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Un procès historique pour la planète

Certains des jeunes prévenus accompagnés de leurs avocats.
© Neil Labrador

Treize avocats ont pris la défense, gratuitement, des jeunes prévenus. Après leur acquittement, la joie a submergé l’assistance. Avec le soulagement et l’espérance que ce procès marque un pas vers un changement de société pour l’avenir de l’humanité.

La semaine dernière, douze militants écologistes jugés pour la tenue d’une partie de tennis dans Credit Suisse ont été acquittés. Une première: l’urgence climatique justifie, dans ce cas, la désobéissance civile

«En janvier, ce n’est pas une violation de domicile qui sera jugée. Ce sera le jugement de la jeunesse qui lutte pour sa survie.» Ce message lancé par les activistes de Lausanne Action Climat (LAC) en décembre augurait d’un procès historique. Et ce fut le cas. Sa portée internationale a dépassé toutes les espérances, relayée notamment par Greta Thunberg et l’icône de la banque, Roger Federer. Avec une issue inespérée: l’acquittement des douze prévenus par le Tribunal d’arrondissement de Lausanne en raison de l’état de nécessité licite. Pour mémoire, les activistes avaient recouru contre l’amende infligée (au total 21600 francs) pour violation de domicile et infractions à la Loi sur les contraventions, à la suite de leur match de tennis burlesque dans Credit Suisse le 22 novembre 2018. Retour sur un verdict que beaucoup qualifie de courageux.

Une brèche

Après les audiences de la semaine précédente, lundi 13 janvier en fin d’après-midi, la plus grande salle d’audience du canton de Vaud, à Renens, accueille plus d’une centaine de personnes venues assister à la lecture publique du jugement. Devant le président Philippe Colelough, les prévenus; juste derrière, les treize avocats qui les ont défendus gratuitement. La tension est palpable. Le juge conclut tout d’abord à la violation de domicile, et à la recevabilité de la plainte pénale déposée par Credit Suisse. Puis, une brèche s’ouvre: l’état de nécessité licite. Soit l’article 17 du Code pénal, qui stipule: «Quiconque commet un acte punissable pour préserver d’un danger imminent et impossible à détourner autrement un bien juridique lui appartenant ou appartenant à un tiers agit de manière licite s’il sauvegarde ainsi des intérêts prépondérants.» Le public retient son souffle. Pour le tribunal, «l’imminence du danger est réalisée», du fait du «réchauffement planétaire anthropique», comme l’atteste le GIEC dans ses rapports. Il confirme que cette action a représenté «le seul moyen efficace pour faire réagir la banque», cette dernière n’ayant jamais répondu aux interpellations des écologistes, ni aux courriers, ni aux pétitions, ni aux rassemblements... Les sourires s’esquissent sur les visages des militants. Le juge (membre du PLR) admet que «le temps politique n’est plus compatible avec l’urgence climatique» faisant référence de surcroît aux «déclarations inoffensives et lénifiantes du gouvernement» autour de ces questions depuis tant d’années. Il rejoint ainsi le constat de passivité de l’Etat, étayé notamment par Me Laïla Batou lors des plaidoiries et celui de Me Raphaël Mahaim qui a démontré que la Suisse ne respecte pas le cadre juridique de la Constitution, de la Cour européenne des droits de l’homme et de l’Accord de Paris.

«Le Tribunal a conscience d’ouvrir des perspectives qui ne seraient pas souhaitables», nuance toutefois Philippe Colelough qui souligne la spécificité de chaque cas. La non-violence, l’ampleur limitée de l’action, le peu de forces de l’ordre nécessaire à l’évacuation ont joué en faveur des militants. Bref, pas de blanc-seing, mais les prévenus sont acquittés et les frais à la charge de l’Etat.

Un appel au changement

Explosion de joie. «C’est tellement inespéré», souffle la maman d’un des prévenus. «Ce juge a inscrit son nom dans l’histoire», sourit le papa d’un autre. Dehors les Grands-parents pour le climat sortent leur banderole. L’un d’eux, l’ancien médecin cantonal, Jean Martin, ne cache pas son émotion. «C’est extraordinaire! Personne n’y croyait. Ça secoue notre pays et légitime les mouvements proclimat, l’engagement formidable de ces jeunes.»

«C’est un appel au changement, pour le droit à la vie», déclare l’une des militantes acquittées. A ses côtés, Me Irène Wettstein ajoute: «Je rêve que tout un chacun se mobilise et entreprenne aussi des actions à son échelle. Je rêve d’employés de banque qui challengeraient leur hiérarchie…» L’un des militants, Paul se réjouit: «La justice reconnaît que le politique n’agit pas et que notre action était légitime et proportionnée. C’est un message d’espoir!» Pour Me Christian Bettex, «il y a un avant et un après»: «C’est une victoire pour une cause qui compte. Et j’espère que le milieu financier bougera.» Autre militante innocentée, Beate, indique quant à elle un soulagement même si tout est encore à faire: «Il faut freiner maintenant, pour avoir une chance d’arriver juste devant le mur. Tout changement est lent, mais nous savons aussi que l’être humain a la capacité de réagir hyperfort et vite, telle une mère qui veut sauver son enfant.»

L’écologie sur les planches

Le juge lausannois ayant refusé la majorité des témoins proposés par les avocats, deux tables rondes ont été organisées le 7 janvier, après la première journée d’audience, au Théâtre de Vidy à Lausanne. Devant une salle comble, de nombreux experts ont pris la parole sous la médiation de Jacques Mirenowicz, des Artisans de la transition. Voici quelques mots de certains d’entre eux:

Jérémy Désir, ex-gestionnaire financier chez HSBC: «La finance verte n’est que marketing. Même pas 1% du budget est consacré au développement durable à HSBC, c’est une coquille vide. Les profits court-termistes sont un conditionnement dans la finance. Face à ce mur, l’action directe est la seule voie. J’espère qu’on verra la fin du capitalisme.»

