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Climat et pandémie, même combat

Rassemblement des militants devant le Tribunal de police à Lausanne le 7 février dernier. Parmi eux des médecins.
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Lundi 7 février, de nombreuses personnes du corps médical se sont rassemblées sur les marches du Tribunal d’arrondissement de Montbenon à Lausanne pour rappeler la gravité de la situation climatique et dénoncer une justice inéquitable. Vendredi, les condamnations ont été lourdes pour les douze inculpés, qui vont faire appel.

Lors d’un énième procès, des médecins inculpés à la suite d’un blocage organisé par Extinction Rebellion ont souligné le risque sanitaire majeur du désastre écologique en cours

«Nous sommes des lanceurs d’alerte.» C’est l’un des messages de la cinquantaine de personnes, pour la plupart du corps médical, venues soutenir des militants pour le climat devant le Tribunal de police de Lausanne le 7 février. Douze d’entre elles sont inculpées à la suite du blocage de la rue Centrale le 14 décembre 2019 organisé par Extinction Rebellion. Deux médecins, Valérie D’Acremont et Blaise Genton, en font partie. Le comité de l’Association des 200 – du nombre de prévenus jugés «à la chaîne» depuis octobre – s’insurge contre un double déni: climatique et de justice.

Devant le palais de justice, Charlotte Ducotterd interpelle: «Je me retrouve devant la justice pour avoir dénoncé l’inaction du gouvernement face à l’urgence climatique, et avoir demandé qu’il dise la vérité. C’est fou d’être jugée pour s’être préoccupée de notre futur!» La biologiste est en première ligne pour documenter le déclin de la biodiversité. Elle rappelle la rapidité inégalée de l’extinction des espèces par une seule: la nôtre. Et alerte contre la disparition des forêts tropicales dont certaines sont déjà devenues silencieuses: «Nous sommes responsables d’un anéantissement biologique qui nous conduira à notre propre perte.» Pour exemple, elle décrit la diminution du plancton océanique quasi de moitié depuis les années 1950, alors qu’il est essentiel à l’absorption du CO2 atmosphérique et à la création de l’oxygène.

A la racine du problème

Valérie D’Acremont, médecin infectiologue et professeure de santé globale, a témoigné de son expérience en Afrique. Alors que, pendant quinze ans, elle a constaté une diminution de la mortalité, depuis cinq ans, elle a observé «des choses étranges sur le terrain»: une hausse importante des cas de malaria, le retour de la sous-nutrition, la diminution des récoltes, le risque d’inondation d’un institut de recherche en Tanzanie, des problèmes de santé mentale dans un village au Sénégal, car ses habitants vivent dans la panique que leurs terres soient inondées, l’augmentation des maladies respiratoires au Sud comme au Nord du fait de la pollution, démultipliée par le réchauffement climatique, générant bien davantage de morts que la pandémie. «Dans certaines grandes villes, ce qu’inhalent les enfants est équivalant à 40 cigarettes par jour! Alors que la pandémie trouve son origine dans la destruction des forêts et l’élevage intensif des animaux, aucun plan sanitaire n’inclut que l’on intervienne à la racine du problème!»

Valérie D’Acremont souligne encore la perte de sens vécue dans son métier. «Je ne peux plus regarder mes collègues africains dans les yeux. Parce que je sais que ce qui tue leurs enfants, malgré tous les beaux programmes de santé humanitaire, ce sont nos 14 tonnes de CO2 qu’on émet en tant que Suisses alors qu’eux n’en émettent qu’une tonne. Cette injustice est totale. Et donc, je continuerai à m’exprimer tant que je pourrai pour que nos autorités agissent pour sauver notre civilisation qui se meurt.»

Dans un communiqué, l’Association des 200 alerte: «Sans une réduction drastique (de 7% par an selon l’ONU) de nos émissions de CO2, principal gaz à effet de serre, et une modification en profondeur de nos modes de vie, le réchauffement se poursuivra avec des menaces de plus en plus grandes sur l’approvisionnement suffisant en eau, en nourriture et sur la sécurité des populations de toutes les régions.»

