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Loi sur le travail: une flexibilité déjà bien en place

ouvrier sur une chantier
©Thierry Porchet

Que ce soit dans la construction, dans l’industrie ou dans les bureaux, la Loi sur le travail a pour but la protection de la santé et de la vie des salariés. La droite attaque aujourd’hui cette loi pour rendre encore plus flexibles des limitations d’horaires déjà laxistes et permettre au patronat de faire travailler leurs employés «spécialistes» à n’importe quelle heure du jour, de la nuit et du week-end.

Le Parlement a repoussé la discussion sur les projets visant à flexibiliser davantage le droit du travail en Suisse. Retour sur une réalité déjà très élastique

Certaines dispositions de protection des travailleurs ancrées dans la Loi fédérale sur le travail (LTr) font l'objet de discussions parlementaires en vue d’un assouplissement. Objectif: augmenter la flexibilité! Deux initiatives des conseillers aux Etats Konrad Graber et Karin Keller-Sutter (élue depuis au Conseil fédéral) demandent, pour l’une, l’introduction d’un «régime de flexibilité partielle» dans la loi et, pour l’autre, la libération de la saisie du temps de travail pour certaines catégories de salariés. Le 6 mars dernier, le Conseil des Etats a décidé de prolonger le délai imparti au traitement de ces projets, une étude du Seco étant notamment attendue sur les implications de l’abandon de l’enregistrement du temps de travail.

Le Parlement reprendra donc la discussion sur ces initiatives ultérieurement. Mais les syndicats et l’Alliance contre le stress et le travail gratuit ont déjà annoncé qu’ils s’opposeraient à tout démantèlement. Il faut savoir que le débat n’est pas nouveau et que, de tout temps, la Loi sur le travail a fait l’objet de propositions destinées à alléger, voire supprimer, des dispositions de protection de la santé, sous couvert de répondre aux besoins créés par les nouvelles formes d'organisation du travail. Ces nouvelles attaques se trompent de cible: le texte de loi actuel tient déjà compte des besoins de flexibilité de l'industrie et des services. Il colle à la réalité du terrain tout en fixant des limites destinées à protéger l'intégrité physique et psychique des travailleurs. Aller plus loin serait démanteler une protection déjà bien faible. Un garde-fou minimal qu'il faut impérativement préserver!

Santé des travailleurs essentielle

Si le monde du travail et l'organisation de l'entreprise sont effectivement en évolution, les besoins de protection de la santé des hommes et des femmes qui produisent les richesses de notre pays restent indispensables. L'entreprise n'est, jusqu'à nouvel avis, pas une organisation horizontale dans laquelle chacune et chacun peut, en toute indépendance, décider, librement et sans contrainte, de la manière d'organiser son travail. L'entreprise est un lieu de hiérarchie où celui qui offre ses prestations (l'employé) est généralement subordonné à celui qui les lui achète (l'employeur). L'organisation du travail, la mise en œuvre des pratiques professionnelles et la définition des objectifs restent l'apanage du seul employeur. De même pour la flexibilité1 demandée aux salariés: si elle est souhaitée par tout le monde, elle ne saurait avoir pour conséquence une détérioration de la santé consécutive à un engagement trop intense durant un laps de temps trop long, sans repos. D'où le besoin d'une réglementation qui définisse les garde-fous nécessaires à la protection de la santé.

La flexibilité dans la LTr

La LTr fixe certaines dispositions qui garantissent un tant soit peu que les besoins de protection de la santé en matière de durée du travail et du repos soient respectés tout en assurant aux entreprises l'amplitude et la flexibilité nécessaires à l'organisation du travail. Mais la loi prévoit plusieurs éléments de flexibilisation.

Le plus important concerne les nombreuses dispositions dérogatoires ajustées aux besoins spécifiques de certains domaines économiques. On tient ainsi compte de la très grande diversité des activités économiques via l'ordonnance 2 (OLT2 - RS 822.112) qui déroge aux conditions fixées par la loi. Elle le fait de manière différenciée pour 43 domaines qui couvrent près d’un tiers des postes de travail de ce pays. Une flexibilité à la carte, ancrée dans les textes de loi! La pratique tend à s'amplifier notamment en raison des demandes spécifiques de secteurs qui pourraient, à terme, bénéficier de certaines dérogations.

Les 22% de la population travaillent de nuit

Un second outil de flexibilisation concerne l'interdiction du travail de nuit et du dimanche. Le travail de nuit n’est pas admis notamment en raison de son impact négatif marqué sur la santé des personnes concernées. Le travail du dimanche, quant à lui, est interdit de manière à assurer à l'ensemble des actifs de notre pays au minimum une journée libre, sans travail, par semaine. Des dérogations sont possibles en cas de besoin urgent, économique ou technique. L'entreprise peut alors requérir l'octroi d'une autorisation de travailler le dimanche ou la nuit. Ainsi, en une année (2017), 12765 entreprises ont bénéficié d’un permis de courte durée (délivré par les cantons) et 2467 d’un permis de longue durée (par le Seco). En cumulant avec les dérogations de l'OLT2, on estime ainsi à plus de 22% la part de la population active suisse qui travaille tout ou partie de nuit!

De 50 heures légales à… 66 heures!