Sonia Seneviratne, climatologue à l'ETH, Zurich, coauteure du rapport spécial du GIEC 1,5 °C: «Les risques de points de bascule comme la fonte irréversible des glaces au Groenland ou la désertification de l’Amazonie est entre nos mains. Tout dépend de nos décisions maintenant. Si on ne change rien, on va vivre une catastrophe.»

Jean-Pascal van Ypersele, climatologue, ancien vice-président du GIEC, professeur à l'Université catholique de Louvain: «Nous sommes dans une situation de crise. Il faut arriver à une émission nette nulle de carbone pour arrêter d’épaissir cette couche d’isolant que représente les gaz à effet de serre. Investir dans les forêts, réorienter l’économie, rénover le parc immobilier…»

Sylvie Ollitrault, directrice de recherche au CNRS, spécialiste de la désobéissance civile appliquée à l'écologie: «Je suis les mobilisations écologistes depuis 25 ans. Au début de mes recherches, mes collègues me demandaient: “Tu crois que l’écologie, ça va durer?ˮ La désobéissance civile n’est plus la même que du temps des paysans anti-OGM. Aujourd’hui, les jeunes sont dans l’urgence. C’est parfois difficile de savoir quelle action sera efficace ou pas. Le décrochage des portraits de Macron a par exemple débouché sur l’acquittement en septembre des prévenus.»

Jacques Dubochet: «Un sondage dit que les Suisses sont heureux. Vous voyez le bonheur des gens sur leur tête dans la rue? Non, c’est un fakeˮ bonheur. Aujourd’hui, nous avons besoin d’inventer un nouveau narratif joyeux.»


Credit Suisse discrédité

Des militants climatiques ont lancé un site internet, DisCreditSuisse.ch. Il rappelle que pour satisfaire l’Accord de Paris et respecter le budget carbone déterminé par le GIEC, «l’Agence internationale de l’Energie estime nécessaire de laisser 2/3 des énergies fossiles dans le sol». Or, entre 2016 et 2018, la banque, selon les informations de l’ONG BankTrack spécialisée dans ces questions, a investi 57,4 milliards de dollars dans les énergies fossiles. En 2017, Credit Suisse a financé 82,6 millions de tonnes de gaz à effet de serre, doublant ainsi les émissions dont la Suisse est responsable, selon une étude de Greenpeace. Entre 2015 et 2017, la banque «a triplé ses émissions d’équivalent carbone financées du fait notamment de son soutien au charbon». Credit Suisse a aussi investi massivement dans les sociétés d’extraction, extrêmement polluante, des sables bitumineux de l’Alberta au Canada. «Des gens meurent déjà de la pollution de l’Athabasca, principale rivière de la région», dénonce le site rappellant aussi que le fond souverain du Qatar est le principal actionnaire de Credit Suisse. Alors que celle-ci dit vouloir aligner ses investissements sur les objectifs de l’Accord de Paris, elle reste l’un des établissements les plus impliqués dans le soutien et le financement aux énergies fossiles dans le monde. Quant à l’argument de Credit Suisse selon lequel il a soutenu l’émission de 28 milliards de dollars d’obligations vertes, les militants indiquent, se fondant sur une étude du Centre for International Climate and Environmental Research (CICERO), que «les green bonds sont globalement des produits financiers de greenwashing». Et si Credit Suisse a déclaré qu’il ne financerait plus de nouvelles centrales à charbon, cela ne signifie pas qu’il ne continuera pas de soutenir les anciennes.

Plus d’informations sur: discreditsuisse.ch


Les tribunaux romands, caisses de résonance des revendications écologistes

Au lendemain de cette victoire, le procureur général faisait appel contre cette décision estimant en substance que le jugement va trop loin dans l’interprétation de l’état de nécessité licite. Ce procès se poursuivra donc au Tribunal cantonal et vraisemblablement jusqu’au Tribunal fédéral. «La droite s’insurge que ce procès soit politique. Or, c’est la réaction du procureur qui l’est. Il n’était même pas présent à l’audience», dénonce Olivier de Marcellus, militant du collectif Breakfree, qui renvoie à l’appréciation de l’ancien juge fédéral Niklaus Oberholzer dans le Tages-Anzeiger estimant que ce procès est «juridiquement bien fondé». L’action similaire qui s’est déroulée dans la succursale de Credit Suisse à Genève, également le 22 novembre 2018, semble être au point mort. «Nous sommes une douzaine à avoir reçu la notification que nous étions poursuivis, et à avoir été entendus par la police. Depuis plusieurs mois, nous sommes sans nouvelles», explique Olivier de Marcellus. Le Ministère public genevois se refuse à tout commentaire. Reste que c’est à Genève que le prochain procès aura lieu le 18 février au Palais de justice, à la suite d’une autre action collective contre Credit Suisse. Le 13 octobre 2018, lors d’une manifestation, les façades de la banque avaient été recouvertes de traces de mains rouges et du rapport du GIEC (publié quelques jours auparavant). Mais seul un militant a été poursuivi (le scénario est semblable au cas de Loris à Lausanne dont le procès devrait avoir lieu bientôt). Breakfree a proposé des témoins dont Julia Steinberger, docteure en physique et coautrice du GIEC, et l’ONG BankTrack. Jean Ziegler pourrait être aussi présent. A noter encore que plus de 120 autres militants pour le climat (dont une grande majorité de membres d’Extinction Rebellion), dans le canton de Vaud, vont se retrouver eux aussi devant les juges cette année.

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