L’écart salarial entre les sexes diminue, mais à la vitesse d’un escargot
En 2022, dans le privé, les hommes étaient payés en moyenne 17,5% de plus que les femmes, soit 1453 francs par mois. La situation n’est pas vraiment meilleure dans le public.
Au rythme où vont les choses, on peut se demander si l’humanité ne foulera pas le sol de la planète Mars avant que la Suisse n’atteigne l’égalité salariale entre hommes et femmes. Cela évolue certes dans le bon sens, mais à la vitesse d’un escargot. L’objectif semble encore à des années-lumière de la réalité actuelle. C’est ce que montrent les derniers chiffres de l’Office fédéral de la statistique (OFS), tirés de l’enquête sur la structure des salaires et publiés ce 26 novembre.
Selon les données de 2022 (les dernières disponibles), un homme gagne en moyenne 17,5% de plus qu’une femme dans le privé, à travail égal. Cela représente 1453 francs par mois. Fait intéressant: plus on monte dans la hiérarchie, plus le différentiel salarial est grand. Dans le public, ce n’est pas beaucoup mieux, puisque l’écart est de 13,8%. En 2012, ces chiffres étaient respectivement de 21,3% dans le privé et 16,5% dans le public. A ce rythme, il faudra encore près d’un demi-siècle pour équilibrer la balance…
Finance et textile, mauvais élèves
Dans le privé, les inégalités varient énormément selon les branches économiques. Le plus mauvais élève est le secteur de la finance et des assurances, où l’écart atteint 29,4%. Il est suivi par l’industrie du textile et de l’habillement (24,1%). Dans l’immobilier, les sciences et les techniques, ainsi que dans le domaine de l’information et de la communication, on est grosso modo entre 20% et 22%. A l’autre bout du spectre, le moins mauvais élève est l’industrie chimique et pharmaceutique, avec «seulement» 5,3% d’écart salarial, suivie par l’hôtellerie-restauration (7,6%) et les transports et l’entreposage (8,3%). Pour Unia, cela montre la nécessité d’établir des conventions de travail collectives étendues, qui fixent des salaires minimaux, puisque les branches qui en possèdent, comme l'hôtellerie-restauration, sont plus égalitaires que les autres.
Cette disparité entre hommes et femmes s’explique en partie par des raisons d’ordre structurel, telles que le niveau de formation, le nombre d’années de service, ou la fonction hiérarchique. Mais elle reste pour une bonne part inexpliquée, ce qui, selon Unia, relève de la discrimination sexiste pure et simple. Dans le privé, en moyenne 44,9% de la différence de salaire ne s’explique pas. Dans le secteur public, ce chiffre est de 49,6%. Et cette part tend plutôt à augmenter, puisqu’elle était par exemple de 39,6% en 2008 dans le privé.
Sur ce plan aussi, on constate de fortes différences entre branches. La part inexpliquée est la plus importante dans les transports et l'entreposage (89,6%), ainsi que dans l'industrie chimique et pharmaceutique (72,9%), largement au-dessus de la moyenne. L'OFS souligne par ailleurs que les petites entreprises sont davantage concernées que les grandes par cet écart sans raison claire.
Cependant, Aude Spang, secrétaire à l'égalité d'Unia, déplore le fait que la droite se focalise uniquement sur cette part inexpliquée des différences de salaire: «Si on occulte l’écart explicable, on passe à côté d'une grosse partie du problème, liée à des raisons structurelles, comme le fait que ce sont le plus souvent les femmes qui réduisent leur taux d'activité pour compenser les défaillances du système de garde d'enfants, et qu’elles ont donc moins de possibilités de progresser professionnellement.»
A ce propos, la syndicaliste considère que les chiffres de l’OFS sont biaisés, puisqu’ils ne prennent pas en compte le travail partiel, qui concerne majoritairement les femmes. «Il existe un indice européen qui en tient compte, le GOEG (Gender overall earnings gap, ndlr), ce qui donne un résultat encore plus mauvais. En 2018, selon cet indice, l'écart salarial dans le secteur privé suisse était de 43,2%, donc bien plus que les 17,5% calculés par l’OFS. Cela fait de nous le 3e pire élève d’Europe.»
Revoir la loi
L'égalité salariale est pourtant inscrite dans la Constitution fédérale depuis 1981. Mais Unia rappelle que les modestes améliorations n'ont été obtenues que grâce à des années de pression de la part des syndicats et des mouvements féministes. Le syndicat estime que la révision de la Loi sur l’égalité, entrée en vigueur en 2020, n’a pas eu beaucoup d’effet, puisque seules les 500 plus grandes entreprises du pays ont l’obligation d’analyser leurs salaires, alors que c’est dans les petites que le problème est le plus flagrant. De plus, les employeurs peuvent effectuer cet examen via des organes de révision privés, ce qui exclut les représentants des travailleurs et des travailleuses.
Unia souhaite que la Loi sur l’égalité soit adaptée. Le syndicat exige notamment des contrôles réguliers des salaires dans les entreprises, y compris les petites, réalisés par des organismes indépendants et transparents. II veut également un durcissement des sanctions à l'égard des contrevenants. «Actuellement, déplore Aude Spang, la seule contrainte pour eux, c’est de procéder à une nouvelle analyse quatre ans plus tard.» Enfin, Unia demande que les salaires soient augmentés dans les branches à forte proportion de femmes, et que davantage de places d’accueil abordables pour les enfants soient créées, pour en finir avec les inégalités structurelles.
Mais au niveau politique, rien ne bouge pour l’instant. «On nous répète sans arrêt qu'il faut attendre le bilan intermédiaire de la Loi sur l’égalité que fera le Conseil fédéral en 2025. Cela évolue beaucoup trop lentement, s’impatiente Aude Spang. Combien de temps faudra-t-il encore attendre avant que l'égalité salariale ne devienne réalité?»