Mais le texte de loi va encore plus loin dans la flexibilité. S'il impose bien des limites (durée maximale de travail, durée minimale de repos, etc.), chacune est assortie de possibilités d'extension (respectivement de réduction) qui font dire à certains que la Loi fédérale sur le travail est une «loi élastique» (Gummigesezt)! L’exemple le plus flagrant est celui de la limitation de la durée hebdomadaire de travail fixée à 50 heures pour les entreprises non industrielles (donc pour tout le secteur tertiaire). Elle peut être prolongée de 4 heures en cas d'activités soumises à interruptions dues à des intempéries ou dans les entreprises dont l'activité est sujette à d'importantes fluctuations saisonnières. Nous voilà donc déjà à 54 heures par semaine. Si on y rajoute les possibilités de travail supplémentaire en cas d'urgence (140 heures maximum par année, à raison de 2 heures par jour), il est théoriquement possible de travailler 66 heures (54h + 6 x 2h) par semaine durant 14 semaines dans l'année, soit durant 30% des semaines de travail! Pour les entreprises industrielles, en cas de travail supplémentaire, il est possible de passer à une durée hebdomadaire de 59 heures! C'est énorme et on dépasse là la limite à partir de laquelle, quelles que soient les tâches accomplies, la fatigue et le stress sont déjà bien installés. La qualité du travail risque de s'en ressentir. La qualité de vie du travailleur et sa santé vont assurément en pâtir.

Les contrats de travail prévoyant 45 heures hebdomadaires sont courants dans le secteur tertiaire. Le passage à 50 heures est possible sans aucunement empiéter sur la limite des 50 heures fixée par la loi: on applique alors le principe soit des heures compensées (balance), soit des heures supplémentaires au sens de l'article 321c du Code des obligations. Ainsi, pour 4 semaines, ce sont déjà 20 heures de travail qui sont disponibles chaque mois pour assurer la flexibilité sans mettre en œuvre les dispositions élastiques de la LTr. Le fait que la notion de travail supplémentaire soit liée à celle de la durée maximale hebdomadaire de travail (et non pas à une durée quotidienne maximale) conduit à ce que toutes les heures surnuméraires réalisées dans la journée ne comptent pas automatiquement comme du travail supplémentaire. La flexibilisation est ainsi assurée chaque jour de travail via la balance des heures réalisées (bonus/malus).

Dans la pratique, il est admis que la durée maximale hebdomadaire de travail puisse être dépassée temporairement pour autant qu'en moyenne sur plusieurs mois les 50 heures ne soient pas dépassées. Encore une grande flexibilité qui permet de répondre à de nombreux besoins économiques, y compris ceux liés aux activités bancaires, d'assurance ou de prestations de services dans l'informatique.

L'absence d'une durée maximale quotidienne de travail ouvre une voie royale à la flexibilisation dans l'organisation du travail. La semaine de cinq, respectivement six jours, est possible parce que la durée maximale de travail hebdomadaire peut être répartie librement sur l'ensemble des jours ouvrables de la semaine. Ainsi, le temps perdu durant un ou plusieurs jours peut facilement être rattrapé durant la même semaine.

Démantèlement inacceptable

Les dispositions relatives à la durée du travail et du repos sont constitutives de la protection de la santé des travailleurs de notre pays. Cela étant posé et l’objectif ne pouvant être réduit, les besoins de flexibilité des entreprises sont déjà largement pris en compte et le démantèlement du système doit être combattu au risque, à terme, de voir la santé physique ou psychique des forces de travail de notre pays se dégrader rapidement. Des adaptations sont évidemment possibles, mais elles ne doivent en aucun cas réduire le niveau de protection de la santé actuellement garanti.

Jean Parrat est hygiéniste du travail SSHT, Delémont

1 Nous traitons dans ce texte uniquement de la flexibilité en matière de durée du travail. Les autres éléments constitutifs de la flexibilité (niveau de formation, facilité d'accès aux connaissances, niveau hiérarchique, moyens organisationnels et techniques à disposition, besoins spécifiques des clients, etc.) ne sont pas abordés.

 

Les objectifs réels de la remise en cause de la loi

On peut légitimement se demander pourquoi la LTr est régulièrement la cible des milieux conservateurs et des représentants de l'économie au sein des institutions politiques. La réponse réside certainement dans l'incompréhension tant du texte législatif que de son objectif pourtant destiné à s'assurer des forces de travail en capacité de produire de la valeur ajoutée. La méconnaissance des liens entre organisation du travail, durée du travail et santé des travailleurs est malheureusement encore chose courante dans nos contrées. L'autre objectif est évidemment de diminuer les moyens de contrôle. C'est le cas de la requête de Karin Keller-Sutter portant sur l'abandon, pour certains salariés dits «spécialistes», de l'obligation de tenir à jour les heures effectivement travaillées. Cette obligation serait une contrainte intenable pour nombre d'entreprises, par exemple dans les milieux bancaires, les entreprises informatiques ou les assurances. Le travail par projet ou par objectif justifierait également à lui seul l'abandon des relevés des heures effectuées. Selon ses détracteurs, cette obligation limiterait la capacité du personnel à organiser ses tâches comme il l'entend, y compris lors d'activité à domicile. Un positionnement tout de même étonnant à l'heure de l'entreprise 4.0, de la technologie de pointe et des traceurs de tout type (localisation, activité informatique, etc.). Dans les faits, la suppression des relevés des données temporelles de l’activité annihile directement toute capacité de vérification des heures de travail réellement effectuées. Que ce soit par l'employeur lui-même ou par l'employé. Enfin et surtout, les inspections du travail n'auraient plus la base légale nécessaire pour assurer leur devoir de surveillance.

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