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Les arbres sur grand écran

femme et arbre
© Thierry Porchet

Dans son nouveau documentaire, la réalisatrice Orane Burri va à la rencontre de bûcherons, de scientifiques, d’Amérindiens, d’enfants,… et aussi d’arbres.

Inestimables forêts, documentaire de la réalisatrice neuchâteloise Orane Burri, sort en salle. Une invitation à prendre conscience de la valeur de nos bois, du local au global.

«Beaucoup de films ont été faits sur la forêt, je voulais trouver un angle différent pour apporter ma pierre à l’édifice.» Orane Burri résume les racines de son nouveau documentaire. 

Inestimables forêts, résolument écologiste, aborde ainsi, une fois n’est pas coutume, une vision économique de la nature. Après son questionnement sur la valeur de notre humanisme dans le film Nettoyeurs de Guerre; puis celle de l'eau dans son documentaire Le Prix du Gaz, une résistance citoyenne; la réalisatrice neuchâteloise engagée  questionne cette fois-ci la valeur de nos forêts. Avec talent, une fois de plus, Orane Burri réussit à parler de l’universel en plongeant dans le profondément local. Sans quitter son territoire, la Neuchâteloise met en lumière les inégalités de ce monde. Car si son canton a des pratiques de gestion durable des forêts depuis 150 ans, la surconsommation de ses habitants crée des déséquilibres ailleurs. La culture de soja pour le bétail suisse ou européen a ainsi des effets mortifères au Brésil et plus globalement sur le climat mondial. «Nous mangeons la forêt amazonienne», assène Luciana Gatti, chercheuse au Brazil’s National Institute for Space Research (BNISR), interviewée dans le film. 

Il y a urgence

«Tous les intervenants se rejoignent sur le fait qu’il faut agir urgemment. Or les intérêts économiques créent des blocages, malgré le précieux des arbres essentiels à la survie de l’humanité et des autres êtres vivants», alerte Orane Burri.

Des racines des arbres aux images satellites, la réalisatrice rencontre des Amérindiens Puyanawa de l’Amazonie brésilienne en visite dans le canton de Neuchâtel et des scientifiques à la renommée mondiale de l’Organisation météorologique mondiale et de la NASA à Genève. 

Elle accompagne aussi des bûcherons qui combattent le bostryche; des enfants qui créent un lien sensible avec les êtres de la forêt; ou encore des politiciens qui oeuvrent à la mise en place de règles contraignantes pour les multinationales sises en Suisse. Car ces dernières, comme nos banques, participent à la déforestation mondiale. «Nous devons exiger des garanties que ce que nous importons n’est pas issu de la déforestation ou de l’exploitation des enfants, et que l’argent de notre deuxième ou troisième pilier est utilisé de manière responsable», explique la réalisatrice, pour qui le tournage au plus proche de la forêt, durant deux ans, a été – en plus de nourrir sa réflexion politique – source de transformation profonde.

Elle témoigne ainsi avoir été bousculée par la notion de temps, entre le très long terme de la forêt – planter un arbre nécessite de se projeter dans 150 ans – et l’immédiateté de nos vies. «Le décalage temporel est fou. La nature nous dit de ralentir. Moi qui suis plutôt speed, j’ai réalisé que je me sentais mieux dans ce rythme. C’est très perturbant pour la cartésienne que je suis de ressentir aujourd’hui un lien sensible au vivant, au sens spirituel. Les Amérindiens ont une relation intime à la pachamama, la terre-mère nourricière. Ici, nous n’avons même pas les mots pour parler de cette connexion profonde. Or nous avons tous une étincelle de forêt en nous. Nous venons de là. J’espère que mon film donne aussi envie de se reconnecter.»

 

Inestimables forêts d’Orane Burri est dans les salles romandes depuis le 1er septembre. Davantage d’informations et agenda complet des projections en présence de la réalisatrice et d’autres protagonistes du documentaire : inestimablesforêts.com

 

«Les forêts du monde entier sont sœurs»

Le film d’Orane Burri est né d’une carte blanche donnée par le Jardin botanique de Neuchâtel. Une initiative lancée par Blaise Mulhauser, directeur de l’institution. Entretien.

Quelle est la source de ce projet?

Pendant la période Covid, nous avons eu la volonté d’aider de jeunes artistes indépendants afin d’enrichir la réflexion autour de notre exposition à venir intitulée «Business Plantes» qui lie nature et économie. Nous voulions sortir de nos murs, ou plutôt de notre parc, puisque l’exposition est en plein air. Notre choix s’est porté sur Orane Burri qui a eu carte blanche, même si nous avons été en étroite relation tout au long du processus. Finalement, le film et l’exposition sont complémentaires car, de notre côté, nous parlons peu de la forêt hormis sous l’angle de la traçabilité du bois, sujet qui n’est pas traité dans le documentaire. 

Quel regard portez-vous sur le documentaire?

Une chose essentielle pour moi était que l’on ne donne pas la parole qu’aux ingénieurs forestiers, car la forêt est visitée par tout le monde. Dans le documentaire, la diversité et la richesse des intervenants est extraordinaire. Orane Burri a su aussi distiller le souffle de la forêt pour laisser vivre l’imaginaire. Alors qu’elle n’a filmé quasi seulement à Neuchâtel, hormis une incursion à Genève, elle arrive parfaitement à illustrer que les forêts du monde entier sont sœurs et que toutes méritent d’être gérées de manière aussi durable que dans notre pays.

