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Kiosques afghans et épiceries asiatiques

Portrait de Jawad Rahimi dans son kiosque.
© Thierry Porchet

Pour Jawad Rahimi, arrivé en Suisse à l’âge de 6 ans, tenir un kiosque est un héritage familial. Comme pour beaucoup d’autres Afghans, le commerce fait partie de sa vie.

Malgré la charge de travail que cela implique, beaucoup parmi les membres de certaines diasporas rêvent de se lancer dans le commerce de détail indépendant. Alors que les Afghans acquièrent souvent des kiosques, les Tamouls du Sri Lanka ouvrent plutôt des épiceries. Découverte

Dans le kiosque du Grand-Pont à Lausanne, les clients défilent, même s’il est pour le moment entouré par les travaux en cours sur l’édifice du même nom. Son propriétaire, Jawad Rahimi ne s’explique pas vraiment cet engouement des Afghans pour les kiosques, mais son oncle qui en gérait un lui a fait connaître ce domaine. «Les plus doués pour le commerce, ce sont les Sri-Lankais, lance-t-il. A Lausanne et à Genève, il y a peu de demande pour les produits alimentaires afghans, et j’aurais de la peine à les écouler. A Zurich, on trouve davantage d’épiceries afghanes.»

Gholam Rahimi, l’oncle de Jawad, tient le kiosque à l’entrée du centre commercial de la rue Caroline. Il a initié son neveu au métier. C’est en 2016 que le jeune homme a ouvert le sien, à cinq minutes de celui de son cousin Reza, gérant du kiosque du même nom à la rue Neuve. «Nous, les Afghans, on aime le commerce, et avec les produits que je vends, je n’ai pas de souci à me faire avec les dates de péremption.» Le kiosque de Jawad est ouvert de 8h à 20h et ne ferme que le dimanche. Le jeune Afghan originaire de Herat, arrivé en Suisse à l’âge de 6 ans, prend rarement congé. «Je pense faire ça encore une dizaine d’années, puis ouvrir autre chose, si j’en ai l’occasion… Peut-être un restaurant, comme mon oncle Nessar!» Le frère de son oncle Gholam a récemment ouvert un snack à deux pas du kiosque de la Caroline, et le mari de sa tante, Djavad Haidary, tient un restaurant-traiteur connu loin à la ronde, dans les communautés afghane et iranienne. Le Herat Kebab de la rue Vinet est le seul établissement où l’on peut se procurer du pain barbari fait maison, et d’autres spécialités irano-afghanes. Quand Jawad dit qu’il a d’autres projets pour l’avenir, on le croit…

«Quand tu as ton commerce, tu es sûr d’avoir toujours du travail»

Parmi les Afghans arrivés en Suisse plus récemment, beaucoup espèrent également ouvrir leur propre commerce. Hamidullah (prénom d'emprunt), en fait partie. Avant de travailler dans la construction, puis dans la restauration, le jeune homme a bien tenté quelque temps de trouver un apprentissage dans un domaine qui l’intéressait, en vain. Parlant couramment le turc, il enchaîne depuis deux ans des emplois dans de petits établissements tenus par des membres de cette communauté. «Beaucoup d’Afghans arrivés récemment sont dans la même situation que moi, explique le jeune homme, en Suisse depuis 2016. On travaille beaucoup, pour un salaire très bas, et du jour au lendemain, on peut nous dire de partir.»

Ouvrir un kiosque ou un kebab, et devenir son propre patron, c’est son objectif, même s’il est conscient des risques financiers que cela implique. «En étant le gérant, tu travailles beaucoup et ne gagnes peut-être que le minimum vital, mais c’est toi qui décides des horaires, par exemple. On ne te les impose pas», explique Hamidullah, qui dit être fréquemment victime de manque de respect de la part de ses employeurs. «Quand tu as ton commerce, tu es sûr d’avoir toujours du travail, et de ne pas devoir tout le temps changer de patron! C’est pour toutes ces raisons que je souhaite me lancer», conclut le presque trentenaire.

«Du syndic aux toxicomanes, on voit de tout dans notre kiosque»

A 200 mètres du kiosque de Jawad, en face de l’église Saint-Laurent, celui du couple Osmani a été le premier du centre-ville tenu par des Afghans. «Avant nous, il en existait un autre, mais loin du centre, à la rue du Bugnon. Il est ensuite devenu une chocolaterie», se souvient Sayed Osmani. Depuis, ils se sont multipliés. «Que dire, si ce n’est que les gens sont des moutons!» plaisante le bientôt sexagénaire. «Les Afghans sont courageux et travaillent dur, mais ils manquent peut-être un peu d’esprit d’initiative», observe celui qui est avant tout artiste. «Du syndic aux toxicomanes, on voit de tout dans notre kiosque, vu son emplacement», raconte le père de famille, arrivé en Suisse dans les années 1990. «Mais moi, je suis calligraphe de métier, et artiste-peintre. Malheureusement, en Suisse, je n’ai pas pu vivre de mon art», regrette-t-il.