Douze prévenus condamnés, les élus plus lourdement

Vendredi 11 février, le juge a condamné lourdement les participants au blocage de la rue Centrale à Lausanne en décembre 2019: entre 15 et 20 jours-amendes avec sursis, des amendes de 300 à 1000 francs et des frais de justice en sus. Les élus locaux ont été plus lourdement sanctionnés. Le juge, s’il n’a pas remis en question la sincérité et le mobile non égoïste des prévenus, n’a par contre retenu ni la liberté de manifester pacifiquement ni l’état de nécessité, soulignant que le Tribunal fédéral dans un arrêt avait estimé que le réchauffement climatique n’était «pas un danger durable ni imminent» – générant murmures et rires jaunes étouffés dans la salle d’audience – au sens de l’état de nécessité licite prévu par l’article 17. Il a par ailleurs estimé que cette action de blocage n’avait pas eu un impact direct sur le dérèglement climatique. A la sortie du Tribunal, une avocate présente dans le public, Me Wettstein, souligne: «Ce décalage entre le juridique et le bon sens commun est brutal. Comment peut-on affirmer que le danger climatique n’est pas imminent?» Son confrère Me Gaspard Genton dénonce, quant à lui, un jugement «qui nie le caractère profondément démocratique de la manifestation». «De surcroît, devenir conseiller communal signifierait de ne plus pouvoir manifester. C’est une absence de conscience historique des mouvements sociaux», déplore-t-il. Valérie D’Acremont, conseillère communale Verte à Lausanne, explique pour sa part: «Par mes actes, je me sens fidèle à ce que j’ai promis en m’engageant en politique: défendre la population. On nous accuse de contrevenir à l’ordre public; or, paradoxalement, on essaie justement de prévenir le désordre qui pourrait découler du manque d’eau et de nourriture. Il s’agit de préparer un monde résilient, une société alternative pour éviter les risques de conflits sociaux.»


Deux cantons, deux justices

Les procès climatiques en cours ne garantissent pas les conditions d’équité. Tel est le constat de l’Association des 200 et du collectif de quelque 25 avocats qui défendent les inculpés. Ils dénoncent, entre autres, le refus de jonction des causes, soit un procès unique pour tous, et le refus par la Cour d’entendre des experts. Une situation qui a poussé cette fois-ci les douze prévenus à ne pas demander l’assistance d’avocats, estimant qu’ils étaient préjugés, sans compter qu’ils ont été convoqués deux semaines plus tôt seulement.

L’Association des 200 fustige également l’effet dissuasif des sanctions pénales qui constitue une attaque ciblée contre les droits des manifestants. Depuis octobre, la moitié des 200 prévenus ont été jugés au Tribunal d’arrondissement. La grande majorité a déjà fait appel, tout comme le premier militant à avoir été entendu fin janvier par le Tribunal cantonal. Et ce, malgré un allégement de peine.

Sur le fond, les avocats, dans leurs plaidoiries, s’appuient sur la liberté de manifester, de réunion pacifique et d’expression garantie par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). A noter que cette dernière estime qu’une autorisation préalable n’est même pas nécessaire en cas de manifestation pacifique. De surcroît, dans le cas des blocages organisés par Extinction Rebellion, ils ont toujours été annoncés aux autorités.

Avocats et prévenus s’insurgent également contre une justice à deux vitesses. A Genève, en décembre, la Cour d’appel a acquitté des militants pour le climat, car selon elle, il n’était pas admissible de sanctionner des personnes pour avoir participé à un rassemblement pacifique, même sans autorisation. «Sur la base d’un même état de fait, des prévenus sont condamnés dans le canton de Vaud et acquittés à Genève. Il s’agit d’une problématique institutionnelle puisque deux cantons apprécient différemment le droit de manifester, explique l’avocat genevois Me Moghaddam. Si des variations sont toujours possibles, ici la différence est fondamentale. Dans ses arrêts, la Chambre d’appel de Genève souligne le caractère pacifique des manifestations et la gêne tolérable d’une légère perturbation du trafic dans un Etat démocratique.» Et de souligner aussi que la jonction des causes aurait dû s’appliquer dans le cas des 200. «A Genève, une audience avec 181 parties a pu être organisée. Pourquoi pas à Lausanne?»

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