Lors de la Grève pour l’avenir, les syndicats ont organisé à Lausanne une conférence-débat sur la santé au travail en regard de la crise climatique
Le 27 octobre dernier, une conférence intitulée «Crise climatique et santé au travail» a été organisée par l’Union syndicale vaudoise et la Grève pour l’avenir au centre socioculturel Pôle Sud à Lausanne. En préambule, David Vernez, chef du département santé, travail et environnement d'Unisanté, a dressé, devant une trentaine de personnes, un état des lieux des effets du stress thermique, rappelant que le corps produit de la chaleur qu’il doit éliminer pour maintenir une température de 38 degrés maximum. Des études européennes relatent que 6% des travailleurs interrogés (entre 1000 et 1500 personnes par pays) disent être exposés à de fortes chaleurs tout le temps; et 23% un quart de leur temps. «Nous n’avons pas de statistiques du nombre de décès en Suisse dus à la chaleur dans le cadre du travail, car les problèmes cardiovasculaires s’expriment en dehors du travail. On sait cependant que, lors de la construction des stades de foot au Qatar, plusieurs centaines de jeunes travailleurs en bonne santé sont morts…», indique le spécialiste.
La température extérieure n’est pas la seule donnée, l’effort physique et la température radiante – extrême par exemple lors de pose de bitume – doivent être pris en compte, tout comme le degré d’humidité et le vent. «En cas de déséquilibre thermique, des crampes, des évanouissements, des coups de chaleur sont possibles. Dans le monde du travail, l’activité physique amplifie le stress thermique. Les situations extrêmes également: dans le tunnel du Gothard par exemple, il fait 40 degrés à l’intérieur en ce moment», souligne David Vernez.
Adaptations nécessaires
Sortir de la zone de chaleur, faire des pauses, boire de l’eau sont autant de gestes de prévention, mais face aux pics de chaleur récurrents, comment s’adapter? «En Asie du Sud-Est, la hausse des températures fait que, théoriquement, pendant plus de 50% du temps, les travailleurs devraient se reposer à l’ombre… En Europe, c’est moins la chaleur moyenne que les événements extrêmes qui sont à prendre en compte», explique David Vernez.
Si le stress thermique génère des problèmes cardiovasculaires, d’autres maladies sont liées aux changements climatiques: difficultés respiratoires (ozone, pollens, particules), maladies infectieuses ou véhiculées par les moustiques et les tiques. Les accidents sont également plus nombreux. «Tous ces effets indirects touchent la population en général, mais les travailleurs sont à l’avant-garde», ajoute le spécialiste. Selon lui, les changements climatiques génèrent encore d’autres transformations: l’adaptation nécessaire des horaires de travail, la sursollicitation des professionnels de la santé et la mutation de certaines activités. Le spécialiste conclut: «En France, on estime que 440000 emplois, liés aux énergies fossiles, vont être transférés vers les énergies vertes. Mais le recyclage des matériaux, liés aux énergies renouvelables, engendre de nouvelles toxicités et donc de nouveaux risques.»
Sur les chantiers
Lors de la table ronde qui a suivi, Vanessa Deroche, infirmière à domicile et militante au SSP, et Didier Liardon, facteur membre de Syndicom, ont expliqué la pénibilité accrue lors des périodes de canicule dues notamment aux déplacements nombreux en ville et à l’impossibilité d’adapter leurs horaires de travail.
Une situation quelque peu différente dans le monde de la construction où certains chantiers ont commencé plus tôt lors des canicules. Pietro Carobbio, secrétaire syndical d’Unia Vaud, souligne qu’au-delà de la prévention – eau, crème solaire, pauses –, la question centrale réside dans le fait de pouvoir arrêter le travail. «La santé vaut plus que leurs profits, résume-t-il. Pendant la vague caniculaire en août, certains chantiers ont commencé plus tôt et/ou n’ont pas travaillé l’après-midi.» Reste que, selon un sondage mené par Unia, 59% n’ont pris aucune mesure concernant les horaires; 73% n’ont pas arrêté le travail l’après-midi; et des malaises auraient touché plus de 10% des travailleurs. Pour le secrétaire syndical, le temps où l’on travaillait moins l’hiver est révolu, même si les collectivités publiques ouvrent encore que rarement des chantiers l’hiver et que l’OFROU (Office fédéral des routes) mène ses chantiers d’avril à novembre. «L’organisation du travail doit s’adapter», estime Pietro Carobbio, en rappelant que la loi sur les intempéries exclut les temporaires. «Quand l’arrêt de travail est nécessaire, les gens doivent être indemnisés. Il est essentiel de clarifier qui paie quoi et comment, mais aussi qui prend la décision d’arrêter un chantier.»
En aparté, le stress et la productivité ont été abordés par deux employés de la construction, militants d’Unia. «Le béton n’a même pas le temps de sécher que les gens emménagent déjà», caricature un machiniste. «En trente ans, on est passé du simple au double», renchérit un grutier, en évoquant la charge de travail. «On va trop vite. Les plannings ne tiennent pas la route.»
Si le débat n’a malheureusement pas eu le temps de s’étendre aux pratiques professionnelles néfastes au climat, la question de la conscience des travailleuses et des travailleurs face à cette problématique a été posée. Vanessa Deroche estime que le temps manque et que la fatigue extrême du personnel des soins à domicile et des EMS empêche la mobilisation qu’elle soit écologique ou syndicale. Pietro Carobbio se montre moins pessimiste: «Arrêter un chantier il y a quelques années était mission impossible, tout comme mettre de la crème solaire. Aujourd’hui, les travailleurs sont sensibilisés. Grâce aux mobilisations pour le climat, ils savent qu’on ne va pas dans le bon sens.»