Quel est le message de votre exposition Business Plante?

Dans ce lieu de promenade qu’est le jardin botanique, nous avons cherché à titiller la curiosité du public sur une thématique ingrate. En bons chefs d’entreprise, nous avons donc créer un business plan pour la nature en 18 postes. Comme le sous-titre de l’exposition «la vraie nature de l’économie» l’indique, nous rappelons l’éthymologie du mot: «oïkos» et «nomos» signifient «savoir gérer son environnement». Le développement durable est donc le fondement même de l’économie. Soit savoir dépenser la juste énergie pour vivre. Ecologie et économie sont donc fortement liées. Rien à voir avec l’idée que l’on se fait d’une économie de libre-marché, non seulement source de profits, mais également débauche d’énergie et de gaspillage.

Pour prendre un exemple, la forêt de Ballens dans le canton de Vaud risque d’être rasée pour en faire une gravière. Comment trouver la juste balance entre le besoin en béton pour la construction et la sauvegarde d’un écosystème? Et comment utiliser le bois pour la construction sans décimer les forêts?

Depuis le 18e siècle déjà, suite à la surexploitation du bois par les industries naissantes, on s’est rendu compte que sans arbres les sols ne tenaient plus. Il s’agissait donc de protéger les forêts pour protéger les villages des risques d’éboulement. Dans le canton de Neuchâtel, on a commencé à développer une sylviculture proche du fonctionnement de la nature pour maintenir l’équilibre naturel de la forêtLa loi forestière le dit depuis 1876: les forestiers n’ont le droit de prendre que ce que la forêt a produit pendant l’année. C’est le principe du rendement soutenu. Or aujourd’hui on a besoin d’un environnement sain. Stocker le carbone dans le sol, mais également réguler le climat, ne seront possibles que si des arbres couvrent le terrain. Donc, aujourd’hui, entre créer une gravière et protéger une forêt, le besoin écosystémique majeur est, à mon avis, clairement de sauvegarder cette dernière.

Business Plantes – la vraie nature de l’économie, réalisée par Elodie Gaille, conservatrice en ethnobotanique, et Blaise Mulhauser, directeur de l’Institution, dans le parc du Jardin botanique de Neuchâtel jusqu’au 30 novembre 2025.

https://www.jbneuchatel.ch

 

Le bois de Ballens en sursis

Dans le canton de Vaud, l’Association de sauvegarde des bois de Ballens et environs (ASBBE) ne cesse de grandir. A ce jour, depuis sa création le 24 juin dernier, plus de 120 personnes ont rallié la cause mise en lumière par le collectif Grondements des terres en juin dernier. Lors de leur occupation éclair, les jeunes activistes ont conquis le cœur de nombre d’habitants de la région et surtout réussi à fédérer une lutte qui s’annonce longue face à Holcim et Orllati, qui aspirent à exploiter le gravier et le sable du sous-sol de la forêt. 

«On n’a pas chômé cet été», souligne François Cuneo, l’un des membres actifs de l’ASBBE, enseignant à la retraite et ancien syndic de Bofflens. Déjà sensibilisé au problème de la gravière grâce aux articles parus dans Heidi News*, l’occupation par Grondements des terres a été l’étincelle. «Ces jeunes ont été extraordinaires, toujours charmant et jamais agressifs. Ils nous ont ouvert les yeux. Ce n’est pas possible de laisser démonter cette forêt. Mais le combat n’est pas gagné», indique François Cuneo. 

L’ASBBE alerte sur la destruction de l’écosystème. Si la carrière de Ballens voyait le jour, celle-ci deviendrait la plus grande du canton: 1,5 km2 et 60 mètres de profondeur pour extraire 18,5 millions de mètres cubes. Soit six fois la carrière du Mormont. L’exploitation pourrait débuter en 2027 et durer 40 ans voire beaucoup plus. Une grande partie du gravier serait évacué par camions, encombrant les petites routes de toute une région. «Cette exploitation est discutée depuis une trentaine d’années. Holcim et Orllati propriétaires des terrains ont longtemps été en procès. Il semble qu’ils aient trouvé un accord. C’est l’omerta autour de ce vieux projet qui n’a plus lieu d’être à l’heure des bouleversements climatiques et alors que même les architectes remettent en question le tout béton. Car des alternatives existent», explique François Cuneo. 

Les orages qui ont générés des inondations à Morges le soir de l’évacuation des militants de Grondements des terres sont un symbole troublant. «Ce soir-là, dans la forêt, il y avait des rivières. Moi qui y cours quatre fois par semaine, je n’avais jamais vu ça», relate François Cuneo qui promet que l’ASBBE se battra jusqu’au bout pour cette forêt et son écosystème millénaire.

Pour davantage d’informations: https://sauvegardedesboisdeballens.ch

*La BD paru ce printemps, Béton: Enquête en Sables Mouvants, par Alia Bengana, Claude Baechtold et Antoine Maréchal revient sur cette enquête fouillée, en plusieurs épisodes, menée en 2021.

 

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