Le vieil immeuble de la rue Pichard 4, abritant son kiosque, est entièrement loué par la famille Osmani. Passé le 1er étage, occupé par un barbier, on se retrouve dans un univers insoupçonné, où les tableaux peints par Sayed Osmani recouvrent presque chaque centimètre des murs. Un diapason traîne sur le canapé de la pièce, au centre de laquelle se trouve un piano à queue. «Je vous montrerais bien le 3e étage, mais mon fils dort… il est pianiste et étudiant au conservatoire.» Le patron du kiosque évoque l’atelier de calligraphie qu’il avait à Peshawar au Pakistan, après avoir dû fuir son pays, dans les années 1980. En Suisse, il a tenté de trouver une activité apparentée à son métier, mais dans l’entreprise d’enseignes lumineuses qui l’a employé durant sept ans à Berne, tout se faisait à la machine. «Un jour, j’ai tracé quelques mots à la main», se souvient le calligraphe. Son supérieur remarque alors son talent, stupéfait. «“Ta place n’est pas ici! Toi, tu es un artiste…” m’avait-il dit.» Il avait compris ce que les clients du kiosque de Saint-Laurent ignorent. «Durant quelque temps, j’avais mis un tableau près du comptoir, mais on a tenté de me le voler. Mélanger les deux choses n’est pas une bonne idée. En bas, je suis un kiosquier…»

«On ne se nourrit pas de cigarettes!»

A quelques pas de là, rue Chaucrau, Vu Quyet Thang tient l’épicerie vietnamienne Asia Kim Dung. Arrivé en Suisse en 1998, il n’a jamais songé à ouvrir autre chose qu’une épicerie. «Ce dont on a besoin, c’est de nourriture, c’est l’essentiel! s’exclame le natif de Ha-Long, avec un léger accent vaudois. On ne se nourrit pas de cigarettes!» Dans les environs, l’épicerie a peu de concurrence: la ville ne compte que quatre magasins vietnamiens. Les commerces tenus par des Tamouls, plus nombreux, vendent d’autres produits, et n’ont que quelques épices en commun avec le sien, explique le gérant. Après avoir habité dans plusieurs quartiers de Lausanne, il a eu la chance de pouvoir s’établir au-dessus de son épicerie, fermée uniquement le dimanche.

La majorité des clients de Vu Quyet Thang sont des Suisses, à la recherche d’ingrédients spécifiques aux cuisines vietnamienne et thaïe. «Avec internet maintenant, les gens peuvent se lancer dans des recettes asiatiques plus facilement», observe le gérant, en encaissant des petits gâteaux au soja vietnamiens.

Une entrepreneuse épanouie

Dans le monde des petits commerces moyen-orientaux et tamouls, où les gérants sont généralement des hommes, Amaravathy Jehanathan fait figure d’exception

Amaravathy Jehanathan devant son épicerie.
Amaravathy Jehanathan est la patronne de l’épicerie tamoule de l’avenue de France. Une entrepreneuse énergique, qui a fait sa place dans un monde très masculin. © Thierry Porchet

 

Jusqu’en 2015, le couple Jehanathan gérait trois épiceries à Lausanne et à Prilly, ainsi qu’un restaurant à Genève. Lorsque son époux décède d’une crise cardiaque en 2015, Amaravathy, qui a rejoint son mari en Suisse en 1997, décide de ne garder que l’épicerie de l’avenue de France, la plus ancienne. Elle se retrouve seule maître à bord, mais peut compter sur les quelques fidèles employés de l’enseigne. «C’est très rare, chez les Tamouls, qu’une femme soit la gérante d’une épicerie!, s’exclame la native de Jaffna, devenue Suisse. Je pense que cela les impressionne, mais je ne sais pas trop… souffle-t-elle, je ne vais jamais dans les autres épiceries tamoules!»

En 2019, l’énergique entrepreneuse a l’occasion de reprendre l’épicerie voisine et de s’agrandir. «Avant, on ne pouvait presque plus circuler entre les rayons, c’est bien mieux maintenant!» s’enthousiasme la jeune quadragénaire, en plaisantant avec une cliente africaine venue acheter du manioc. «En 2003, quand on a ouvert cette épicerie, je n’étais pas comme ça, j’étais timide… mais maintenant, c’est moi la patronne, c’est différent!»

Le commerce, qui vend énormément de produits destinés aux cuisines indienne, sri-lankaise et africaine, est ouvert 7 jours sur 7, de 8h à 20h. «Depuis peu, je prends congé le lundi après-midi», explique celle qui est aussi mère de trois filles. «Mon aînée de 23 ans travaille déjà. Je peux compter sur elle pour l’administratif à la maison, et pour s’occuper de ses sœurs étudiantes au gymnase.» Amaravathy est en effet extrêmement prise par son travail, et se rend elle-même à l’aéroport pour réceptionner les livraisons. «Maintenant, je conduis même le gros camion pour aller à Genève!» raconte-t-elle, une once de fierté dans la voix.

L’épicerie peut compter sur une clientèle fidèle très hétéroclite, «beaucoup d’Africains, et des gens de partout», explique la rayonnante patronne, qui dit adorer son travail, plaisanter et se disputer avec les clients. «Maintenant que je n’ai plus mon mari, mon travail, c’est toute ma vie!» confesse la Prillérane.

Le commerce, les habitants de l’île aux épices le pratiquent depuis des siècles. «C’est un peu dans nos gènes, je pense», sourit-elle. Entre les épiceries tamoules, la concurrence est rude, et les enseignes proposant des produits identiques à ceux du Jehanathan Asian Shop sont nombreuses. «Rien que dans cette rue, il y a une autre épicerie tenue par un Sri-Lankais avant la mienne, et deux autres plus loin!» note la gérante. Si la solidarité ne semble pas être de mise entre commerçants sri-lankais, Amaravathy peut compter sur celle de ses sympathiques voisins Kurdes du Ali’s Pizza & Kebab…

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