Le Conseil des Etats vote une version édulcorée du projet Sommaruga. Unia exige des «améliorations massives»
Le 29 mai, le Conseil des Etats a fini par accepter la révision de la Loi sur l’égalité. Pour rappel, à fin février, la Chambre haute du Parlement avait renvoyé en commission le projet porté par la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga de contrôler les salaires au sein des entreprises. Cette décision de mettre ainsi au frigo une loi d’application sur l’égalité salariale, 37 ans après l’inscription du principe dans la Constitution, avait provoqué un tollé et la fureur légitime des femmes. «Ma proposition de renvoi ne restera pas comme une heure de gloire dans ma carrière politique», a reconnu la semaine dernière le conseiller aux Etats Konrad Graber (PDC/LU). Les sénateurs ont donc été poussés à revoir rapidement leur copie, ce qui constitue déjà pour les femmes une petite victoire. Mais la lutte s’annonce encore longue et opiniâtre.
600 francs en moins par mois
Alors que le projet Sommaruga était déjà peu contraignant pour les entreprises, le Conseil des Etats a choisi d’alléger encore le dispositif. Seules les sociétés employant plus de cent collaborateurs, contre cinquante initialement, seront tenues de procéder à une analyse de leur grille salariale tous les quatre ans, ce qui concernera seulement 0,85% des entreprises et moins de la moitié des personnes actives. De plus, aucune sanction n’est prévue pour les employeurs qui ne s’acquitteraient pas de cette tâche et qui omettraient, le cas échéant, de rectifier les salaires. Pourtant, la différence de salaires entre femmes et hommes a atteint 12% en 2016, selon l’Office fédéral de la statistique. Près de 40% de cet écart reste inexplicable et relève ainsi de la pure discrimination liée au genre. Concrètement, les femmes gagnent en moyenne 600 francs de moins par mois que les hommes pour un travail de valeur équivalente. Enfin cette obligation de contrôle serait limitée à douze ans, comme si on faisait face à un problème passager. «Plus le dossier avance et moins les mesures proposées semblent efficaces. On se résout à traiter un cancer avec une aspirine. Avec ce projet, les inégalités ne sont pas près de disparaître», a constaté Raphaël Comte (PLR/NE).
Pas satisfaisant du tout
Mais c’est évidemment dans le camp de la gauche et des syndicats que s’expriment le plus de critiques. «A peine 1% des entreprises seront tenues de contrôler les salaires et ce sans se soumettre à une procédure contraignante sur cette analyse et, si nécessaire, sur l’adaptation des salaires. Ce n’est pas ce que nous avons voulu. Ce n’est pas du tout satisfaisant», indique Corinne Schärer, membre du comité directeur d’Unia et responsable de la politique en matière d'égalité. Le syndicat exige des «améliorations massives»: «Pour nous, ces contrôles doivent concerner toutes les entreprises et des sanctions doivent être prévues si l’on veut que la mesure fonctionne. La pression est trop énorme sur les femmes pour qu’elles puissent d’elles-mêmes porter plainte. Les cas que nous connaissons ont été dénoncés après que les victimes aient quitté leur emploi. C’est pour cela que nous demandons un système de contrôle. L’instrument existe, c’est le logiciel Logib, tout est prêt, il ne manque que la volonté des employeurs. La décision du Conseil des Etats montre qu’ils ne l’ont toujours pas, la majorité bourgeoise s’est arrangée pour que les entreprises n’appliquent pas la Loi sur l’égalité. Preuve en est aussi cette limitation à douze ans. Quelle loi est limitée dans le temps? Une loi de cette importance ne peut être temporaire. Imposer une “date de péremptionˮà une problématique qui touche en premier lieu les femmes, c’est une moquerie, c’est leur donner une gifle. Elles subissent une fois encore le pouvoir des hommes bourgeois», déplore la responsable syndicale.
Initiative, manif et grève
La sénatrice Géraldine Savary (PS/VD) a évoqué dans les médias la possibilité que le Parti socialiste lance une initiative populaire reprenant le projet Sommaruga d’origine. Histoire de faire pression sur le Conseil national, qui devrait se prononcer en septembre. Même dans sa version allégée, le projet de loi aura en effet de la peine à passer le cap de la Chambre haute dominée par une majorité très à droite qui ne veut pas entendre parler d’une «police des salaires». L’Union syndicale suisse (USS) prépare toutefois une initiative plus ambitieuse suggérée par Unia. Intitulé «Subito», le texte propose d’ancrer dans la Constitution des instruments efficaces pour faire appliquer l’égalité salariale. «Si le Conseil national n’apporte pas de corrections au projet, il faudra sérieusement prendre en considération la possibilité de lancer une initiative et de prévoir plus de mobilisation sur ce thème en 2019», estime Corinne Schärer.
2019 pourrait être l’année d’une nouvelle grève des femmes. Pour mémoire, en 1991, près d’un demi-million de femmes avaient croisé les bras durant une journée. L’idée a été lancée en janvier dernier par des syndicalistes au congrès des femmes de l’USS. «C’est une idée forte et intéressante, qui exige un grand travail préparatoire. Il faut sérieusement en discuter dans notre organisation et avec la base. Il est clair qu’il faut faire monter la pression. Aujourd’hui, notre priorité est d’organiser la journée d’actions du 14 juin et surtout de mobiliser pour la manifestation du 22 septembre, il faut nous assurer qu’elle débouche sur un succès.»