la porte des pays riches. La moitié du travail forcé et un quart des mariages forcés se trouvent dans les pays à revenu moyen supérieur.

Les 63% des cas de travail forcé se produisent dans l’économie privée, 23% dans l’exploitation sexuelle commerciale et 14% dans le cadre du travail imposé par l’Etat. Si le travail forcé touche presque toutes les branches de l’économie, 87% des cas sont recensés dans cinq secteurs: services, industrie manufacturière, construction, agriculture et travail domestique. Les enfants et les adolescents ne sont pas épargnés: 3,3 millions sont astreints au travail forcé, dont plus de la moitié sont victimes d’exploitation sexuelle. Femmes et enfants restent vulnérables de manière disproportionnée, de même que les migrants.

Quant au mariage forcé, il concerne 22 millions de femmes et de jeunes filles, soit 6,6 millions de plus qu’en 2016.

Multiplication des crises

Le rapport explique cette persistance et cet approfondissement de l’esclavage moderne par la multiplication des crises, des conflits et des changements climatiques ces dernières années, qui ont occasionné «des perturbations sans précédent en matière d’emploi et d’éducation, l’aggravation de l’extrême pauvreté, la multiplication des migrations forcées et dangereuses, l’explosion des cas de violence fondée sur le genre». Au cours de la pandémie, il a été observé une multiplication des cas de travail forcé. En raison des pertes d’emploi et de revenu, les travailleurs se sont endettés davantage, d’où une augmentation des cas de servitude pour dettes. De plus, la crise a entraîné une détérioration des conditions de travail, menant dans certains cas au travail forcé.

«Il est choquant que la situation de l'esclavage moderne ne s'améliore pas. Rien ne peut justifier la persistance de cette violation fondamentale des droits de l'homme», a déclaré le directeur général de l'OIT lors de la présentation du rapport. «Nous savons ce qu'il faut faire, et nous savons que cela peut être fait», a ajouté Guy Ryder, en appelant les Etats, les partenaires sociaux et la société civile à la mobilisation. Pour faire reculer le fléau du travail forcé, le rapport recommande notamment d’améliorer les législations, d’étendre les protections sociales, de renforcer les capacités et les champs d’action de l’inspection du travail ou encore d’assurer la protection des victimes. Il s’agit aussi de respecter la liberté d’association et le droit de négociation collective des travailleurs: «Ces droits fondamentaux du travail permettent aux travailleurs de s’exprimer collectivement pour défendre leurs intérêts communs et pour négocier collectivement des conditions de travail sûres et décentes, contribuant ainsi à la création de lieux de travail qui ne laissent pas de place au travail forcé et où les travailleurs font preuve de résilience face à ses risques», note le document.

En ce qui concerne le mariage forcé, il est préconisé de porter l'âge légal du mariage à 18 ans sans exception.

«Ce rapport contient un grand nombre de bonnes recommandations», a commenté la secrétaire générale de la Confédération syndicale internationale, Sharan Burrow. «Nous devons redonner le pouvoir aux salariés et commencer à réparer les dégâts occasionnés par l’ordre économique actuel, qui a aggravé le scandale mondial de l’esclavage moderne. Nous demandons de toute urgence que les entreprises soient obligatoirement soumises à un devoir de diligence afin d'empêcher le recours au travail forcé et d'autres violations dans les chaînes d'approvisionnement. Nous appelons également les gouvernements nationaux à réglementer le marché du travail en imposant des critères de conformité et des sanctions strictes.»

Du travail forcé aussi en Suisse

Le rapport ne cite pas la Suisse, mais l’esclavage moderne est aussi une réalité dans notre pays et pas seulement dans l’exploitation sexuelle commerciale puisque des cas de traite à des fins de travail forcé ont été découverts dans la restauration, le travail domestique, la construction ou encore l’agriculture. Unia s’engage contre ce fléau en sensibilisant et en formant le personnel et les membres du syndicat, en consolidant les contacts avec les victimes et les témoins, en améliorant la coordination avec les associations et les autorités de poursuites, ainsi qu’en menant des actions sur le plan politique. Le syndicat exige une meilleure protection des victimes et des témoins lors des enquêtes, il demande un renforcement des instruments de procédure pénale et propose de mieux sensibiliser et de former les acteurs concernés.

Plus d’infos sur: unia.ch


L’UE veut bannir les produits issus du travail forcé

La Commission européenne a proposé le 14 septembre une interdiction des produits issus du travail forcé. Les Etats européens seraient habilités à retirer du marché les biens incriminés après enquête. Ils pourraient, écrit l’organe exécutif de l’Union européenne (UE), «demander des informations aux entreprises et effectuer des contrôles et des inspections, y compris dans des pays tiers». La proposition doit maintenant être examinée et approuvée par le Parlement européen et le Conseil de l'UE. La Confédération européenne des syndicats (CES), qui a joué un rôle dans l’élaboration de la proposition, a salué cette annonce. La Commission européenne ne nomme aucun pays dans sa proposition, mais on sait que l’industrie du coton et les camps dits de rééducation au Xinjiang sont en particulier visés. Dénonçant des violations des droits humains à l’encontre des Ouïghours, les pays anglo-saxons ont déjà interdit les importations de cette région de Chine. En Suisse, le sénateur Carlo Sommaruga (PS/GE) avait, en 2020, déposé une motion en ce sens, qui a été rejetée, tant par le Conseil fédéral que les Etats. Au National, Fabian Molina (PS/ZH) a demandé, en 2021, que le Conseil fédéral présente un rapport «sur les possibilités offertes» d’interdire les marchandises produites dans le cadre du travail forcé. Là encore, le gouvernement propose de rejeter le postulat, qui n’a pas encore été traité au conseil.

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